Quand des Marocains font Boza…
« Boza » est l’expression des candidats à l’immigration irrégulière pour exprimer la tentative de franchissement des barrières séparant Sebta et Melilla du Maroc. De manière inédite, des Marocains ont essayé de passer par la frontière terrestre à Melilla.
C’est le signe de la crise socio-économique sévère qui touche la région du Rif et de l’Oriental. « Des dizaines de jeunes originaires de Béni Ensar, Farkhana et Nador décident tous ensemble de tenter une traversée vers Melilla en sautant la barrière », indique la section de Nador de l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH). Cette tentative inédite est survenue dans la nuit du 6 au 7 novembre dernier, elle s’est déroulée sur la tristement célèbre barrière entre Bario chino et Béni Ensar.
Selon des médias espagnols, le nombre de migrants est estimé à une « centaine de Marocains tentent de pénétrer à Melilla ». Leur tentative d’accéder via la double clôture était un échec. Ils ont été repoussés par les forces de l’ordre du Maroc et de l’Espagne, à coup de gaz lacrymogènes. L’AMDH Nador s’inquiète des conséquences sur l’intégrité physique des assaillants.
« Les cas graves parmi les migrants ont été transférés à l’Hôpital Hassani de Nador »
AMDH Nador
La tentative a commencé à 23h. Ils ont escaladé la clôture à l’aide d’échelles et de cordes, mais ils ont été repoussés par les forces de sécurité espagnoles et marocaines. Ces dernières ont été fortement mobilisées. Les autorités espagnoles affirment que « deux policiers espagnols ont été légèrement blessés lors des heurts ». De son côté, l’AMDH Nador indique que des « cas graves parmi les migrants ont été transférés à l’Hôpital Hassani de Nador ».
Crise économique et contrôle des passages
« Une région délaissée après la fermeture des frontières avec Melilla »,
AMDH Nador
Pour l’AMDH Nador « cette tentative constitue un fait nouveau jamais enregistré auparavant : Il ne s’agit pas de migrants subsahariens, soudanais ou marocains des autres régions, mais de jeunes de Nador qui vivent l’exclusion, le désespoir et l’appauvrissement résultats des politiques de paupérisation des autorités contre une région délaissée après la fermeture des frontières avec Melilla et l’Algérie », explique l’ONG dans un post sur sa page Facebook.
L’autre explication c’est l’envolée des prix de la traversée par la voie maritime. « Les prix imposés par l’autre forme de migration tolérée via des fantômes ou jet-ski ont atteint plus de 10 000 euros pour la traversée et dépassent les capacités financières de cette jeunesse appauvrie et exclue », observe toujours la même source. L’AMDH Nador constate aussi que la troisième voie par la nage est devenue également surveillée. « La voie de migration des pauvres effectuée par nage vers Melilla est devenue plus difficile avec la militarisation de la plage de Boucana et de Abdouna Trifa », poursuit la même source.
Le changement des conditions d’accès pour les habitants des zones nord du Maroc vers les villes occupées de Sebta et Melilla a contribué à fabriquer cette nouvelle forme de migration irrégulière des Marocains.
À Sebta, des passages quotidiens
En mai 2021, plus de 10 000 jeunes Marocains pénètrent dans l’enclave espagnole de Sebta, après que les autorités marocaines aient relâché les contrôles à la frontière. Ces incidents ont provoqué une crise diplomatique entre l’Espagne et le Maroc.
« C’est quotidien et c’est devenu une routine ».
Mohamed Benaïssa, l’Observatoire du Nord pour les droits de l’Homme (ONDH)
Depuis cet épisode spectaculaire, la migration des Marocains depuis Sebta est devenue monnaie courante. « C’est quotidien et c’est devenu une routine », observe Mohamed Benaïssa, président de l’Observatoire du Nord pour les droits de l’Homme (ONDH). Dans cette zone, la traversée la plus prisée reste des départs depuis les plages de Fnideq pour atteindre la ville occupée. Selon notre source, « les autorités des deux côtés ont renforcé les contrôles avec divers moyens. Drones, personnel, grillages, mais les tentatives sont quasiment journaliére », poursuit-il. Le profil de ces jeunes est le suivant : « Il s’agit de jeunes dont l’âge peut aller de 16 à 40 ans, avec des conditions sociales précaires ou pauvres. Beaucoup parmi eux vivent à côté de la frontière », « Les causes sont connues de tous, nous avons un problème endémique du chômage, la perte d’activités en raison de la fin du commerce transfrontalier », énumère ce responsable associatif. Ce dernier ajoute un autre facteur qui attire les migrants vers les deux villes : « Sebta est devenue une ville comme l’Espagne. Atteindre Sebta, c’est comme atteindre le continent européen. Cela rend attractive l’arrivée à la ville ».