À Rabat, les enseignants font Histoire et mat
La Coordination nationale pour l’éducation (CNE) a organisé une marche à Rabat pour exiger le retrait du Statut unifié adopté par le gouvernement. Reportage dans les allées d’une manifestation « historique ».
« L’enseignant veut faire tomber le Statut unifié », crie une foule compacte et déterminée d’enseignants devant le siège du Parlement. Il est 10h45 sur le boulevard Mohammed V à Rabat, ce 7 novembre. Les fonctionnaires de l’éducation composés de différents corps éducatifs affluent vers l’artère principale de la capitale.
Panorama éducatif
La foule est dense. Les autorités semblent avoir pris la décision de ne pas interdire cette marche comme ce fut le cas avec la précédente marche nationale du 5 octobre. Les coordinations continuent de s’organiser devant le siège du Parlement. Un peu chaotiquement pour laisser place au début du cortège.
De nombreuses catégories sont présentes : éducation informelle, cadres du soutien psychosocial, les enseignants contractuels, les enseignants de la langue amazigh, le personnel administratif et de gestion, les retraités du secteur, les titulaires du Doctorat fonctionnaires du MEN, etc. Une panoplie de coordinations et de cahiers de doléances mais aujourd’hui sous une même bannière : « La suspension et le retrait du Statut unifié ». Cette manifestation est une réussite de la CNE qui met au défi le gouvernement avec un programme d’action intensifié par trois jours de grève (7, 8 et 9 novembre).
« Cette marche est une victoire, une victoire de l’union du corps enseignant ».
Abdellah Ghmemit, de la FNE
Abdellah Ghmemit, secrétaire général de la Fédération nationale de l’éducation (FNE), courant démocratique, et une des chevilles ouvrières de la CNE, prend la parole au début du cortège installé en haut du camion transportant la sonorisation : « Cette marche est une victoire, une victoire de l’union du corps enseignant car ce n’est pas que la CNE qui manifeste aujourd’hui mais aussi les nouvelles Coordinations des enseignants des lycées et la Coordination des cadres de soutien.
« Notre seul ennemi, c’est l’Etat, c’est Benmoussa ».
Abdellah Ghmemit, de la FNE
Nous avons compris aujourd’hui que notre seul ennemi, c’est l’Etat, c’est Benmoussa (ndlr : Le ministre de l’Education nationale) », lance-t-il, près du siège de Bank Al Maghrib à Rabat, avant de donner de cette marche qui durera au moins trois heures pour atteindre le siège du ministère à Bab Rouah.
« Trahison syndicale »
Au milieu de cette marée humaine au centre-ville de Rabat difficile de trouver une place pour circuler.
Au milieu de cette marée humaine au centre-ville de Rabat difficile de trouver une place pour circuler. Durant une heure, la marche arrive à peine à démarrer.
Moussa jeune enseignant est venu de Martil, il est enseignant titulaire au collègue : « Je n’appartiens à aucun syndicat ou parti politique, mais aujourd’hui je me suis mobilisé contre le Statut. C’est une reculade sur nos maigres droits », nous dit-il avant le démarrage de la marche. La foule démarre sa marche. Quand le nom de l’actuel ministre est prononcé, il est chahuté. L’initiative est désormais entre les mains des enseignants dans ce bras de fer.
« Je n’appartiens à aucun syndicat mais je me suis mobilisé contre le Statut ».
Moussa, enseignant.
« Nous avons mené des actions symboliques comme le port de brassards rouges, des sit-in dans les écoles, mais le gouvernement n’a pas souhaité écouter nos doléances »,rappelle-t-il. Moussa est venu avec quatre-vingts enseignants de la région de Tétouan en autocar. Dans son groupe des syndiqués et d’autres non affiliés à aucune structure syndicale. La position du quatuor syndical (CDT, UMT, UGTM et FDT) est « une trahison », décrit-il. Et de préciser sa pensée : « Nous ne savons pas si c’est le ministère qu’il les a trahis ou bien ce sont eux qui ont retourné leurs vestes, mais le résultat, c’est que nous sommes face à un texte de Statut inacceptable ».
« Classes surpeuplés, conditions déplorables »
Naima est enseignante à El Jadida : « Ce sont l’enseignant et l’école publique qui sont visés par ce nouveau Statut. L’école est la colonne vertébrale de toute société », argumente-t-elle. Cette enseignante nous raconte son quotidien : « J’ai des classes de 47 élèves, des enfants qui viennent du monde rural dans des conditions déplorables, ils n’ont même pas mangé le matin, ça c’est la réalité que personne ne veut voir ». Et d’ajouter : « Dans ces conditions, on veut nous imposer le Statut de Benmoussa. C’est un texte injuste, c’est une épée de Damoclès sur l’enseignant et ça dignité », estime-t-elle.
C’est le même point de vue de son collègue Moussa : « Ce statut vise l’enseignant en premier et dernier lieu. Nous aurons à la charge plusieurs nouvelles tâches et des sanctions, sans aucune revalorisation salariale », avance-t-il.
« L’écoute psychologique sans bureau »
Hayat fait partie d’un nouveau corps au sein du MEN, les cadres du soutien psychosocial. Elle nous explique son travail au quotidien dans un lycée à Berrechid : « Je travaille dans des conditions difficiles. Faute d’un statut clair, je travaille 38heures au lieu des 21 heures, prévus par notre formation et nos tâches officielles. Je me retrouve à faire des missions de surveillance, d’attaché à la direction au lieu de m’occuper de ma mission officielle. Je ne dispose pas de bureau de travail pour l’écoute. Au sein de ce corps, nous nous demandons comment nous pourrions assurer notre mission ? », se demande-t-elle.
De leur côté les enseignants de la langue amazigh contestent la généralisation de cette langue au sein du système scolaire d’ici 2030. « Nos effectifs sont réduits, la généralisation si elle se fait elle est en train de se faire sur au dépend des droits des enseignants qui subissent une pression pour enseigner dans beaucoup trop d’établissements », proteste Hicham, enseignant de l’amazigh à Meknès.
« Enseignants sans retraite »
Parmi les plus précaires du secteur, les enseignants de l’éducation informelle au statut flou et aux droits sociaux non garantis. Mohamed Belfadil représente ce corps composé de 2000 enseignants actifs dans le rural, l’urbain et le périurbain avec des populations de retour à l’école. Il nous raconte son expérience : « J’ai travaillé durant des années en tant que contractuel, grâce à nos luttes nous avons été intégrés à la fonction publique mais nous exigeons le calcul de nos années précédente de travail dans notre pension de retraite car nous allons perdre toutes nos cotisations surtout qu’une majorité d’entre nous est proche de la retraite », explique-il.
Cette marche condense les conséquences d’années de précarisation d’un secteur.
Cette marche condense les conséquences d’années de précarisation d’un secteur et la création de multiples statuts de fonctionnaires. Une colère exprimée par les dizaines de milliers de marcheurs. Ce 7 novembre les enseignants ont écrit l’Histoire de leur mouvement. Ils ont tenté un échec et mat. Mais la partie est loin d’être gagné dans cette partie d’échecs où le gouvernement a plusieurs coups à jouer…