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Des femmes courageuses résistent à la détention politique

L’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) a organisé ce 9 mars, une rencontre avec des femmes membres de familles des prisonniers politiques, Omar Radi, Souleiman Raissouni et le fraîchement libéré Rida Benotmane. Ces mères ou épouses reviennent sur le récit de leur calvaire face à leur détention politique. 

Nous nous trouvons au siège de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH) à Rabat, où un panneau de bienvenue à l’égard du détenu politique Rida Benotmane est accroché  au mur de la salle. Ce membre de l’AMDH vient d’être libéré le matin même de ce 9 mars, de la prison d’Al Arjat près de Rabat. Sa mère, Rachida Baroudi est une femme heureuse, enfin soulagée de revoir son fils libéré.

Cette joie est tempérée par la poursuite de la détention de nombreux détenus politiques. Parmi les présents, on compte Fatiha Cherribi mère du journaliste et détenu Omar Radi, et Khouloud Mokhtari, épouse du journaliste et détenu Soulaimane Raissouni. En présence du militant et chercheur Seddik Kebbouri, ces trois femmes livrent  les sentiments d’un quotidien lourdement vécu par la détention politique  de l’un de leurs proches. 

Combat de femmes pour la liberté et pour la justice

« Je rends hommage à ces femmes courageuses qui poursuivent ce combat ».

Rachida Barroudi.

Des militants, des étudiants et des membres de familles des ex-détenus d’opinion sont également présents au lendemain du 8 mars pour célébrer le courage de ces femmes.  Avant de débuter la conférence, un hommage a été rendu au mouvement féminin des familles de détenus politiques, ainsi qu’à Saïda Alami, prisonnière politique au Maroc. Sa famille n’a pas pu faire le déplacement pour assister à cette rencontre. 

« Je rends hommage à ces femmes courageuses qui poursuivent le combat. Il est difficile d’aborder les souffrances des familles de détenus, car chaque membre vit son combat différemment », se lance en premier Rachida Baroudi.

Les larmes aux yeux, elle évoque les étapes qu’elle a traversé tout au long de l’incarcération de son fils, Rida. Ce dernier avait connu une première condamnation en 2007 à quatre ans de prison pour « une affaire de radicalisation islamiste » puis survient  l’arrestation de 2022 suite à un post sur Facebook critiquant des responsables sécuritaires et politiques. 

« J’espère que tous les autres détenus seront également libérés pour que ma joie soit complète ».

Rachida Barroudi.

« Rida a été libéré aujourd’hui après un an et demi de prison, et j’espère que tous les autres détenus seront également libérés pour que ma joie soit complète et qu’ils puissent ainsi  retrouver leur famille », espère cette mère aux anges.

Khouloud face à la diffamation et aux traumas

Khouloud Mokhtari, jeune épouse et maman d’un enfant, a mis en retrait  sa carrière de scénariste pour se consacrer « au combat de sa vie », la libération de son mari. Avec émotion, elle partage plusieurs souvenirs liés à l’emprisonnement de son époux, Souleiman Raissouni. Elle évoque la souffrance de sa détention, dès le jour où il a été arraché de leur maison.« Souleiman n’a pas simplement été détenu, il a été enlevé. Sa détention n’a pas suivi le processus juridique normal », estime-t-elle.

« Souleiman n’a pas simplement été détenu, il a été enlevé. Sa détention n’a pas suivi le processus juridique normal ».

Khouloud Mokhtari

Elle poursuit en décrivant le premier jour de sa visite en prison (Oukacha à Casablanca) où elle s’était  retrouvée séparée de lui par une vitre. « Je me suis mise à chercher des interstices pour pouvoir entendre, comme dans les films, mais en vain. Nous n’arrivions pas à nous entendre, nous devions communiquer par gestes », se rappelle-t-elle,  ce fut des moments pénibles.

Et d’ajouter : « C’était un traumatisme pour moi. C’était une vitre sale qui ne me permettait pas de voir clairement mon époux ni de m’assurer de son état de santé ».

Elle évoque ensuite le jour où des vidéos de Souleiman Raissouni avaient été diffusées par la Délégation Générale de l’Administration Pénitentiaire et de la Réinsertion, montrant un état de santé préoccupant de Raissouni en 2021. « C’était un des moments les plus douloureux, illustrant le non-respect de la vie du prisonnier et de ses droits. C’était une punitionà l’encontre de mes engagements et  de mon combat pour la libération de mon mari », affirme-t-elle.

Khouloud Mokhtari souligne également les différentes formes de violences auxquelles les femmes et les mères des détenus sont confrontées, depuis les campagnes de diffamation jusqu’aux violences psychologiques qu’elles endurent tout au long de leur combat, sans oublier  l’impact de ces violences  infligées aux enfants.

Saida en 1977 et Saida en 2024

Fatiha Cherribi, mère d’Omar Radi, a partagé avec émotion son témoignage  en tant que mère de ce prisonnier politique et journaliste de profession, cette mère qui s’exprime   est également membre actif très impliquée  dans son soutien à tous les prisonniers politiques au Maroc.Malgré ses contraintes de santé, cette enseignante à la retraite n’hésite donc pas à parcourir tout le Maroc pour soutenir des causes justes. De Safi à Tanger, de Marrakech à Rabat, elle est de tous les meetings pour la libération des détenus politiques. Dans son mot à cette occasion du 8 mars 2024, elle explique « que les membres de familles des prisonniers politiques, des prisonniers d’opinion et des journalistes, en particulier les mères et les épouses, endurent une souffrance intense et font face à un combat très difficile », rappelle-t-elle. 

« Saida Alami est l’exemple de femmes militantes, emprisonnées pour avoir exprimé leurs opinions »,

Fatiha Cherribi. 

Elle fait un plaidoyer vibrant pour la libération des prisonniers politiques et pour enfin tourner cette sombre page de l’histoire du Maroc :« Aujourd’hui, nous sommes réunis pour évoquer les souffrances des mères et des épouses. Nous nous rappelons toutes les épreuves que nous avons traversées et que nous traversons encore. Si cette journée est consacrée aux droits des femmes, elle n’en demeure pas moins une journée pour les femmes militantes qui luttent pour un Maroc meilleur et plus inclusif, où les femmes jouiront  pleinement de leurs droits».

Elle ajoute avec émotion : « Saida Alami est l’exemple d’une  femme militante, emprisonnée pour avoir exprimé ses opinions. Aujourd’hui, nos pensées vont vers elle et nous demandons sa libération, ainsi que celle de tous les détenus du Hirak, des journalistes et nous n’oublions pas l’ancien bâtonnier Mohamed Ziane », conclut-elle.

Dans une atmosphère chargée d’émotions, de colère et de résistance, le débat fut abordé avec les participants. La discussion était imprégnée de partage d’expériences, allant des femmes ayant vécu l’emprisonnement de proches, à des militantes marocaines. L’expérience dramatique de feu Saïda Menebhi, décédée après une longue grève de la faim en 1977 dans la prison de Casablanca, a aussitôt ressurgie.

Une large discussion s’est ouverte sur son incarcération et les poèmes qu’elle a écrits dans sa cellule, décrivant chaque étape de sa souffrance et criant son refus face à l’injustice. Saida écrivit son célèbre poème en prison : 

[…]

« Comment et pourquoi

Moi qui suis pleine d’amour pour toi

Et tous les autres enfants

Suis-je là-bas ?

Parce que je veux que demain

La prison ne soit plus là »

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