Pauvreté : le piège de l’inflation
Les conséquences économiques de la gestion de la pandémie et de la guerre en Ukraine, aggravées par une sécheresse majeure et historique au Maroc, entraînent le pays dans une spirale inflationniste vertigineuse qui frappe de plein fouet les ménages les plus pauvres. Le risque de voir une plus grande partie de la population basculer dans la pauvreté se renforce, posant encore une fois la question des moyens de la lutte contre la précarité.
L’HCP a confirmé lors de ses notes que l’inflation a atteint 7.9 % sur un an en septembre dernier, et 8,2 % au cours du premier trimestre 2023, conséquence de la hausse de l’indice des produits alimentaires de 16,1 % et de celui des produits non alimentaires de 3 %. Il s’agit du pic d’inflation le plus élevé de ces 30 dernières années. Ainsi, les budgets des ménages subissent des contraintes de plus en plus fortes.
Les arbitrages entre dépenses forcées et la gestion du quotidien deviennent pour certaines populations des équations insolubles.
Les arbitrages entre dépenses forcées et la gestion du quotidien deviennent pour certaines populations des équations insolubles ; et c’est justement cette inflation qui a conduit à la hausse le taux de pauvreté au Maroc de 2,1% l’an dernier, en particulier dans les zones rurales qui ont été les plus touchées par l’augmentation de la pauvreté, puisque le taux est passé de 6,7% à 10,6%, en comparaison avec les zones urbaines, qui sont passées de 1,2% à 2,2%.
Dès la fin de l’année 2022, le HCP rapporte que 3,2 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté
Dès la fin de l’année 2022 une autre étude du HCP rapporte que 3,2 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté (1,15 millions) ou dans la vulnérabilité (2,05 millions). Ce constat nous fait retourner à la case départ, celle du niveau de pauvreté de 2014 : huit ans de lutte contre la pauvreté s’évaporent littéralement et ce dernier risque de toucher de plus en plus de marocains, notamment dans le monde rural. La note du HCP spécifie que 45% de la détérioration de la situation sociale au Maroc est due à la Covid-19, tandis que la flambée des prix des biens a contribué à hauteur de 55% à la pauvreté et à la vulnérabilité des Marocains. Entre 2021 et 2022, la dispersion dans l’évolution des prix des différentes composantes de l’IPC s’est nettement accrue au Maroc. L’écart type de l’augmentation des prix d’une année sur l’autre subie par les différents groupes de biens et services inclus dans l’IPC est passé de moins de 3% au premier trimestre 2021 à plus de 8% en juin 2022.
Cette dispersion implique que la poussée inflationniste a des effets hétérogènes sur le bien-être des ménages en fonction des biens et services qu’ils consomment. Les paniers de consommation des ménages pauvres et riches diffèrent sensiblement.
Les ménages les plus pauvres ont souffert de manière disproportionnée de la poussée inflationniste.
Les ménages les plus pauvres sont plus exposés à l’inflation des prix de l’alimentation, du logement et des services publics, tandis que les marocains les plus riches sont plus touchés par la hausse des prix des transports et de la santé.
L’alimentation représente près de la moitié des dépenses des ménages les plus pauvres, contre un cinquième pour les plus aisés, suggérant que les hausses récentes des prix alimentaires ont un impact plus important au bas de la distribution (figure11).
Les déciles inférieurs, à savoir les couches les plus pauvres, dépensent aussi relativement plus en logement, eau, gaz, électricité et autres combustibles. Ce deuxième poste de consommation pour les plus vulnérables représente un tiers de la consommation. En revanche, les ménages les plus aisés sont plus exposés à l’inflation dans les transports, puisqu’ils allouent quatre fois plus de ressources à cette catégorie de dépenses que les plus pauvres, bien que cette part soit limitée à 11% de leur budget. D’autres postes de consommation plus pertinents pour les plus riches sont la santé, représentant 10% contre 6 % pour les plus pauvres, et les biens divers avec 14 % contre 3 %.
Les ménages les plus pauvres ont souffert de manière disproportionnée de la poussée inflationniste. Au cours de l’année 2022, l’inflation était plus élevée pour ceux qui se trouvaient dans la partie inférieure de la distribution, les ménages les plus pauvres faisant face à une augmentation moyenne de 5,8 pour cent, contre 4,8 pour cent pour les plus riches (Figure 12). Cet écart d’inflation s’est creusé avec le temps (+2,1% en octobre 2023), laissant les plus pauvres subir un fardeau nettement plus lourd du choc sur le coût de la vie (Figure 13). En outre, les ménages les plus pauvres sont non seulement confrontés à des prix plus élevés, mais ont également des possibilités plus limitées d’ajuster leur comportement de consommation pour y faire face.
Cependant, il faut toutefois rappeler que le taux d’inflation officiel (IPC) ne mesure pas l’inflation dans les zones rurales ; autrement les impacts pourraient y être plus importants : l’enquête marocaine sur l’IPC de l’HCP ne couvre qu’un échantillon de dix-huit villes. Bien que cela fournisse la preuve d’une hétérogénéité croissante des taux d’inflation dans les zones urbaines à travers le pays, allant de la valeur la plus élevée, à savoir celle de Beni-Mellal (7,7%) à la plus faible d’Agadir (4,7%), il ne met pas en lumière l’écart potentiel entre les zones rurales et urbaines. Ainsi, et pour construire un IPC pour les zones rurales, la Banque mondiale dans son dernier rapport intitulé «Le Maroc face aux chocs d’offres» a fait l’hypothèse que les prix ruraux ont évolué conformément à la moyenne des centres urbains, et en raison de la différence des paniers de consommation spécifiques à la zone, les zones rurales semblent connaître un taux d’inflation global plus élevé en 2022 par rapport aux centres urbains, 6,1% contre 5%, contrairement aux années précédentes où l’inflation rurale était plus faible (figure 14)
Les simulations faites par la Banque Mondiale suggèrent que le taux de pauvreté aurait pu augmenter de 3,4% à 5,5 % (+2,1%) en raison de la poussée inflationniste. Les zones les plus touchées sont les zones rurales, où l’incidence de la pauvreté aurait pu augmenter de 6,7% à 10,6%, par rapport aux centres urbains (de 1,2% à 2,2%). De même, la vulnérabilité augmente à 14% (+3,6%). Les simulations montrent également que l’inflation a accru les inégalités, telles que mesurées par le coefficient de Gini (+0,1).
Cependant, l’impact de l’inflation aurait été plus élevé si le gouvernement n’avait pas maintenu son système de subventions à un coût budgétaire important. Selon la classification de BAM, les biens et services à prix réglementés ont un poids total de 22% dans l’indice des prix à la consommation calculé le HCP. En effet, selon une note récente du Ministère des Finances, l’absence des subventions au gaz, au blé, au transport et au sucre aurait entraîné 5,9% d’inflation supplémentaires (MEF-DEPF, 2022). La stabilisation des prix pour 22% du panier de consommation a cependant été réalisée à un coût budgétaire substantiel qui comprend 42 milliards de dirhams de subventions explicites sur les prix (gaz, sucre et blé) ; 5 milliards de dirhams d’appui financier de l’Etat à l’ONEE ; soutien direct aux opérateurs de transport estimé à 4,4 milliards de dirhams. Globalement, cela représente près de 3,5% du PIB.
Le gouvernement marocain a signé un accord avec le FMI, ce qui aura des conséquences peu reluisantes sur les couches les plus vulnérables.
Pour faire face à cela, le gouvernement marocain a signé un accord avec le FMI pour un prêt de 5 milliards de dollars, ce qui aura des conséquences peu reluisantes sur les couches les plus vulnérables.
Source : Les champions de l’inflation, OXFAM Maroc, 2023.
http://www.facebook.com/oxfammaroc
Ce texte est publié avec l’accord de l’organisation OXFAM Maroc.
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