Assidon : « L’infiltration israélienne au Maroc est dangereuse »
ENASS.ma reçoit pour son émission mensuelle L’INVITE, Sion Assidon, coordinateur du Mouvement Boycott Désinvestissement et Sanctions (BDS Maroc) et membre fondateur du Front pour la Palestine, et contre la normalisation. Dans cette interview, l’activiste marocain pour la cause palestinienne revient sur l’actualité à Gaza et la nécessité de rompre les relations avec l’entité criminelle, Israël. PARTIE I.

Qui est Sion Assidon ?
Né en 1948, année de la Nakba, à Agadir, Sion Assidon est un homme en lutte. Arrêté et emprisonné pour ses engagements de militant révolutionnaire, il quitte les geôles de Hassan II après 12 ans passés derrière les barreaux. Depuis, Assidon inscrit ses luttes pour l’Etat de droit, la transparence publique et la Palestine. En 2010, il lance avec d’autres citoyens le chapitre marocain du Mouvement Boycott Désinvestissement et Sanctions (BDS Maroc)
Du militant infatigable, il nous donne rendez-vous à Casablanca à 20h du soir. Malgré une longue journée de travail, il tient à nous recevoir pour parler de la Palestine, de Gaza, et du renouveau que connait le mouvement de boycott au Maroc et dans le monde.
Du militant infatigable, il nous donne rendez-vous à Casablanca à 20h du soir. Malgré une longue journée de travail, il tient à nous recevoir pour parler de la Palestine, de Gaza, et du renouveau que connait le mouvement de boycott au Maroc et dans le monde.
Depuis le 7 octobre, il enchaine manifestations, meeting et interviews. Avant de commencer notre discussion, il sort sa Koufia Palestinienne pour la porter, « c’est un cadeau d’un camarade palestinien », nous dit-il fièrement. Durant une heure, il déploie arguments et exemples pour tirer la sonnette d’alarme sur les dangers de ce qu’il préfère appeler l’infiltration, au lieu de normalisation, israélienne au Maroc.

ENASS : Depuis l’opération Déluge Al Aqsa le 7 octobre 2023, les Marocains participants activement à des campagnes de boycott spontanées des produits sionistes ou de marques internationales soutenant ouvertement la colonisation. Trois mois après, quel bilan faites-vous de ces actions spontanées ?

Sion Assidon : D’abord, nous assistons à un fort intérêt pour notre mouvement BDS Maroc, avec des demandes d’adhésionpartout au Maroc. Le plus intéressant à noter c’est que ce sont des jeunes et des moins jeunes qui se lancent dans le boycott comme une éthique individuelle. C’est une manière d’exprimer un refus à l’égard de la décision des autorités marocaines d’établir les relations avec l’occupation. Les citoyens disent clairement « nous on ne vous suit pas ». L’opération Déluge d’Al Aqsa a donné beaucoup d’élan aux jeunes pour de nouveau s’intéresser à la Palestine. La cause palestinienne est revenue au centre de la politique marocaine et internationale.

ENASS : Comment inscrire ce boycott dans la durée,sachant que vous affrontez des multinationales qui ont la force de l’argent et de la communication ?
Sion Assidon : La philosophie de BDS s’appuie sur des campagnes à longs termes. Les appels qui nous viennent de la Palestine nous disent, voici les dossiers à long terme. BDS Maroc n’est pas impliqué dans toutes les campagnes ni dans plusieurs domaines dont celui du désinvestissement. Le Boycott spontané est un pont entre les campagnes à long terme de BDS et cet élan citoyen. A partir de ce contexte, nous appelons les gens à s’impliquer dans des campagnes sur le long terme.

ENASS : Quelles sont ces campagnes à long terme de BDS Maroc
Sion Assidon : Nous avons cinq campagnes en ce moment. La première est une campagne historique, celle du boycott des dates de l’occupation, des produits qui sont en train de changer de circuits. La deuxième concerne la marque sportive « Puma » qui est l’équipementier de l’équipe de l’occupation jusqu’à l’an dernier et de la sélection marocaine. La troisième campagne est celle contre « Carrefour ».
Carrefour est présente à travers un franchisé en Palestine, dans les territoires de 1948 et 1967.
En plus de l’implication de cette marque dans des actions de soutiens conjoncturels à l’armée de l’occupation depuis l’agression, Carrefour est présente à travers un franchisé en Palestine, dans les territoires de 1948 et 1967. En pleine agression, le patron de Carrefour dans le monde inaugurait avec Netanyahou, 25 nouveaux magasins dans les territoires de 1948. Ce sont les raisons pour lesquelles nous appelons au boycott de Carrefour, bien que ce ne sont pas les mêmes franchisés dans tout les pays. La quatrième campagne est contre la marque « AXA », qui à travers son fonds d’investissement, l’entreprise française a investi dans Elbit Systemes, société de fabrication de matériels militaires pour l’occupation. Au passage cette entreprise vient d’annoncer deux usines au Maroc, à Settat et Casablanca. Notre message à nos concitoyens, est que vous avez le choix entre AXA et une autre compagnie d’assurance présente au Maroc.

ENASS : Vous avez dit qu’il y a des demandes d’adhésion en hausse. Quelles genre d’informations vous demande-t-on maintenant à BDS Maroc de la part des citoyens ?
Sion Assidon : Nous recevons beaucoup de messages de personnes à la recherche de guidance et d’informations sûres. Beaucoup de jeunes veulent nous rejoindre, d’autres personnes sont prêtes à suivre les appels au boycott, ce qui est très encourageants.
ENASS : Comment évolue les relations de normalisation avec l’occupation, trois ans après les accords de décembre 2020 ?

Sion Assidon : On peut observer les choses sous deuxdifférents angles. La première observation serait à travers un regard historique. Le Maroc a commencé la normalisation dès 1961 à travers l’organisation de l’exil d’une partie de la population marocaine appartenant aux communautés marocaines juives vers la Palestine. Ces personnes sont passés de citoyens marocains à des occupants du territoire de Palestine et qui portent les armes contre le peuple palestinien ainsi que contre les peuples arabes. Ce sont des débuts rapides dont les liens sont tissés avec le sionisme. Dans la suite des évènements, c’était beaucoup plus un travail de collaboration avec les services de renseignement. Je retiens rapidement l’enregistrement des travaux du Sommet arabe de 1965. Il s’agit de l’enregistrement intégral pour les services de l’occupation des séances plénières et des discussions dans les chambres. Les services secrets del’occupation devaient faire les enregistrements, mais ce sont les Marocains qui assureront qu’ils occuperaient de cette tâche. Les services de l’occupation et en toute reconnaissance ont donné un coup de pouce en aidant à l’assassinat de Mehdi Ben Barka. La collaboration s’est poursuivie avec l’achat de matériel militaire et électronique.
ENASS : La normalisation sur le plan économique avance très rapidement aussi…
Sion Assidon : Les échanges économiques se sont mis en place depuis plusieurs années. Une entreprise de transit maritime de l’occupation ZIM dispose d’une filiale marocaine, ZIMAG, qui organise le transport entre Haifa et Casablanca puis Haifa et Tanger. Cette compagnie est en charge du matériel militaire de l’armée de l’occupation.
La normalisation économique, agricole, financière s’ajoute à la normalisation politique de différentes formes.
A cela s’ajoute les formes de normalisation économiques, agricoles, financières, qui s’ajoutent à la normalisation politique de différentes formes.
Les accords de décembre 2020 ont multiplié par 10 les volumes des échanges avec l’occupation, au front on appelle cette vague, un Tsunami.
Les accords de décembre 2020 ont multiplié par 10 les volumes des échanges sur tous les plans. Cette explosion dans le Front onl’appelle le Tsunami.
ENASS : Mais pourquoi le terme « normalisation » n’est pas approprié selon vous pour décrire ce moment

Sion Assidon : Ce qui me gêne est que l’accord de décembre 2020 aboutit à un accord de coordination militaire, qui prévoitnon seulement l’achat des armes mais également la coordination. Nous n’avons pas les détails de cet accord. Peut-être qu’un jour ils nous demanderont l’envoi de « goum »soldats. C’est dur à dire en tant que Marocains, notre pays s’est allié avec une armée qui sait commettre des crimes à Gaza et en Palestine. Nous préférons à la normalisation, celui du Boycott. Cet acte à une longue histoire. Depuis les années 20, les Palestiniens ont boycotté les sionistes, puis suivra le boycott total par les pays arabes. Une normalisation est le viol du boycott, or aujourd’hui, nous sommes à un degrés de coopération touchant les services spéciaux et l’armée.

Nous avons clairement dépassé la simple normalisation. Quand Netafim [ndrl : entreprise israélienne spécialisée dans l’agriculture et installée au Maroc depuis plusieurs années] fait du Maroc sa tête de pont pour aller vers d’autres régions de l’Afrique. A ces niveaux, on peut parler d’une infiltration du sionisme et de l’occupation au Maroc et en Afrique.
Arrêtons le flux d’infiltration du sionisme au Maroc. Arrêtons de coopérer avec des criminels de guerre et des criminels contre l’humanité.
Le mot d’ordre : arrêtons le flux d’infiltration du sionisme au Maroc. Arrêtons de coopérer avec des criminels de guerre et des criminels contre l’humanité.
ENASS : Le milieu des affaires vous rétorquerait que « c’est du business ». En d’autres termes, comment convaincre les citoyens marocains du bien-fondé du Boycott ?
Sion Assidon : Ma réponse est celle que nous courons un vrai danger stratégique avec cette infiltration. Je rappelle qu’il s’agit là d’une coopération avec une entité qui commet des crimes de guerre, un nettoyage ethnique et un génocide. Ma crainte, c’est qu’aujourd’hui ce tsunami qu’est cette infiltration touche à notre identité. Oser organiser des débats dans les lycées pour faire circuler la propagande autour de l’existence « d’une diaspora de 1 million de marocains », décrétée par l’Etat et que ces gens œuvreraient pour « la coexistence » mais portent atteinte à l’identité Marocaine. Ce récit a été par ailleurs démenti au 7 octobre par le génocide mené par l’occupant. L’infiltration prend des formes extrêmeset perverses.

Les investisseurs issus de l’occupation viennent pour acheter ou louer des terrains pour en faire des dattes à Errachidia et sa région. D’autres viennent investir dans la culture de l’avocat à Sidi Kacem. Ce type d’investissement est dangereux car ils sont en train de pomper toutes les ressources hydriques des nappes phréatiques et appauvrissent les sols de ces régions.
ENASS : Vous fustigiez aussi les choix stratégiques de cette alliance avec Israël. Pourquoi ?
Sion Assidon : C’est un choix extrêmement dangereux. Militairement, et en cas de conflit avec l’Iran, le Maroc serait entrainé dans un conflit dangereux. D’autant plus que les prétextes présentés pour justifier cette relation sont fallacieux. La loi sur la nationalité de 1958 est tout fait clair : Toute personne travaillant pour une armée étrangère perd sa nationalité marocaine. Maintenant, l’Etat marocain en tant que principal artisan de cette opération de déplacement menée dans les années 2000 sera bien sûr le dernier à appliquer sa propre loi. Cette alliance est fallacieuse sur le plan politique, cette alliance est menée avec des criminels de guerre qui agressent des populations civiles.