La Moudawana, Saida et Zahra

Le 8 mars et la « Fête de la Femme » sont (déjà) des souvenirs lointains. Les roses ont été distribuées. Les agences d’évènementiels sont déjà passées à autre chose ce qui ne veut en aucune façon dire oublier. Et la lutte pour les droits demeure sur l’agenda et c’est bien l’essentiel de cette Journée internationale de mobilisation des Droits des femmes transformée en une fête du feminism washing.
A ENASS, nous avons tissés nos productions « 8 mars » à partir d’un fil rouge : Les droits civils et politiques et les droits socio-économiques des femmes. Le premier morceau de ce fil rouge est représenté par la figure de la prisonnière politique Saida El Alami, condamnée à 5 ans de prison ferme pour avoir publié des posts sur Facebook critiquant d’une façon considérée brutale par des hauts responsables sécuritaires. Le deuxième morceau de ce fil rouge est représenté par Zahra, ouvrière agricole partie en Espagne pour travailler comme saisonnière dans les champs de la fraise. Elle décède un 1er mai à la suite d’un accident de travail, lors du transport de son lieu de résidence vers le champ des fraises.
Dans une séquence où la conversation publique est concentrée naturellement sur la réforme du Code de la famille, il nous a semblé nécessaire de faire un pas de côté pour parler de ces « invisibles ». La nature des débats et les protagonistes autour de la réforme de ce texte expliquent l’absence des questions politiques, des libertés publiques et des droits économiques des femmes, notamment des classes populaires et de toutes celles qui portent un discours radical sur la vision des affaires publiques.
Mettons-nous d’accord sur certains points de principes : en premier lieu, la Moudawana est une loi majeure pour la vie des Marocains. Elle concernent toutes les classes sociales. Cependant, ce texte n’a pas pour vocation de répondre à toutes les problématiques politiques et sociales. Mais la conduite du débat actuel de la part des acteurs associatifs et publics et l’évitement des questions des libertés politiques renseignent sur un autre « plafond de verre ».
« En faisant ce reproche, il ne s’agit pas de faire jouer une concurrence entre « les causes ».
Secondo, nous faisons un reproche– certes – aux mouvements féministes marocains de ne pas avoir assez porté la voix sur les libertés politiques et sur le recul des libertés. Il ne s’agirait certainement pas de plaider une cause au détriment d’une autre, créant une concurrence entre « les causes » ; la cause des droits des femmes pour l’accès à la pleine égalité, celle de la démocratisation pour lutter contre l’absolutisme et la lutte pour la justice sociale.
Les trois combats se rejoignent et devraient être portés sur un même pied d’égalité par tout mouvement qui se dit « progressiste ».
Normalement les trois combats se rejoignent et devraient être portés sur un même pied d’égalité par tout mouvement qui se dit « progressiste ».
Par ailleurs, le combat pour l’égalité des femmes dans la société affronte plusieurs ennemis de taille, le principal est celui de la mouvance islamiste. Les dernières sorties risibles de d’Abdelilah Benkirane prouvent que le changement et les réformes ne peuvent être menées que dans les « hôtels *****» et autour de « tables-rondes ». La réflexion et les études sont nécessaires mais la construction de mouvements sociaux féministes présents dans les entrailles de la société est sur le long de l’année, actifs sur le terrain des luttes est primordiale pour créer un rapport de forces face à un conservatisme aux deux facettes (politique et sociétale). Pour résumer, les discussions autour de la Moudawana lancées depuis juillet 2022 font l’impasse sur deux points : la question démocratique et l’enjeu de la justice sociale pour les femmes. Mention honorable au Groupe des Jeunes femmes pour la démocratie qui a démontré qu’une synthèse de ces trois causes est possible.
Le Maroc et les Marocaines auront une nouvelle Moudawana, mais ils continuent à perdre plus d’espaces de libertés, en choisissant de s’investir dans une réforme législative menée par des technocrates et gérée de manière autoritaire, le féminisme bourgeois dominant au Maroc, choisit d’ignorer ou regarde ailleurs , pour ainsi dire sur les autres revendications qui risquent de déplaire aux représentants de l’absolutisme .
Saida qui, du fond de sa cellule humide, regarde défiler tous ces débats ; elle en pleure, elle en rit…
Dans ce contexte politique, il serait primordial d’appeler à la libération de la seule femme prisonnière politique au Maroc : Saida El Alami, qui du fond de sa cellule humide à Oukacha, regarde défiler tous ces débats ; elle en pleure, elle en rit…
Elle sait que le juge qui l’a condamné lors de son premier procès puis puni lors de son deuxième procès pour « outrage » à magistrat tire son sentiment d’impunité et d’absence de reddition des comptes de la même légitimité qui permet au juge de la famille d’appliquer la Moudawana à partir de sa propre lecture du texte, s’octroyant une liberté avec la loi. Le Maroc comme sa Moudawana ont besoin d’une sacré dose de démocratie.