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Maroc : Les gagnants et les perdants de l’Inflation

ENASS publie des extraits du rapport d’OXFAM au Maroc : « Les champions de l’inflation ». Ce document d’analyse critique porte un regard clinique sur les effets de deux ans de cherté de la vie avec une paupérisation de 3.2 millions de Marocains. Extraits. 

De prime abord, il est important de préciser que l’inflation se mesure au Maroc à travers l’indice des prix à la consommation (IPC), qui, fortement circonscrit et moyenné, ne représente pas pour le consommateur l’évolution fidèle qu’il pense avoir subie en privilégiant sa seule expérience de ses dépenses. L’aspect psychologique personnel a en effet tendance à prendre le pas sur un indicateur national au spectre si réduit et si urbain, que chacun l’estime étranger au mode et aux contraintes de sa vie quotidienne.Cependant, et malgré cette mise en garde méthodologique sur la conception et la mesure de l’inflation, il existe un consensus sur sa forte dissémination, partout dans le monde, au cours de ces deux dernières années. Au Maroc, poussé par un net rebond des prix du carburant (+42%) et de l’alimentaire (+18,2%), l’inflation a atteint, selon les calculs de l’HCP, 9,4% au premier trimestre de 2023 contre 4% à la même période l’an dernier ; et à fin 2022, l’inflation se maintenait en hausse à 8,3%, son plus haut niveau depuis trente ans dans ce pays.

En ce qui concerne les causes de cette crise inflationniste, le rebond de l’économie, après l’épisode du Covid-19 en 2020, y est pour beaucoup. Pendant le confinement, les épargnes se sont accumulées et quand les commerces ont rouvert, il y a eu machinalement plus de demande que d’offre, ce qui a provoqué une hausse des prix. L’autre conséquence de la pandémie a été la perturbation des routes commerciales due aux confinements qui s’enchaînent de manière aléatoire dans différents pays du monde, et cela a impacté le coût des transports qui s’est répercuté sur le prix des biens et des services. La combinaison de ces deux facteurs a engendré un autre phénomène auquel on s’attendait moins : l’apparition de divers goulots d’étranglement qui ont provoqué des tensions dans plusieurs commerces. Les prix de l’énergie, portés aussi à la hausse par une baisse des investissements de long terme dans le pétrole et une réduction des stocks de gaz, ont donc continué d’augmenter, et ce, avant même la guerre russo-ukrainienne, qui les a fait exploser.

A ces facteurs, il y’a un énième élément qui a bien enfoncé le clou, en lien cette fois avec le comportement vorace des grandes entreprises, qui, opèrent dans certains marchés oligopolistiques ou de niche, ont largement profité de cette crise inflationniste pour doper indûment leurs marges. A ce titre, le marché d’importation et de distribution des produits pétroliers en est un illustre exemple dénoncé récemment par le conseil de la concurrence. Si ce dernier a rendu son avis sur les profits opaques de ces industriels et leur a infligé une amende « transactionnelle » modique de 1.7 milliards de dirhams, certains angles morts du rapport méritent d’être explorés pour faire toute la lumière sur la construction des prix.

Dans cette cascade de circonstances qui ont entretenu la hausse de l’inflation, entre

fin 2019 et début 2023, une baisse de 7,15% des dépenses moyennes des ménages a été relevée : la dépense moyenne par habitant est passée de 20.400 dirhams à 18.940 dirhams ; par conséquent, les Marocains ont perdu en moyenne 1.460 dirhams en 3 ans, sachant que l’alimentation continue de leur représenter plus d’un tiers des dépenses, avec une part stable à 36,4% du budget total. Le montant global de l’alimentation, lui, a toutefois diminué de 3,7% à 7.148 dirhams en raison de la baisse de cette dépense annuelle moyenne. Or, si tous les ménages subissent cette maudite inflation, ce sont surtout les ménages pauvres, vulnérables et ruraux qui souffrent de manière disproportionnée de l’impact de la poussée inflationniste.

l’inflation a conduit à la hausse le taux de pauvreté de 2,1% l’an dernier, en particulier dans les zones rurales qui ont été les plus touchées par l’augmentation de la pauvreté

En effet, les calculs présentés par la Banque mondiale dans son dernier rapport sur le Maroc montrent que l’inflation a conduit à la hausse le taux de pauvreté de 2,1% l’an dernier, en particulier dans les zones rurales qui ont été les plus touchées par l’augmentation de la pauvreté, puisque le taux est passé de 6,7% à 10,6%, en comparaison avec les zones urbaines, qui sont passées de 1,2% à 2,2%.

Et c’est justement à cause de cette crise inflationniste qui pourrait être 30% plus élevée pour le décile le plus pauvre des Marocains que pour le décile le plus riche, que 3,2 millions de personnes supplémentaires se sont retrouvé en-dessous du seuil de pauvreté, ramenant ce dernier à celui enregistré en 2014. Ainsi, 8 ans de lutte contre la pauvreté se sont ainsi évaporés, et les résultats pourraient être encore pires si des subventions de l’ordre de 42 milliards de dirhams pour le gaz butane, le sucre et la farine, 5 milliards de dirhams pour l’Office National de l’Electricité et de l’Eau potable (ONEE), et 4,4 milliards de dirhams pour les professionnels du secteur des transports n’ont pas été mises en place par le gouvernement.

De prime abord, il est important de préciser que l’inflation se mesure au Maroc à travers l’indice des prix à la consommation (IPC), qui, fortement circonscrit et moyenné, ne représente pas pour le consommateur l’évolution fidèle qu’il pense avoir subie en privilégiant sa seule expérience de ses dépenses. L’aspect psychologique personnel a en effet tendance à prendre le pas sur un indicateur national au spectre si réduit et si urbain, que chacun l’estime étranger au mode et aux contraintes de sa vie quotidienne.

Résumé

Ces subventions destinées à la stabilité des prix ont certes joué un effet d’amortisseur, mais pas suffisamment affermi pour atténuer les effets de la crise. Profitant d’abord aux familles les plus riches, car le système de subventions actuel profite aux plus consommateurs et non aux plus méritants, cette politique budgétaire du gouvernement a été débridé par une politique monétaire restrictive de Bank Al Maghrib (BAM) qui a resserré à 3 reprises le taux d’intérêt directeur pour le ramener à 3%, alors que cet outil n’est pas assez adapté pour parvenir à la stabilité des prix des produits qui dominent le panier de consommation des ménages. Pourtant, lors de sa dernière réunion de l’année 2023, le conseil de la BAM a jugé que le niveau actuel de 3% du taux directeur reste approprié pour résoudre la crise de l’inflation, qui avait, certes, des causes exogènes au début, mais qui s’est vite mué en inflation domestique à cause des chocs d’offres qui se chevauchent : la concomitance de la sécheresse et la faiblesse de la productivité rendent la politique monétaire restrictive poursuivie dans le contexte marocain peu accommodant pour les plus vulnérables, et favorise fondamentalement ceux qui peuvent accéder à des liquidités surabondantes: les banques, les assurances, les fonds d’investissements, les fonds spéculatifs, les grandes entreprises dont le taux de rendement est supérieur à l’inflation et les prêteurs; en général tous ceux qui peuvent procéder à des effets de levier financier d’envergure.

L’Etat fait aussi partie de ces grands gagnants de l’inflation. TVA, TIC, Impôts sur les sociétés et droits de douane étant calculés sur les prix de vente, ces recettes fiscales augmentent avec la hausse des prix.

Cette tendance est d’ailleurs bien installée depuis le début de l’accélération de l’inflation. Les droits de douane ont ainsi augmenté de 16%, la TVA à l’import a vu ses recettes bondir de 26%, alors que la TIC a progressé de 17%. Outre les recettes fiscales, l’inflation a un impact positif sur le poids de la dette publique : selon la principale conclusion de l’édition d’avril 2023 du moniteur des finances publiques du FMI, pour les pays dont la dette dépasse 50% du PIB, chaque augmentation inattendue de 1% de l’inflation réduit la dette publique de 0,6% du PIB durant plusieurs années. L’Etat va pouvoir ainsi économiser durant cette période au moins 6.18 milliards de dirhams sur une dette colossale du Trésor qui a dépassé les 1.000 milliards de DH.

Dans ces circonstances, l’économie marocaine se trouve à un carrefour critique, où la stabilité et la maîtrise de l’inflation sont nécessaires pour garantir une croissance économique durable.

Dans ce contexte, des recommandations clés, portant essentiellement sur le renforcement de la concurrence, la transparence totale et immédiate sur les marges nettes des entreprises, l’indexation des bas salaires sur le pouvoir d’achat, l’allégement de la pression fiscales sur les classes moyennes et les classes vulnérables, pourraient guider des politiques de prévention et de lutte contre l’inflation pour rapidement réduire ses effets néfastes sur le plan social et économique: l’effet signal des prix, essentiel à la bonne allocation des biens et services, perd de son efficacité si rien n’y fait; il y aurait alors un risque de baisse de compétitive et une détérioration de la balance commerciale.

Source : Les champions de l’inflation, OXFAM Maroc, 2023.

http://www.facebook.com/oxfammaroc

www.oxfam.org/Maroc

Ce texte est publié avec l’accord de l’organisation OXFAM Maroc.

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