Personnes handicapées : Une répression à la carte !
Des dizaines de personnes en situation de handicap sont sorties mardi dernier à Rabat dans une marche de protestation contre « l’exclusion » dont elles sont victimes pour revendiquer la liberté, la dignité et la justice sociale, dénonçant ainsi «la privation de bénéficier du soutien social et de la couverture médicale AMO, exprimant de ce fait leur crainte quant à la manière dont la carte des personnes en situation de handicap est accordée. Reportage.
Il était 11h du matin ce mardi 7 mai sur le boulevard Mohammed V à Rabat. En face du siège du parlement, des dizaines de personnes en situation de handicap se rassemblent pour protester contre « la marginalisation et les conditions difficiles » auxquelles ils sont confrontés. Des jeunes, des enfants, des femmes, des personnes âgées et des proches de personnes en situation de handicap venant de tout le Maroc sont présents à ce sit-in.
« Cette manifestation est l’occasion de faire entendre leur voix de manière expressive et efficace pour promouvoir les droits des personnes en situation de handicap ».
Hicham Mouchtaq, coordinateur de la manifestation.
Les manifestants scandent : « Assez… !L’égalité commence maintenant », ou encore : « Où sont nos droits ?», protestent ces manifestants venus de plusieurs villes marocaines. Cette action de protection était à l’initiative de plusieurs collectifs associatifs travaillant dans le domaine du handicap au Maroc. Ils montent au créneau pour contester « contre l’absence de prise en compte des personnes handicapées dans le projet de généralisation de la protection sociale », peut-on lire dans le communiqué des organisateurs. Et de préciser : « Nous constatons l’absence de tout indicateur sur le handicap dans le calcul des indicateurs sociaux pour l’inscription dans le Registre social unifié ». Et la liste des doléances et des dossiers en attente est longue et douloureuse…comme l’était cette journée du 7 mai 2024.
Galère pour prendre le train
« Nous en avons assez des promesses non tenues ; nous voulons qu’elles se concrétisent dans la réalité ».
Rahma, mère d’une fille en situation de handicap.
Rahma, mère d’une fille en situation de handicap, s’est rendue tôt ce matin du 7 mai à la gare de train pour prendre la navette de Casa vers Rabat afin de participer au sit-in convenu avec les proches de personnes en situation de handicap. Leur objectif : « demander aux responsables de permettre à ces personnes de voyager gratuitement vers Rabat », explique-t-elle. Elle raconte son calvaire : « Nous avons fait passer plusieurs groupes dans chaque train avant que je ne parte également les rejoindre ». Rahma souligne l’urgence de la situation : « Les personnes en situation de handicap et leurs proches vivent dans une précarité sociale. Aujourd’hui, nous espérons bénéficier de protection sociale, de la gratuité des transports et de la carte de la personne en situation de handicap. Il est temps de leur accorder leurs droits. Nous en avons assez des promesses non tenues ! Nous voudrions qu’elles se concrétisent dans la réalité. ».
« Le système juridique au Maroc est incapable de protéger les personnes en situation de handicap et de garantir leurs droits légitimes »
Les associations travaillant dans ce domaine et les personnes en situation de handicap crient leur colère le 7 mai face au retard pris pour la mise en œuvre de la loi-cadre n° 97-13 relative à la protection et à la promotion des droits des personnesen situation de handicap, publiée dans le bulletin officiel en 2016. Huit ans après, l’entrée en vigueur de ce texte et son application se font attendre.
Hicham Mouchtaq, l’un des coordinateurs de cette manifestation, a dénoncé « l’exclusion » des personnes en situation de Handicap, le but serait qu’elles puissent bénéficier gratuitement et sans condition aucune en raison de leur handicap du programme de protection sociale, soulignant que « cette manifestation est une occasion de faire entendre leur voix et de rappeler les droits des personnes en situation de handicap avec l’objectif d’améliorer leur participation complète et effective ».
« Interdit de marcher pour les handicapés »
Il est 13 heures, toujours devant le siège du Parlement, les manifestants décident de transformer le sit-in en marche, mais celle-ci est rapidement interrompue par l’intervention des forces de l’ordre. De nombreux manifestants ont été blessés et six personnes parmi eux ont été arrêtées par la police et embarqués vers un poste de police de la capitale. « Ce que nous avons vécu est traumatisant. Nous ne faisions que revendiquer nos droits, sans aucune intention de provoquer personne », nous explique Rahma, jointe au téléphone par ENASS.
« Les actes flagrants de répression et d’agression subis par les personnes en situation de handicap lors de manifestation pacifique ».
AMDH Rabat.
Et d’ajouter : « Certains de nos camarades ont été blessés à la suite des violences exercées par les forces de l’ordre, d’autres ont été arrêtés. Les mots me manquent. Je suis rentrée chez moi terrifiée après minuit, à la suite de ce qui s’est passé. Tout ce que je peux dire, c’est que nous espérons que nos revendications soient entendues et que nous ne serons plus victimes de violences. Nous avons le droit de réclamer nos droits ».
L’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH)a condamné « les actes de répression et d’agression flagrants subis par les personnes en situation de handicap lors de la manifestation pacifique devant le Parlement», peut-on lire dans une déclaration de l’association.
Handicapés arrêtés et en garde à vue
Selon l’association, la capitale a connu « des scènes choquantes, les forces de l’ordre ont usé de violences physiques en frappant, poussant, donnant des coups de pied à un groupe de personnes handicapées diverses qui protestent réclamant des droits légitimes concernant leur catégorie, notamment la carte de handicap, les soins médicaux gratuits, le transport gratuit et le soutien financier, entre autres », poursuit l’ONG.
L’AMDH a rapporté que « plusieurs manifestants ont été blessés, l’un d’eux a été transporté à l’hôpital, les autorités ont non seulement réprimé la manifestation, mais ont également arrêté quatre personnes, les ont transférées au poste de police et en ont frappé une à l’intérieur d’un véhicule de police ils lui ont même retiré certains de ses vêtements », note l’AMDH.
« Les autorités ne se sont pas contenté de réprimer la manifestation, mais ont également arrêté six personnes ».
Quatre parmi les personnes arrêtées ont été libérées le jour même après leur interpellation, les deux autres personnes qui souffrent de handicap visuel ont été présentées devant le Parquet. « Nous craignons que la victime ne soit transformée en agresseur et l’agresseur en victime », s’inquiète l’association. Ces deux personnes ont été libérées après une journée et seront poursuivies en état de liberté provisoire et la première audience aura lieu le 11 juin prochain.
Dans le même sens, l’AMDH appelle « les autorités compétentes, judiciaires et administratives, à prendre les mesures nécessaires pour traduire en justice et punir les responsables de la décision de réprimer la manifestation des personnes handicapées, ainsi que tous ceux qui ont participé à ces agressions contre des personnes nécessitant des soins », revendique l’AMDH.
Deux jours après cette répression, le Conseil de gouvernement a adopté le projet de décret portant sur l’octroi de la carte de personne en situation de handicap présenté par la ministre de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille, Aawatif Hayar. Cette bonne nouvelle a été ternie par les scènes vécues par les manifestants du 7 mai…