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L’eau de Figuig : Bien privé ou bien commun ?

Le Hirak de l’eau à Figuig se poursuit pour le 5èmemois. Les habitants de l’Oasis se mobilisent au Maroc et ailleurs, malgré les pressions et la répression. Focus sur ce dossier aux multiples enjeux :

Après quatre mois, la mobilisation des habitants de Figuig ne faiblit pas. L’arrestation et la condamnation de deux citoyens actifs dans le Hirak de l’eau n’a pas tempéré les ardeurs. Mohamed Brahmi dit MoVo a été condamné à huit mois de prison et Halima Zaid a six mois de prison avec sursis. Brahmi sera ainsi le premier prisonnier politique de l’eau. Malgré la judiciarisation de ce mouvement social et de ses actions, le mouvement continue ses sorties nocturnesdurant ce Ramadan. Le soir du vendredi 5 avril, femmes et hommes, se sont donné rendez-vous pour un nouveau sit-in sur la place centrale de la ville. L’oasis situé à l’extrême-est du Maroc, est au centre des mobilisations de la société civile marocaine, en parallèle se déroulent les pressions menées par les pouvoirs publics. Le refus de la population de la loi 21-83 sur la mise en œuvre des Sociétés multi-services qui seront chargées, notamment de gestion de l’eau potable, de gestion d’électricité etd’assainissement ont constitué un électrochoc.

Les chiffres de l’Intérieur contestés ;

Signe de l’administration centrale, la réunion tenue le 21 mars dernier au siège de la Province de Bouarfa. Le gouverneur-directeur en charge de la Direction des réseaux publics locaux a fait le déplacement pour rencontrer les élus et les « représentants » de la société civile. L’objectif affiché : Rassurer sur le nouveau schéma proposé. Le haut-responsable se voulait rassurant « pas de privatisation » et « pas de hausses des tarifs ». Lors de cette réunion, des chiffres sur les réalités de la consommation sont présentés et relayés aux médias officiels. Ces données sont contestées par les habitants et lesmembres de la Coordination locale pour le plaidoyer sur les affaires de l’Oasis de Figuig (Coordination). Samira Mizbar, chercheuse originaire de Figuig conteste ces données, leur méthodologie et leur pertinence : « La catégorisation utilisée par Qsour dans le dit rapport n’a aucun sens à partir du moment où les quartiers d’habitat modernes sont quasi majoritaires à Figuig.

« L’agriculture intensive est un danger pour la survie de l’oasis »

Samira Mizbar

Un travail scientifique de qualité aurait dévoilé la véritable typologie de l’usage de l’eau potable sur place en fonction d’une trame urbaine fine ». Elle estime que les chiffres présentés datent de 2011 et ne reflètent guère la réalité. Mizbar pointe du doigt « l’agriculture intense. […] la seconde catégorie est un danger pour la survie de l’oasis. Au lieu de s’attaquer à ce problème, on préfère pointer du doigt la population sauvage, inculte, manipulée et surtout trop mineure pour prendre en main son destin », critique cette chercheuse universitaire.

L’eau de Figuig un bien commun

« Notre région a historiquement refusé toute présence d’entité privée dans la gestion de l’eau »

Abderrahmane Ouazzane

Abderrahmane Ouazzane, originaire de Figuig et membre de l’AMDH au Canada, explique dans un webinaire organisé jeudi dernier, la spécificité de l’eau et sa gestion à Figuig : « Notre région a historiquement refusé toute présence d’entité privée dans la gestion de l’eau. L’ensemble des conseils communaux passés avait cette position et jusqu’au 26 octobre 2023, était un point de ralliement de l’opposition comme de la majorité à Figuig »,rappelle ce Figuigui.

« Et puis il y a eu en trois jours une volte-face contre la volonté populaire des Figuiguis de la part du président du Conseil. Depuis le nouveau vote, 4 élus de la majorité se sont abstenu contre la nouvelle décision », détaille-t-il. Avant cette nouvelle tentative, le Conseil municipal avait refusé la demande de transférer la gestion de l’eau potable à l’ONEP en 2011. 

« L’exploration, la distribution et la gestion de l’eau ont été historiquement, une affaire de la Jamaâ »

Abderrahmane Ouazzane

« Je peux m’expliquer pendant de longues heures sur les spécificités de Figuig, mais la question de l’eau ne peut être comprises que en allant sur place pour comprendre cette relation unique avec l’eau. Cette relation est née aussi pour des raisons objectives. L’exploration, la distribution et la gestion de l’eau ont été historiquement, et avant le colonialisme, une affaire de la Jamaâ. Ce sont les habitants qui ont tout fait, c’est devenu ainsi un bien commun »,défend Ouazzane. Face à la répression subie par le Hirak de l’eau, les habitants de Figuig multiplient les rencontres en ligne pour sensibiliser le public sur leurs causes. Des ONG de la société civile marocaine leur apportent leur soutien.

Figuig : Du colonialisme au néolibéralisme

La Coalition marocaine des instances des droits humains au Maroc (CMIDH) et la Coordination locale pour le plaidoyer sur les affaires de l’Oasis de Figuig (Coordination) ont organisé une rencontre en ligne le 4 avril avec la participation de Khadija Riyadi, ex-présidente de l’AMDH, Me AbderrahimJamai, membre de la CMIDH, Kamal Lahbib représentant l’Observatoire marocain des libertés publiques (OMLP) et Abderrahmane Ouazzane, originaire de Figuig et membre de la famille d’un des disparus durant les Années de plomb. Lors de cette rencontre un trait d’union a été tracé entre les luttes historiques de Figuig durant le protectorat, les Années de plomb et le Hirak de l’eau.  

« Ce haik est cependant  le symbole de la lutte contre le colonialisme et n’en demeure pas moins  aujourd’hui le symbole  contre le néolibéralisme ».

khadija Riyadi

Khadija Riyadi, ex-présidente de l’AMD a tenu à saluer« les femmes de Figuig qui se mobilisent de manière héroïque. Leur combat est une suite de lutteshistoriques durant les Années de plomb. La région a subi atrocement la répression dans cette période. Pour moi ce combat est porté en écho avec la lutte contre le colonialisme français dans la région. Le fait que les femmes choisissent de sortir avec leur habit traditionnel, haik, dit beaucoup de choses pour contrecarrer toute tentative de toucher à la dignité des femmes », estime cette militante de la première heure de la cause féminine et des droits humains au Maroc.Elle poursuit son parallèle : « Ce haik est le symbole d’une lutte contre le colonialisme qui ne date pas d’hier ,aujourd’hui c’est contre les nouvelles formes de colonialisme que sont les politiques néolibérales des institutions financières internationales. Leur lutte est menée en notre nom, nous devons la soutenir jusqu’au bout ».

Figuig soulève un débat national sur l’eau

De son côté, Kamal Lahbib, représentant de L’Observatoire marocain des libertés publiques (OMLP) considère « la lutte de Figuig est celle de combats communs. La loi 21-83 concerne tout le territoire national et pas seulement Figuig. Donc, ce combat nous concerne tous et toutes. Dans le cas de Figuig, l’eau est une denrée rare avec des conditions de vie complexes », rappelle-t-il. 

Pour ce dirigeant au sein du mouvement altermondialiste régional, Figuig et sa lutte interpelle sur au moins quatre points. Le premier étant que : « Figuig pose de manière centrale la relation entre l’Etat et la société. Si on veut un Etat social, on se doit de le montrer sur le terrain », soutient l’ancien prisonnier politique. 

« Nous nous ne pouvons pas privatiser l’eau et l’air et les suspendre aux logiques du marché »

kamal Lahbib

Deuxième point : « Le cas de Figuig interpelle car nous sommes face à une tentative pour la privatisation de l’eau. Nous ne pouvons pas privatiser l’eau et l’air et les suspendre aux logiques du marché et du profit, au détriment des plus démunis et contre le développement durable »,martèle-t-il. 

Le troisième point : « Le cas de Figuig pose la crise de la démocratie représentative au Maroc. La problématique de l’autonomie des élus locaux face aux pressions possibles de la tutelle centrale est de nouveau posée », affirme-t-il. Le dernier point concerne, « la crise des instances médiation entre l’Etat et la société. Cette situation est problématique ».

Offrir l’eau et ses infrastructures au privé

De son côté, l’association ATTAC qui soutient ce mouvement depuis ses débuts a présenté ses arguments pour refuser la privatisation de l’eau de Figuig. Premier argument, les changements climatiques : « Dans les conditions climatiques difficiles actuelles caractérisées par des années successives de sécheresse et la rareté de l’eau, ressource vitale et propriété collective commune, céder la gestion de l’eau pour les entreprises des douze régions du Maroc constitue une atteinte flagrante aux droit humains », s’inquiète l’association membre du réseau CADTM dans son dernier communiqué sur ce dossier, publié en mars. 

La loi permet à ces sociétés de bénéficier gratuitement de toutes les installations liées à ces services de base« offrant ainsi les biens publics aux particuliers sur un plateau en or »

ATTAC

Le deuxième argument est celui de la connivence entre le secteur privé et les auteurs de la loi 21-83 : « Avec cette loi, le droit à l’eau pour les citoyens sera sacrifié aux intérêts des entreprises du secteur privé. La loi 21.83, qui oblige les entreprises régionales à fournir des services de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement liquide et d’éclairage public, stipule explicitement que ces entreprises régionales peuvent « ouvrir leur capital au secteur privé, à condition que la contribution de l’État ne soit pas inferieure à 10 % », rappelle cette association marocaine. Dans le même sens, la loi « permet également « à ces nouvelles sociétés de bénéficier gratuitement de toutes les installations et équipements liés à ces services de base », offrant ainsi les biens publics aux particuliers sur un plateau en or », alerte ATTAC. Les habitants de Figuig promettent de poursuivre leur combat, après la trêve d’Aid El Fitr.

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