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Kelaa M’Gouna : floraison, résilience et sagesse climatique

Nichée au milieu de la beauté intemporelle des montagnes de l’Atlas, Kalaa M’Gouna séduit par son histoire intrigante et la ténacité de ses habitants. Les femmes mobilisent des ressources ancestrales pour faire face à la sécheresse.

Par Jihane Ziyan

« Tighremt N’mgunen », la « Forteresse des M’gouna », comme son nom amazigh l’indique, porte en elle les échos d’une époque révolue, préservant la mémoire de la tribu M’gouna. Au fil des siècles, ce village a cultivé un lien profond entre ses habitants et les paysages escarpés qui les accueillent. Le cœur de cette communauté est imprégné de traditions, un héritage culturel remarquable inhérent à la terre qui le berce. Au cœur de ce patrimoine, le Festival des roses est une célébration annuelle qui a lieu au mois de mai et qui rend un hommage exaltant à la récolte de la Rosa damascena.

Néanmoins, en cultivant des amandes, des noix, des abricots, des pêches, des figues et du raisin, ce village merveilleux ne dépend plus que des roses pour préserver sa réputation. Kelaa M’Gouna est devenue un centre commercial vivant, où les richesses de la nature sont transformées en produits cosmétiques raffinés mettant en valeur les roses très prisées de la région. Au milieu d’un paysage ancien et aride, le village conserve des joyaux architecturaux comme les kasbahs, les ksour et les zaouïas, témoins vivants d’un temps révolu. Pourtant, plusieurs trésors architecturaux sont aujourd’hui à l’abandon, leurs échos historiques s’estompant, fatalité de l’implacable marche du temps.

Ksar Mirna, situé dans la vallée des roses, incarne le génie du patrimoine architectural de la région, témoignant à la fois de son passé omniprésent et de son avenir fragile. La diversité s’épanouit dans le village, avec ce qui reste des Mellahs, ces quartiers autrefois très animés des communautés juives. Leurs synagogues et leurs cimetières témoignent de l’histoire séculaire de la coexistence multiculturelle du village. Au milieu de ces merveilles historiques, les « Jnanate », petites oasis verdoyantes, sont disséminées dans toute la région. Ces poches de vie pittoresques parsèment le paysage, centrées autour des puits, qui sont l’élément vital de la communauté. Les maisons, construites selon des techniques traditionnelles et ornées d’argile, reflètent l’interaction harmonieuse entre l’homme et la nature. Les « Jnanate » sont une garantie de subsistance et un témoignage du lien durable entre les habitants de Kelaa M’Gouna et leur terre. 

Néanmoins, comme beaucoup d’autres endroits dans le monde, Kelaa M’Gouna est confrontée à un antagonisme redoutable : le changement climatique. Avec la hausse de la température, la baisse de la pluviométrie et le rallongement des saisons sèches, le mode de vie traditionnel de la communauté est menacé. Le soleil est devenu brûlant, avec des températures qui atteignent fréquemment 40°C, voire plus. 

Ce paradis connu pour ses roses, ses amandes, ses figues et autres fruits se retrouve aujourd’hui dans une situation précaire. Le climat des hauts plateaux de la région n’est pas étrange aux fragrances de la rose, une plante délicate qui s’épanouit à une température d’environ 21°C. Les fruits des zones tempérées, comme les amandes, les figues, les noix et les pêches, ont également besoin d’une température variant entre 25 et 30°C pour se développer de manière idéale. Pourtant, la chaleur est obstinément excessive, menaçant les récoltes abondantes que ces bosquets offraient depuis des générations. « Les Jnanate » ne sont plus ce qu’ils étaient… Je me souviens que nous sortions et ramenions deux à trois seaux de figues et de noix par jour », se souvient une femme qui ramasse soigneusement des figues et des abricots dans un Jnan. 

L’eau, ou plutôt le manque d’eau, ne fait que renforcer l’urgence des défis de la région. Le climat changeant intensifie l’évaporation, amplifiant le stress sur les ressources en eau locales. Les puits et les réservoirs de la région sont menacés d’assèchement. Avec des sécheresses de plus en plus fréquentes et prolongées, la région se transforme en poussière aride.

L’art féminin des Khettarat

Kelaa M’Gouna n’est pas un village ordinaire. Ici, la résilience est un trait de caractère profondément ancré, et les femmes de la communauté sont des héroïnes. Elles sont les gardiennes de leur environnement et de leur patrimoine culturel et mènent le changement face à un climat en constante évolution. Afin de mieux comprendre comment les femmes de Kelaa M’Gouna s’appuient sur leurs pratiques ancestrales pour faire face à ces défis induits par le climat, nous avons fait appel à Widad Sadouk, experte en résilience et en adaptation au changement climatique. 

Dans ces territoires, les hommes et les femmes ont des rôles différents. Les femmes jouent un rôle crucial dans l’économie locale, notamment grâce à des activités telles que la culture des roses, qui requiert des compétences transmises de génération en génération. Elles ont lancé des projets d’agro-écologie pour lutter contre la pénurie d’eau et l’épuisement des sols. Elles associent aussi les connaissances traditionnelles aux pratiques fondées sur la recherche pour harmoniser le développement agricole, préserver l’environnement et protéger la biodiversité. 

Les femmes de la région ont hérité de leurs ancêtres l’art de la conservation de l’eau et de la gestion durable des cultures. De nombreuses techniques sont utilisées pour conserver les précieuses ressources en eau. Widad Sadouk met en avant l’usage d’un héritage vieux de plusieurs siècles, le « Khettara » ou « Qanat », un système complexe de tunnels souterrains né de la sagesse des générations passées. Ces anciennes merveilles acheminent l’eau depuis les sources de la montagne, apportant à la terre une ressource indispensable à la vie. Ce sont les femmes qui en sont les gardiennes et qui veillent à la durabilité de ces structures vitales. Pour dompter la chaleur torride et préserver leurs récoltes délicates, les femmes ont recours à la sagesse de leurs ancêtres.


Sur cette terre, les habitants ont depuis longtemps adopté la pratique du paillage, une technique qui
consiste à recouvrir le sol de matériaux organiques tels que la paille ou les feuilles mortes. Cette
pratique ancestrale protège les racines du soleil brûlant et préserve l’humidité du sol. Il s’agit d’une
technique qui a résisté à l’épreuve du temps et qui permet de conserver les récoltes. Quelle est leur
arme secrète pour prospérer au milieu de ces températures élevées ? La diversification. « La
préservation des pratiques traditionnelles est une leçon dont nous pouvons tous nous inspirer »,
nous explique Widad Sadouk. En effet, leurs ancêtres ont mis en place une seule alternative, mais les
femmes de Kelaa M’Gouna en ont choisi d’autres. Elles expérimentent des cultures qui tolèrent la
chaleur et résistent à la sécheresse, comme les cactus. Certaines femmes explorent même de
nouvelles variétés de fruits qui défient la chaleur rampante.

La force des communautés

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car la collaboration est de mise, les femmes travaillent ensemble sous le soleil brûlant, leur lien étant aussi fort que les montagnes qui abritent leurs demeures. Il s’agit d’une communauté qui s’unit et qui veille à ce que ses pratiques traditionnelles s’adaptent à un monde en mutation. Les femmes de Kelaa M’Gouna ont ainsi adopté leur sagesse ancestrale, et l’ont conjuguée avec des méthodes modernes pour diversifier la production agricole et gérer efficacement les ressources. 

Dans leur lutte contre le changement climatique, leur capacité d’adaptation et leur succès dans la préservation de leurs traditions sont des leçons précieuses pour les régions du monde aux prises avec ce grave problème. En passant devant un Jnan, une mélodie enchanteresse vous transporte, l’œuvre des femmes qui chantent, à l’unisson, des ballades et des poèmes amazighs pour oublier le soleil accablant et les longues heures de récolte. C’est ce que nous appelons « Timnadin », un genre poétique commun à toute la région du sud-est. En outre, les femmes jouent un rôle important dans divers aspects de l’agriculture, notamment en s’occupant du bétail et en participant à la récolte.


Elles ont joué un rôle déterminant dans le maintien des pratiques agro-écologiques, qui comprennent la production de semences locales, la rotation des cultures et la production d’engrais organique. À Kelaa M’Gouna, les associations et les coopératives féminines jouent un rôle essentiel dans la culture des roses, offrant des opportunités d’emploi et favorisant le développement local. Les produits de ces coopératives, tels que l’eau de rose et les huiles essentielles, sont commercialisés au niveau local et international. 

Dans ces histoires de durabilité et d’adaptation, il y a un message pour le monde, un message d’espoir né des femmes de Kelaa M’Gouna. Ces gardiennes de l’environnement sont les phares du changement, mêlant l’intemporel au moderne, s’inspirant de pratiques ancestrales tout en adoptant des techniques contemporaines pour prospérer. La résilience de la région témoigne du lien durable entre l’être humain et son environnement.

Ces enseignements tirés des communautés traditionnelles, qui ont dû relever des défis pour sauvegarder leurs terres et leur patrimoine, nous montre précieusement comment lutter contre les effets multiformes du changement climatique dans le monde entier. Ils soulignent la nécessité de reconnaître et de faire appel à la sagesse dans la lutte contre le changement climatique. Les récits de Kelaa M’Gouna sont porteurs d’un message d’espoir pour le monde, né de la résilience de ses femmes. Puisant leur sagesse dans les pratiques ancestrales, elles adoptent des techniques contemporaines non seulement pour survivre, mais aussi pour s’épanouir dans leur environnement. Leurs histoires témoignent du pouvoir durable de la sagesse traditionnelle, de la force des communautés et de l’esprit d’innovation d’une nation. Les femmes de Kelaa M’Gouna ont tiré de leurs pratiques ancestrales un modèle de résilience climatique, qui servira de guide à d’autres personnes confrontées à des défis similaires dans un monde en constante évolution.

Jihane Ziyan, spécialiste en communication, est titulaire d’un master en études de communication et
des médias, ainsi que d’une licence en études audiovisuelles et cinématographiques.

Ce reportage a été réalisé dans le cadre de la session Openchabab Environnement, avec le soutien de
la Fondation Heinrich Böll.

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