Bensaïd Aït Idder : lutter dignement, mourir debout
Mohamed Bensaïd Aït Idder est une grande figure de la résistance marocaine et maghrébine. Il est décédé ce matin du 6 février 2024. Ci-dessous un témoignage d’une rencontre avec le Dernier des justes.
C’était en 2009. C’est certainement le trajet Casablanca-Rabat le plus marquant que j’ai fait de ma vie. Si Bensaïd Aït Idder nous a accompagné cette année-là pour assister à un meeting de solidarité avec les prisonniers politiques du mouvement social de Sidi Ifni. Cette rencontre de solidarité était organisée au Club des avocats à Rabat par le Comité national pour la libération des prisonniers politiques de Sidi Ifni.
La révolution comme une simplicité volontaire
Souad Guenoun, réalisatrice et membre d’ATTAC, a convenu avec le résistant Bensaïd Aït Idder de l’emmener en voiture de Casablanca jusqu’à Rabat. J’y étais de ce déplacement. J’avais 27 ans, je venais d’intégrer l’association et le monde militant marocain. J’étais un jeune journaliste et militant aux anges pour deux raisons. La première est de côtoyer de près le dernier des « Zaim » de la résistance armée marocaine. La seconde est de pouvoir compter sur son précieux soutien pour la cause des prisonniers politiques de Sidi Ifni.
En tant que membres de l’association ATTAC Maroc, nous étions désespérément à la recherche de soutiens pour cette cause. Les principales organisations associatives, politiques et syndicales évitaient de trop s’impliquer dans ce combat. Sidi Ifni était un dossier « trop compliqué, trop politisé », prétextaient certains lâches. A l’opposé, Ait Idder n’avait pas hésité une seconde à apporter son soutien aux prisonniers politique sous la Nouvelle ère. Son soutien était effectif, sur le terrain. Notre voyage militant dans le temps démarre.
Feu Ait Idder est le premier à se lancer dans la discussion. Il nous raconte les gloires de la résistance armée des Ait Baâmrane. Il nous parle des négociations de l’alternance politique, sous le régime de Hassan II. Il nous évoque son refus de courber l’échine et baiser la main du roi Hassan II. Et il revient longuement sur ses interpellations posées au parlement sur l’existence du camp secret de Tazmamarat. La question posée en 1994 était la première posée par une personnalité publique marocaine dans l’espace public au Maroc en pleine Années de plomb. Les péripéties de cette question pour l’Histoire sont nombreuses. Il nous avait dit comment les Ittihadis l’avaient lâché à la dernière minute. Et de quelle manière Fathallah Ouallalou a commencé à marchander avec lui pour le convaincre à ne pas poser sa question. Ait Idder nous avait dit humblement : « J’ai fait mon devoir, et c’est tout. Il n’y a eu pas nécessairement beaucoup à épiloguer sur le bienfondé de poser cette question. Ma décision était déjà prise. Je savais les risques à prendre », conclut-il avec un large sourire. J’écoutais l’homme raconté toutes ces histoires qui ont contribué à des changements dans la trajectoire politique du Maroc avec une simplicité volontaire.
Ne jamais courber l’échine
Ait Idder a fait de la clarté et du courage simplement ses lignes de conduite.
A la politique comme atermoiement, à la politique comme jeu de coulisses et de trahisons permanentes, Ait Idder a fait de la clarté et du courage simplement ses lignes de conduite.
Briser l’omerta de Tazmamarat, refuser de courber l’échine au sens propre et figuré à Hassan II.
Briser l’omerta de Tazmamarat, refuser de courber l’échine au sens propre et figuré à Hassan II,
Refuser une transition politique confortant un régime absolutiste.
refuser une transition politique confortant un régime absolutiste, et tout ça selon une ligne de conduite apaisée, sans brouhaha, sans un excès de théorisation et de jargonnage inutile. La résistance de Ait Idder est limpide, souriante, marocaine. Au béret révolutionnaire et guévariste, Ait Idder portait un tarbouch maghrébin, signe d’une résistance à la bourgeoisie au tarbouch rouge dicté par le Makhzen. Dans ces moments d’hommages, beaucoup tenteront de s’approprier l’homme et faire une lecture réductrice ou biaisée de son héritage intellectuel et politique, c’est normal car beaucoup se retrouvent dans cette figure paternelle de la résistance marocaine.
Ait Idder est un bien commun marocain et maghrébin.
Ait Idder est un bien commun marocain et maghrébin. Il est l’homme de la résistance nationale, l’homme de la résistance radicale et armée. Il est le militant opposé farouchement au régime de Hassan II. Il est le synonyme d’un marxisme marocain. Il est la figure d’une gauche honnête, une gauche qui ne trahit pas ses principes, ni ses bases. Une gauche possible mais qui ne court pas derrière les postes et les opportunistes. Jusqu’au dernier souffle, Ait Idder part avec les honneurs, sur les épaules de ses camarades et ses concitoyens comme un homme juste.