Omar Radi ou le journalisme intégral
Par Salaheddine Lemaizi
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« […] Réveiller la conscience des multitudes Contre les pièges des journaux bourgeoisEt ne jamais se fatiguer de répéter:boycottez-les ! ».
Antonio Gramsci, Le journalisme intégral
Radi a pratiqué un journalisme sans concession, enraciné dans les luttes sociales, opposé aux médias de la bourgeoisie.
Notre confrère et camarade Omar Radi purge une peine de prison de six ans pour avoir exercé une forme de journalisme intégral. C’est une pratique de la profession au sens défendu par le journaliste et théoricien italien, Antonio Gramsci1. Radi a pratiqué un journalisme sans concession, enraciné dans les luttes sociales, opposé aux médias de la bourgeoisie et de ses valets. C’est un outil de lutte politique dans la guerre culturelle que les classes dominées
Omar Radi, en tant que journaliste et militant, menait un combat pour un Maroc Maroc pleinement démocratique, un Maroc profondément engagé pour la justice sociale et spatiale, un Maroc des libertés, toutes les libertés. Si certains de ses camarades et la grande majorité de sesconfrères et consœurs journalistes affichaient un faible engagement pour ce projet politique et sociétal.
Omar Radi osait pratiquer un journalisme intégral, uneéthique citoyenne, intégrale et sincère. Une pratique courageuse dans un temps où le règne les lâches sur les médias, la politique et le monde associatif au Maroc
Lucidité et radicalité de Radi
Rappelons d’abord quelques tristes faits : Radi a été condamné suite à un procès inique il y exactement deux ans, le 3 mars 2022 par la chambre criminelle, près la Cour d’appel de Casablanca. Ce procès dans ses deux phases, en première instance comme en appel, a fait l’objet de sérieuses critiques de la part de ses avocats et d’un nombre important d’organisations de défense desdroits humains respectées au Maroc et dans le monde. La carrière d’Omar Radi a été marquée par cette volonté dejournalisme intégral. Dès ses débuts (2007-2008), il claque la porte de plusieurs rédactions pour irrévérence et refus de la censure. Ensuite, il fait ses preuves dans la presse économique et les news magazine (2010-2016)2.
Radi est un journaliste dérangeant pratiquant « la désobéissance journalistique ».
Ces médias, voix du capitalisme marocain et de la bourgeoise « éclairée », saluaient « le talent du journaliste » mais refusaient à Radi sa liberté de ton, son obstination en matière d’investigation à vouloir révéler les dessous de l’économie politique du Maroc. Rapidement, il sera persona non grata au sein de ces médias de la bourgeoisie. Ces médias au service d’une classe dirigeante économique et politique ne pouvaient accepter la présence d’un journaliste dérangeant pratiquant « la désobéissance journalistique ».
Après cette phase, Radi se positionne de manière lucide et certes radicale dans le champ du journalisme au Maroc. Il se définit comme journaliste qui « s’intéresseaux questions liées à l’injustice, à la corruption, aux droits de l’homme et aux mouvements sociaux ». Il révèle l’affaire des terrains des « serviteurs de l’Etat »3.
Il réalise des reportages sur des luttes sociales majeures comme Imider, village où se trouve une mine d’argent exploité par la holding royale. Radi couvre aussi demanière intense et dévouée le Hirak du Rif. Il sera une des rares sources durant des mois en ce qui concerne ce mouvement social majeur au Maroc. Il s’enracine dans la couverture de ces mouvements sociaux, il s’identifie comme citoyen engagé.
Sa conviction de pratiquer un journalisme intégral, rattaché aux classes sociales « d’en bas ».
Ce travail vital, il le réalise avec des moyens modestes. Il continue à être boycotté par la presse bourgeoise. Cette attitude renforce sa conviction de pratiquer unjournalisme intégral, rattaché aux classes sociales « d’en bas ». En 2017-18, il préparait le lancement d’un nouveau média intitulé « Bidoun » (Les Sans), avec son binôme Imad Stitou.
Grâce à son audience digitale, Radi n’avait plus besoin des médias bourgeois. Il est lui-même « devenu » media.
Grâce à son audience digitale, Radi n’avait plus besoin des médias bourgeois. Il est lui-même « devenu » media grâce à son téléphone et ses comptes sur les réseaux sociaux. Le régime s’est alors attaqué à ce dernier rempart où Radi a choisi de se réfugier.
Dans un premier temps, il sera harcelé, espionné, arrêté, relâché après six jours de détention en décembre 2019, puis condamné au mois de mars 2019 à quatre mois de prison avec sursis.
Malgré cette première mise en garde, Omar Radi ne plie pas et garde sa liberté de parole, sa liberté de ton. C’est intolérable pour le régime !
Une nouvelle séquence commence alors : diffamation, provocations, espionnage, harcèlement judiciaire, poursuites, nouvelle incarcération et finalement condamnation le 19 juillet 2021 à six années de prison pour « atteinte à la sûreté extérieure et intérieure de l’État, viol et attentat à la pudeur », verdict qui sera confirmé en Mars 2022 par la Cour d’appel. Une mascarade dont le seul objectif était de faire taire une voix dérangeante. Une voix solitaire mais puissante.
Omar Radi est cette plume que ni la censure, ni le boycott économique n’ont pu faire taire. La seule option était de le bâillonner physiquement en le mettant en prison.
Radi et Raissouni passent des années privés de leur droit d’écrire et correspondre librement.
Contrairement à Antonio Gramsci qui a rédigé la plupart de ses écrits depuis la prison, Omar Radi, comme son collègue Soulaiman Raissouni, emprisonné lui aussi, se voient refuser le droit d’écrire en prison et de maintenir une correspondance avec sa famille et ses amis à l’extérieur. Le doute n’est donc pas permis : l’objectif de cette incarcération est bien de le faire taire. Aujourd’hui, ses conditions de détention sont déplorables, celle d’un détenu balloté entre une cellule individuelle, mais privé de rencontrer le monde extérieur ou une cellule collective, où le risque de harcèlements et d’accidents est prééminent, comme se fut le cas lors de sa fracture récente. Si Gramsci a fait de son temps d’emprisonnement un laboratoire de pensées foisonnante, Omar Radi comme Souleiman Raissouni passent des années d’emprisonnement privés de leur droit élémentaire de citoyen et de journaliste d’écrire et correspondre librement.
Jusqu’à quand un homme libre peut-il être maintenu derrière les barreaux ? Sa place n’est pas en prison. La liberté et la justice doivent triompher, pour Omar, Souleiman et tous les autres.
- Antonio Gramsci (1891-1937), journaliste, militant et penseur marxiste, auteur des Cahiers de prison. Ce texte s’inspire de son recueil : Gramsci A. (2022), Le journalisme intégral, Editions Critiques, Paris. ↩︎
- Partie des articles d’O. Radi à retrouver sur ce lien : https://telquel.ma/author/omarradi; https://callback.ledesk.ma/author/omarradi/; ↩︎
- https://www.middleeasteye.net/users/omar-radi ↩︎
Très joli article.Mais aussi la malheur de Omar Radi il vient aussi de son adhérence et militantisme à des associations qui s oppose radicalement au politiques néolibérales du régime marocain, comme Attac Maroc o l Liberté pour Omar et pour tous les détenus politiques au Maroc.