Zagora, symbole de l’injustice climatique au Maroc
Zagora au Maroc est une ville qui se trouve à la croisée des vents du désert et des défis imposés par les changements climatiques. Reportage.
Par Imane Bellamine (Texte) et Anass Laghnadi (vidéo), envoyés spéciaux de ENASS.ma* à la province de Zagora
Jadis port d’attache pour les caravanes commerciales traversant le Sahara, aujourd’hui, la cité oasis est confrontée à une réalité nouvelle et pressante : l’impact du changement climatique sur son écosystème fragile. Située aux portes du désert, Zagora, localité de plus de 30 000 habitants, se trouve à près de 700 km de Rabat, par-delà les massifs de l’Atlas.
La pastèque de la soif
Cette région est le théâtre de scènes déconcertantes qui relatent de manière poignante les changements climatiques et ses effets. La pénurie d’eau se manifeste de manière tangible, marquée par des vagues de protestations contre la soif qui ont ébranlé la communauté locale en 2017 et 2018. Notamment, des causes anthropiques comme l’agriculture de pastèque qui émerge comme une cause majeure de perturbation, contribuant à la détérioration des nappes phréatiques.
Les vagues successives de sécheresse ont ensuite amplifié les défis déjà présents. Les oasis verdoyantes, autrefois considérées comme le poumon vital de Zagora en fournissant l’essentiel en eau et en ressources agricoles, sont maintenant confrontées à des obstacles sans précédent. Les températures en hausse, les schémas de précipitations devenus imprévisibles et la menace croissante de la désertification mettent en péril l’équilibre délicat entre l’homme et son environnement. C’est un récit saisissant qui met en évidence la vulnérabilité de la vie dans cette région face à une crise climatique implacable, exacerbée par des pratiques agricoles inadaptées.
A M’hamid, disparition des Oasis
Situé au sud de la chaîne de l’Atlas, le bassin du Draâ s’étend sur environ 1 200 km, entre les sommets du Haut Atlas calcaire qui s’élèvent à plus de 4 000 mètres d’altitude, et l’embouchure de l’oued à l’océan Atlantique. Le lit de l’oued, composé d’une série de palmeraies successives, ayant une largeur de moins de 5 km (Mezguita, Tinzouline, Ternata, Fezouata, Ktaoua et M’hamid), constitue l’espace central où se concentrent les activités humaines et les habitations.
Nous entamons notre périple en direction de M’hamid El Ghizlane, accompagnés de membres de l’association Les Amis de l’environnement de Zagora (AEZ) qui nous dévoile que cette région fut autrefois l’une des plus opulentes en termes de palmiers. Cependant, elle a subi de plein fouet les conséquences dévastatrices des vagues de sécheresse, accentuées par des projets qui ont également précipité ces changements climatiques. Les ravages de ces phénomènes sont désormais palpables, témoignant d’une transformation rapide et néfaste pour cette région autrefois florissante.
« Si on avait assez de pluie et que le climat devenait plus clément, si l’eau affluait régulièrement dans le barrage de Mansour Eddahbi, alors cette région pourrait répondre aux besoins en sécurité alimentaire de l’ensemble de la région de Zagora » nous explique Mohamed Rizkou, président de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) à Zagora.
Et d’ajouter: « En évoquant les oasis de Ktaoua, on se trouve devant l’une des plus vastes oasis situées entre les deux pôles de Fazouata et Mhamid. C’est un territoire fertile, orné de palmiers, et il représente la première source de dattes et de céréales de la région ».
Les conséquences se font ressentir aujourd’hui, accentuées par l’impact des changements climatiques et les périodes continues de sécheresse qui ont contraint la population à migrer.
Malheureusement, ces dernières années, la région a subi d’importants dégâts causés par la sécheresse et les ravages du soleil. « Les conséquences se font ressentir aujourd’hui, accentuées par l’impact des changements climatiques et les périodes continues de sécheresse qui ont contraint la population à migrer, cherchant de meilleures conditions de vie dans différentes zones de la ville de Zagora. Cette migration a contribué à la création d’une population parmi les plus pauvres et marginalisées » affirme ,Rizkou président de l’AMDH Zagora.
Tout au long des 98 kilomètres de la route entre Zagora et M’hamid El Ghizlane, les impacts visibles des changements climatiques sont évidents dans la région. Les terres arides témoignent de ces changements, avec seulement quelques arbres réputés pour leur adaptation au climat local. Cependant, à mesure que l’on s’approche des oasis, la réalité frappante se dévoile : la plupart d’entre elles sont asséchées, mortes, dépourvues d’eau.
Les terrains ressemblent désormais à des vestiges d’une vitalité passée, rappelant un écosystème autrefois florissant. Les arbres autrefois verdoyants ont cédé la place à une sécheresse implacable. Il est remarquable de constater que tout au long de ce trajet, on ne voit presque plus d’agriculteurs, signe supplémentaire des défis que pose le changement climatique.
« Les habitants ne dépendent plus de ces oasis; personne ne peut compter sur les palmiers pour sa subsistance»
Allal Benhedda, résident de la région M’hamid.
« Les habitants ne dépendent plus de ces oasis; personne ne peut compter sur les palmiers pour sa subsistance. Plus d’eau signifie inévitablement la disparition de la vie dans les oasis, et par conséquent, une absence de population dans cette région », nous explique Allal Benhedda, un vieil homme âgé de plus de 80 ans, avec une note de tristesse dans sa voix.
Et d’ajouter : « Autrefois, ces oasis étaient la source de vie de M’hamid. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une pénurie d’eau, ce qui a grandement affecté notre mode de vie. Peu de gens travaillent dans cette industrie désormais. Ceux qui survivent aujourd’hui sont ceux qui ont un membre de la famille travaillant ailleurs pour subvenir aux besoins. Autrement dit, personne ne peut plus compter sur les oasis pour assurer sa subsistance ».
«Un jour, nous prenons nos adieux. Les enfants manifestent leur refus de rester ici, et je m’imagine que nous les rejoindrons un jour pour partir vivre ailleurs. Nous n’avons pas vraiment le choix de toute façon», conclut-il, mettant ainsi fin à notre conversation sur le triste constat d’un départ imminent de leur terre.
Un Hirak de la soif
«ce fut l’un des moments les plus difficiles pour les habitants de cette région».
Rizkou, président de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) à Zagora.
En 2017, la région de Zagora a été le théâtre de ce que l’on a appelé les “manifestations de la soif”, où les habitants ont protesté de manière régulière contre les coupures d’eau incessantes.
«Vivre sans eau est un enfer !», se remémore Rizkou, président de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) à Zagora.
Et d’ajouter : «ce fut l’un des moments les plus difficiles pour les habitants de cette région, une souffrance quotidienne ajoutée à une vie déjà insupportable dans une région déjà marginalisée, exacerbée par la crise de l’eau».
«Ce Hirak était l’un des moyens de protester contre les conditions de vie de la population du sud-est et constituait l’un des premiers indicateurs des impacts des changements climatiques dans cette région».
Rizkou, président de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) à Zagora.
«Pour se faire entendre, nous avons organisé plusieurs manifestations pacifiques, d’abord tolérées par les autorités au début. Cependant ces manifestations connaîtront une répression par la suite par les forces de l’ordre qui sont intervenues pour disperser une marche et ont interpellé plusieurs personnes, poursuivies pour “participation à une manifestation non autorisée »,ajoute le représentant de l’AMDH.
«Ce Hirak était l’un des moyens de protester contre les conditions de vie de la population du sud-est et constituait l’un des premiers indicateurs des impacts des changements climatiques dans cette région. Cela a été une période délicate pour la région et les militants de Zagora».
«Le temps a passé, mais on observe de plus en plus les dégâts de ces projets qui ont détruit cette région, notamment cette agriculture de pastèque qui était la source de cette pénurie d’eau», conclut-il.
Si les manifestations de soif ne sont plus d’actualité, ces dernières années, nous avons assisté à plusieurs manifestations dans la région. Notamment, des agriculteurs des oasis ont protesté contre l’agriculture des pastèques, accusée d’avoir détruit les nappes et impacté négativement les oasis. Lors de ces manifestations, les agriculteurs ont brandi des pancartes sur lesquelles était écrit : «La pastèque est l’ennemie des oasis».
Ainsi, ces mouvements sociaux qui s’est élevés dans cette région aride est bien plus qu’une contestation ordinaire des changements climatiques et des impacts des politiques agricoles non réfléchies mais il résonne comme une sonnette d’alarme stridente, avertissant du péril imminent qui guette la région.