Entre traumatisme et rêves : voix d’enfants dans l’épreuve du séisme
De Amizmiz à Talat N’Yacoub, de Ifourirne à Ighil ou encore à Taroudant, les enfants de ces régions éloignées de l’Atlas ont été témoins de la tragédie du 8 septembre 2023. Récits poignants.
Entre le traumatisme et l’élan de résilience, les enfants survivants du séisme portent sur leurs frêles épaules les séquelles de cette nuit tragique qui a frappé la région d’Al Haouz.
Faysal, petit héros au grand cœur
Il a à peine 7 ans, et pourtant il passe de longs moments à veiller sur les gens qui dorment à même le sol, son regard empreint d’une profonde mélancolie, mais aussi d’une force insoupçonnée. Quand on le rencontre le lendemain du séisme au village de Ifourirne dans la commune de Talat N’yacoub, il faisait le tour du campement où tous les habitants de son douar s’abritent désormais, ni tentes , ni matelas, juste quelques couvertures. Il observe de près mais de loin aussi son village et ses gens.
Il s’approche de nous sans dire un mot. Après quelques minutes, il vient nous proposer de partager son maigre repas de pain sec et de sardines en boîte.
Faysal est désormais sans maison, sans lit, sans amis mais il est là à aider, à partager ses petites histoires. Lors de notre nuit passée dans ce camp, il nous accompagne
« Vous allez rester avec nous ? Vous allez parler de nous dans votre journal ? », nous demande-t-il.
Nous lui demandons quel souvenir il a de cette terrible nuit du tremblement de terre, il reste silencieux quelques secondes avant de nous dire qu’il ne se rappelle plus, que tout ce qu’il garde en tête, c’est ce sont les cris des gens autour de lui, la poussière et les maisons effondrées, son petit village détruit.
Dès l’aube, il se tient prêt, épaulant les femmes dans le nettoyage du camp, guidant les jeunes adolescents pour la distribution des aides. Puis, il grimpe sur une petite colline pour contempler son village, du moins ce qui on reste. Son regard parcourt le ciel. Les hélicoptères des Forces armées royales (FAR) s’apprêtent à décoller de nouveau. Les équipes de la Protection civile s’apprêtent à partir vers d’autres villages lourdement touchés.
« Mon village était si beau avant. J’aimais tant notre chez nous. Nous allons le reconstruire, n’est-ce pas ? », Faysal, 7 ans.
Faysal, 7ans
« Ils sont là. Enfin, ils pourront aider les blessés dans les autres douars », lance-t-il, avec une foudroyante maturité. Un nouveau moment de silence s’ensuit, puis il nous confie avec un sourire timide : « Mon village était si beau avant. J’aimais tant notre chez nous. Nous allons le reconstruire, n’est-ce pas ?»
Rires d’enfants à l’ombre du traumatisme
Deux jours plus tard, nous faisons la rencontre d’autres enfants dans le village d’Amizmiz à 50 km au sud-ouest de Marrakech. Partout où le regard se pose, que ce soit sur les modestes tentes de fortune devenues leurs abris, sur les trottoirs délabrés ou au bord des rues, ces enfants continuent de défier les ombres du traumatisme. Les minces couvertures, qui servent de matelas, sont leur scène de théâtre. À la tragédie, ces chérubins répondent par des rires. Dans cet univers où la normalité vole en éclats, leur innocence rayonne comme un phare dans la nuit.
Près d’une épicerie on rencontre une bande de trois enfants, Najib, Sami, et Othmane. Nous entamons la conversation et découvrons qu’ils sont de fidèles amis. Leurs visages illuminés d’une lueur d’ espoir, ils nous racontent, en cherchant les mots, comment ils ont vécu ces moments de séisme, leurs aspirations et leurs rêves.
« Chaque fois que j’y repense, la peur revient et mon cœur se remet à battre fort. Moi j’ai de la chance, grâce à Dieu, ma famille est toujours en vie. Mais Youssouf est mort. Youssouf c’est mon ami, il avait dix ans. Au moment du tremblement de terre, il a eu peur. Il s’est rapproché de la fenêtre pour crier au secours. Son grand frère a essayé de le tirer, mais il a perdu la vie », explique-il.
L’ambiance est lourde. Un silence emplit l’air, leurs regards se croisent, un hélicoptère fend le ciel. Les enfants dirigent leurs regards vers l’azur. « Moi, je serai pilote plus tard !» s’exclame Sami, les yeux pétillants d’enthousiasme. « Vendeur de poissons, peut-être !» le taquine Najib, ils éclatent de rire, puis il lui donne un petit coup amical sur les côtes, et voilà la course qui débute, leurs rires résonnent dans la rue.
« Chaque matin, se pincer pour affronter la réalité »
Notre périple se poursuit auprès des sinistrés. Nous rencontrons Halima, une jeune femme résidante aux États-Unis mais originaire du village de Talilit. Elle nous propose de nous guider vers ce petit hameau situé à 3 ou 4 kilomètres du centre d’Amizmiz, où nous allons rencontrer d’autres enfants. C’est là que nous faisons la connaissance de Oumaima, une fillette de 8 ans. Elle rêve de devenir vétérinaire et espère de tout son cœur que sa vie retrouvera un semblant de normalité.
Oumaima est la cadette d’une fratrie de deux sœurs. Aucune d’entre elles ne fréquente l’école depuis que de larges parties de leur ville natale, Amizmiz, ont été réduites en ruines .
« Je m’inquiète énormément pour mes parents : si je mourrais, je les laisserais seuls, et je ne sais pas dans quel état ils seraient ».
Oumaima, 8ans
Lorsque la terre a tremblé, Oumaima a cru qu’elle avait le vertige. Elle a instinctivement porté la main à la tête et a craint d’être en proie à une hallucination. Puis, le bruit des assiettes se brisant l’a alertée sur la réalité de la situation. « C’était terrifiant, je n’ai jamais cru vivre ça», confie-t-elle. Et d’ajouter : « J’avais déjà vu des séismes à la télévision, comme en Turquie et en Syrie. Sur les vidéos, j’ai vu des gens mourir dans ces tremblements de terre. J’ai commencé à pleurer parce que j’avais très peur. Et je m’inquiétais énormément pour mes parents : si je mourrais, je les laisserais seuls, et je ne sais pas dans quel état ils seraient ».
Son regard, empreint de tristesse et d’inquiétude témoigne de son traumatisme. Ici, à Talilit, les aides n’avaient pas encore atteint la région à notre arrivée, incitant les habitants à partager des tentes et enimproviser d’autres avec leurs couvertures.
« Au plus profond de moi, une voix s’est élevée et m’a dit : “Non, Oumaima, ta maison n’est pas entièrement détruite. Tes souvenirs la maintiennent debout »
Oumaima, 8 ans
« Au début, mes parents ne voulaient pas que je retourne chez nous. Mais j’y suis quand même repartie, ne serait-ce que pour récupérer mes sandales. C’est là que j’ai vu ma maison en ruines », confie-t-elle avec des gestes de ses petites mains avant de continuer : « Au plus profond de moi, une voix s’est élevée et m’a dit : “Non, Omaïma, ta maison n’est pas entièrement détruite. Tes souvenirs la maintiennent debout. Et c’est vrai, tous mes souvenirs sont comme des murs qui la soutiennent ».
Les bancs de l’école, autrefois source de joie, se sont mués en ombre oppressante pour elle. Lorsqu’elle évoque son retour, chaque mot qu’elle partage porte le poids de son anxiété, révélant son dilemme quant à la manière de réintégrer cet établissement. La douleur est profonde, car elle a appris la mort de certains enseignants et de ses amis.
« Plus tard, je voudrais devenir vétérinaire. Pour cela, il faudra que je retourne à l’école, mais je n’en ai pas envie car j’y serais seule. Tous mes amis sont morts ».
Oumaima, 8ans
« Plus tard, je voudrais devenir vétérinaire. Pour cela, il faudra que je retourne à l’école, mais je n’en ai pas envie car j’y serais seule. Tous mes amis sont morts », confie-t-elle en levant les yeux vers le ciel, concluant ainsi notre échange.
Halima, ainsi que les parents de ces enfants, que nous avons rencontrés ici et dans les villages que nous avons visités, témoignent du fait que ces petits font des cauchemars quotidiens et peinent à accepter la réalité de ce qui s’est produit. Le traumatisme est profondément enraciné, laissant des empreintes douloureuses dans leur esprit.
« Chaque matin, je me réveille en me pinçant pour m’assurer que tout ce qui se passe est bien réel »,
Hasnae, 13 ans
« Chaque matin, je m’éveille en me pinçant pour m’assurer que tout ce qui se passe est bien réel car j’ai du mal à accepter la réalité. À mesure que le décompte des pertes s’alourdit, mes pincements se font plus fermes »,
« Les adultes nous ont dit que derrière chaque épreuve, quelque chose de bien finit par arriver, je veux vraiment y croire ».
Hasnae, âgée de 13 ans, partage ces mots d’une voix tremblante :« Les adultes nous ont dit que derrière chaque épreuve, quelque chose de bien finit par arriver, je veux vraiment y croire », nous dit-t-elle. Tous les enfants se rassemblent autour de nous, certains rient et échangent des regards complices, d’autres prennent la pose pour des photos, et quelques-uns se lancent dans une joyeuse course.
Bien que les traumatismes soient profonds et qu’ils puissent prendre du temps pour guérir, en réalité, les besoins de ces enfants vont bien au-delà de la simple alimentation ou de la distribution de couvertures. Ils aspirent à renouer avec leur propre humanité, à retrouver un semblant de normalité dans leurs vies bouleversées par la tragédie.
Accompagnement psychologique: Une urgence
Dans cette période de reconstruction, le suivi psychologique des enfants revêt une importance capitale. Les séquelles émotionnelles peuvent être tout aussi profondes que les cicatrices physiques.
Pour le psychologue clinicien Khalid Dahmani, «l’impact d’un traumatisme, comme un séisme, sur le développement d’un enfant peut être profond. Cette détresse peut se traduire par des difficultés académiques, notamment en raison de troubles de la concentration. Les traumatismes peuvent également engendrer des troubles émotionnels tels que la dépression ou l’anxiété. Il n’est pas rare non plus de constater des perturbations du sommeil, comme des cauchemars récurrents. Certains enfants peuvent même développer des phobies persistantes, limitant ainsi leurs interactions et leur épanouissement.”
Il précise ainsi que tout l’entourage de ces enfants peut jouer un rôle crucial dans cette période. « Les parents, les enseignants et la communauté toute entière jouent un rôle déterminant dans ce processus de guérison. L’écoute active est primordiale. Chaque enfant a besoin d’un espace où il se sent en sécurité pour exprimer ses sentiments et partager ses préoccupations. Ce sentiment de sécurité peut être renforcé par le retour à une routine quotidienne, que ce soit à l’école ou à la maison, instaurant ainsi un semblant de normalité dans leur vie bouleversée».