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Affaire El-Hirech : Premier procès politique de l’année

Le procès du militant et Net-activiste Youssef El-Hireche a débuté le 4 avril 2024 au Tribunal de première instance de Kénitra. Comme s’est achevé l’année 2023, la nouvelle année démarre au rythme des procès politiques. Reportage

Il est 11h30, une ambiance inhabituelle en cette matinée du 4 avril devant le Tribunal de première instance de Kénitra. Militants, forces de l’ordre, curieux, se rassemblent devant l’enceinte de cette Cour de justice. C’est aujourd’hui que démarre le procès de Youssef El-Hireche. Ses parents assistent à cette audience. Ils sont soutenus par d’autres familles des journalistes détenus ainsi que se rassemblent des militants et d’anciens détenus politiques. Les membres du Comité National de Soutien aux Détenus Politiques et pour la Liberté d’Expression et aussi le Comité local de solidarité avec les prisonniers politiques de Casablanca sont tous présents pour manifester leur soutien à ce jeune militant,  leur objectif est de réclamer « sa libération, ainsi que celle de tous les autres détenus politiques ». Un nouveau procès politique démarre donc au Maroc. 

Rencontre des mères des détenus 

Sit-in en solidarité avec Yousef El-Hireche devant la Cour de première instance à Kénitra. Crédit photo: ENASS

La mère de Youssef témoigne de son courage, de son dévouement et de sa détermination. Lorsque la mère d’Omar Radi arrive, la mère de Youssef en larmes la prend dans ses bras et lui explique comment elle a pu suivre le dossier d’Omar à travers son fils Youssef. 

«Ce combat nous semble nouveau, nous avons essayé de le protéger mais en vain. Aujourd’hui, nous allons mener ce combat jusqu’au bout, pour défendre Youssef, Omar et tous les autres détenus».

Mère de Youssef El-Hirech. 

«Je n’étais pas très au courant, mais avec Youssef, j’ai commencé à lire, et à vouloir comprendre ce qui se passe. Aujourd’hui, nos fils et  nous payons le prix de la liberté de parole. Ils veulent juste un Maroc de liberté, de dignité et de justice, relate la mère de Youssef, jeune ingénieur, cadre dans une entreprise et activiste politique et associatif. 

Et d’ajouter : «Ce combat nous semble nouveau, nous avons essayé de le protéger mais en vain. Aujourd’hui, nous allons mener cet engagement  jusqu’au bout, pour défendre Youssef, Omar et tous les autres détenus».

Fatiha Cherribi apporte son soutien à la mère de ce militant, qui raconte  avec émotion le travail mené par Youssef, « son engagement et son travail, lui procure le soutien d’autres militants hommes et femmes défenseurs des droits de l’homme, mais  qui n’ont pas pu se présenter aujourd’hui pour ce sit -in. La mère d’un ex-détenu politique, qui n’est autre que  Noureddine Aouaj, Mi Aicha qui rejoint les deux femmes et encourage la mère de Youssef  « à rester forte »

Sit-in interdit 

Sit-in en solidarité avec Yousef El-Hireche devant la Cour de première instance à Kénitra. Crédit photo: ENASS

Alors que les militants se rassemblent, un agent des autorités vient leur expliquer que ce sit-in est interdit, et qu’ils ne sont pas autorisés à le tenir devant le tribunal. Malgré cela, les militants  décident de scotcher leur bouche et de brandir des pancartes, organisant ainsi un sit-in silencieux en signe de protestation contre ces répressions. Quelques minutes plus tard, certains militants commencent à scander des slogans. Les autorités tentent d’arrêter le sit-in, mais les slogans persistent, scandant de plus en plus fort: «Nous voulons la liberté de Youssef !», «Notre cause est la liberté de Youssef !», «Le peuple réclame la libération du détenu !». La mère de Youssef et les autres mères des journalistes détenus, ainsi que d’anciens détenus d’opinion, se joignent à eux en première ligne, levant le signe de la victoire et des photos de Youssef, Omar Radi, Soulaime Raissouni et Saida Alami.

Le début d’un procès d’opinion 

Sit-in en solidarité avec Yousef El-Hireche devant la Cour de première instance à Kénitra. Crédit photo: ENASS

Le procès de Youssef débute à douze heures. Le jeune détenu entre dans la salle, accompagné de ses avocats, auxquels d’autres avocats se joignent pour la défense d’aujourd’hui. L’un des avocats prend la parole et revient sur l’arrestation de Youssef, sur ses publications, soulignant le fait qu’il est « incompréhensible de le poursuivre en état de détention alors qu’il est en mesure d’assister aux audiences », insiste ce membre de la défense. 

« Au Maroc, il nous semble avancer d’un pas mais nous reculons de deux  en fait »,

Avocat de Youssef El-Hirech

Ensuite Me Belarbi prend la parole pour exiger la  liberté provisoire de Youssef: «C’est avec une profonde tristesse que je constate qu’aujourd’hui, au Maroc, nous croyons avancer d’un pas mais en vérité nous reculons de deux pas enarrière», déplore-t-il. « Bien que le Maroc soit aujourd’hui représenté au Conseil des droits de l’homme, ce dont nous sommes très fiers, nous poursuivons en revanche des personnes pour leurs opinions ; une période sombre dans laquelle nous vivons », ajoute Me Belarbi dans cette première plaidoirie, avant d’aller dans le fond du dossier. 

Il souligne ensuite que Youssef est un salarié avec un domicile connu de tous, et qu’il dispose de toutes les preuves nécessaires pour être poursuivi en liberté, tant qu’il peut se présenter aux audiences. Il demande donc aux juges de lui accorder la liberté provisoire. Cependant, le représentant du Parquet intervient pour refuser cette demande en présentant  les arguments suivants : « Le fait qu’il soit ingénieur, diplômé ou aisé ne lui donne pas le droit à la liberté provisoire. Il représente un danger, car ses publications sont destinées au grand public ». 

«Comme toute personne qui aime son pays, non seulement je ne critique, mais je fais également part des aspects positifs de mon pays ».

Youssef El-Hireche.

Youssef demande alors la parole, que la juge lui accorde. « Je voulais simplement dire que je suis ingénieur, en plus d’être journaliste. Mes écrits ne se limitent pas à la critique. Dans le dossier pour lequel je suis poursuivi, j’ai certes critiqué, mais j’ai également mis en avant les avancées du Maroc. Comme toute personne qui aime son pays, je ne critique pas seulement, mais je fais aussi part des aspects positifs de mon pays », explique-t-il. 

La juge lui indique que ses propos seront examinés non pas aujourd’hui, mais  lors des prochaines audiences. Me Ali Reda Ziane prend ensuite la parole pour souligner que Youssef n’a jamais avoué les accusations portées contre lui par le parquet. « Il est important de noter qu’il a exercé son droit au silence pendant tout l’interrogatoire et n’a jamais confirmé ces  accusations », rapporte-t-il en réponse au Procureur du roi. 

Me Belarbi poursuit avec une voix empreinte de colère : « Si le fait d’être ingénieur diplômé et d’avoir une adresse de résidence ne constitue pas une preuve, alors nous demandons au Procureur de nous expliquer quelles sont les garanties pour obtenir la liberté provisoire ? », conclut-il. 

Pendant ce temps, à l’extérieur de la salle d’audience, le sit-in se poursuit, avec la voix des militants criant haut et fort : « Nous voulons la liberté du détenu, libérez Youssef ! ». La séance est levée, la juge fixe la date de la prochaine audience au 18 avril 2024.

Pour rappel, El Hirech est poursuivi  selon les chefs d’accusation, par des dispositions du Code pénal pour « atteinte à un fonctionnaire public », « atteinte à un corp constitué », « diffusion de fausses informations ». Ces accusations sont basées uniquement sur ses écrits sur son compte Facebook. Son comité de soutien considère que « ces accusations sont une atteinte à sa liberté d’expression et d’opinion, une manière de réprimer son travail d’investigation mené autour d’activités économiques de personnes hautement placées  au sein de sphères politiques et économiques ». 

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