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Extension du champ de la mixité

Dans un passionnant et vivant essai, la socioanthropologue Sana Benbelli analyse les trajectoires des femmes serveuses dans les cafés des quartiers populaires de Casablanca. Sa réflexion sur les relations de service éclaire enjeu d’émancipation.

Il a dû lui en falloir du temps, à Sana Benbelli, pour saisir avec nuance les subtilités des relations entre femmes et hommes au café. Et pas n’importe quels cafés : ceux des quartiers populaires de Casablanca, un à Sbata, un à Hay Mohammadi et un à Aïn Chok. Des établissements urbains, qui ne sont ni des mahlaba ni des snacks, ni des restaurants et encore moins des bars, et qui accueillent une clientèle masculine en quête de détente, de partages sportifs et de rinçage d’œil. Un lieu par définition qui interroge la frontière entre public et privé, et où se joue, depuis l’arrivée dans la profession de serbayât, garsonât ou de servourât, un brouillage entre univers masculin et féminin. C’est donc un vaste sujet dans lequel Sana Benbelli se plonge pour mieux en démonter les stéréotypes et en faire voir les dynamiques.

Compétences et ouvertures

Sana Benbelli

Ce qui rend cette étude si agréable à lire, c’est qu’elle croustille de propos piquants, sans jamais manquer d’empathie et de respect envers les personnes dont la chercheuse recueille la parole. Elle n’hésite pas à raconter ce que sa propre présence a provoqué : « Que fait cette femme dans le café ? » a-t-elle souvent entendu de la part d’une clientèle d’habitués surpris de sa présence. Avant d’être respectée pour son statut et d’entendre des gens se reprendre entre eux : « Hdi fommok rah lostada m‘ana (surveille ta langue car la professeure est parmi nous) » !

Métier « modeste », rarement choisi, la profession de serveuse est vécue comme un moyen d’émancipation, qui par l’accès à un métier rémunéré (même mal), permet aux femmes de renégocier leur statut dans leur famille, de sortir de leur vulnérabilité, d’établir d’autres relations, professionnelles, de nouvelles formes de sociabilités. On entre dans le métier pour ne pas se prostituer, pour ne pas tendre la main, pour s’assumer quand on est fragilisée par un divorce, une maternité à assumer seule… Si les motivations sont en elles-mêmes un reflet des précarités cumulées, Sana Benbelli insiste aussi sur les possibles qui s’ouvrent : la solidarité grâce à la tontine, la possibilité de se confier, la constitution de nouveaux réseaux, avec la dimension de réciprocité que cela implique.

La chercheuse est attentive aux mots utilisés pour décrire les qualités et les défauts des serveuses, pas seulement en tant que compétences professionnelles mais également physiques – évidemment… Il faut être ma‘qoula,  digourdia, nqiyya, emmakiya, ghlida, ‘âmra, mformya, mbônbya… Une bonne serveuse katjib, elle attire le client, kata‘mel, se comporte bien (sans traîner ni se laisser entraîner dans des relations sexuelles), prend soin d’elle, ne doit pas marcher comme l‘askri ni rapporter ses soucis au café : « Un jour un client m’a dit : “pourquoi tu es pâle comme une convocation du commissariat (sefra, bhal stid‘a dyal lkomisarya) ? si j’avais envie de voir un visage de condamné (wjeh lekhtiyya) je serais resté à côté de ma femme ! », témoigne l’une d’elle.

Sana Benbelli recueille les projets désormais possibles : élever un enfant, ne pas s’endetter, avoir une meilleure estime de soi et être indépendante. Mais elle entend aussi les addictions, la stigmatisation, le respect à imposer sans cesse. Son travail contribue à la réflexion nécessaire sur les relations de genre et sur les masculinités.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Cafés d’hommes, services de femmes, les serveuses de cafés dans les quartiers populaires à Casablanca
Sana Benbelli
Éditions du Croquant, 208 p., 200 D

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