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« Mora est là » : L’intime, l’oubli et les luttes

Le documentaire « Mora est là », réalisé par Khalid Zairi plonge au cœur de la vie douloureuse des mineurs marocains ayant travaillé dans les mines de charbon en France dans les années 70.  ENASS a assisté à l’avant-première.

« Mora est là », relate des histoires poignantes de jeunes marocains partis en France pour travailler dans la mine. C’est une étape cruciale de la migration des travailleurs marocains dans les mines de charbon du nord de la France. Ce film présenté le 14 mai dernier dans le cadre des rencontres du Conseil consultatif des marocains à l’étranger (CCME), en parallèle avec le  Salon international du livre et de l’édition (SIEL) au cinéma Renaissance à Rabat. Ce film intime, d’une durée de 90 minutes, a creusé dans les sinuosités des histoires oubliées. 

Mine sans les droits;

« C’est un film sur notre mémoire collective, celle des femmes et des hommes, des exilés économiques »

«C’est un film sur notre mémoire collective, celle de femmes et  d’hommes, d’exilés «économiques», de plus de soixante-dix mille marocains, essentiellement originaires du Sud du Maroc, partis travailler pour les charbonnages de France dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, tous recrutés par un seul et même homme : Felix Mora», affirme Khalid zairi, réalisateur du documentaire.

Leurs espoirs d’une vie meilleure se sont heurtés à la dure réalité d’un système qui les exploitait, mettant ainsi leur santé en danger et déchirant leurs familles.

Le film dévoile le récit des mineurs de charbon en France, une histoire partagée par des milliers de familles marocaines venues des villages reculés dès 1950. Leurs espoirs d’une vie meilleure se sont heurtés à la dure réalité d’un système qui les exploitait, mettant de ce fait leur santé en danger, et déchirant de la même manière leurs familles.

«Le film retrace leur parcours de vie, la résilience de leur exil économique, il œuvre à faire connaître l’histoire méconnue des mineurs marocains en France pour leur rendre un juste hommage et perpétuer leur mémoire», souligne le réalisateur au micro de ENASS.ma. 

Dans ce film, Zairi réussit à raconter avec finesse ces histoires ordinaires. Les personnages acceptent de se livrer, d’expliciter leurs souffrances sans sombrer dans un misérabilisme. Les mineurs marocains sont réhabilités, devenant de la sorte les principaux personnages de leur histoire. L’univers de Zairi produit une œuvre onirique avec des clins d’œil au cinéma scandinaves. La musique originale du documentaire accompagne ce récit sous forme d’une thérapie, voir d’une délivrance. 

Fragments de vie

Ce documentaire dévoile les fragments de vie de ces travailleurs, tous unis par leur recrutement par Félix Mora, une figure dont le nom résonne encore aujourd’hui. 

« Le recrutement de cette main-d’œuvre humaine se faisait dans des conditions inhumaines ».

Le film révèle des récits de souffrance de ces mineurs marocains ayant quitté leur pays pour travailler dans des conditions inconnues, passant leur jeunesse dans des conditions de vie extrêmement dures, ainsi que des secrets souvent passés sous silence,  des secrets d’hommes qui ont dû explorer les abysses des mines du nord de la France sans jamais en parler à leurs propres enfants ni à leurs familles.

«Le recrutement de cette main-d’œuvre humaine se faisait dans des conditions inhumaines très sélectives, on choisissait des jeunes en bonne santé mais souvent analphabètes, facilitant ainsi leur exploitation», explique Zairi.

Félix Mora ayant servi dans la Légion française au Maroc a supervisé le recrutement de plus de 70 000 Marocains,  qui étaient triés selon leur apparence physique et leur niveau d’éducation. Cependant, cette sélection était inhabituelle car elle reposait sur des critères « primitifs » : toute forme d’éducation, aussi modeste soit-elle, était éliminatoire. Une activité qu’il a menée dès les années 50et jusqu’aux années 70.

Outre la souffrance physique, les témoignages documentés révèlent les expériences de racisme et de discrimination auxquelles ils ont été confrontés, que ce soit en termes de droits, de salaires ou de logements par rapport aux travailleurs français. Des injustices qui ont suscité des mouvements de protestation parmi les travailleurs, réclamant des droits élémentaires et des conditions équitables.  

Félix Mora à la fois personne et institution, jouait un rôle central dans ce processus.

Félix Mora, à la fois personne et institution, jouait un rôle central dans cette dynamique. En tant qu’intermédiaire entre l’administration et les travailleurs, il avait le pouvoir de les apaiser, de les menacer ou de les licencier lorsque des voix s’élevaient en faveur de l’égalité et de la justice.

Le personnage de « Félix Mora », même s’il n’apparaissait pas dans la bande, était présent dans tous les témoignages des mineurs et de leurs familles, puisque « Mora » fut, pendant vingt ans, le lien entre la société charbonnière du Nord-Pas de calais et les travailleurs dont la plupart étaient des paysans.

Le réalisateur a  en effet mis réussi à mettre en lumière la dissimulation par les médecins des compagnies minières des dossiers médicaux des mineurs souffrant de maladies respiratoires chroniques et mortelles. Cela permettait aux entreprises de se soustraire à leurs obligations d’indemnisation.

Cri silencieux des femmes

« Lahcen, depuis ton absence, je me sens mal. Je me retrouve seule et souffrante. Tu avais promis que ton départ ne durerait que quelques mois, mais cela fait des années que tu es là-bas. Personne ne semble comprendre ma détresse. Est-ce que tu ne veux plus de moi ?», ces mots reflètent la voix de Zahra,un personnage imaginaire présentant dans le documentaire une femme qui envoyait des audio enregistrés à son époux «Lahcen» qui était un des mineur marocain parmi les travailleurs des mines.

Le personnage de «Zahra», restée au village pour prendre soin de la maison, et élever leurs enfants dans l’attente de rejoindre son mari, représente le cri insonore des femmes de travailleurs, oubliées de la société. Dans l’espoir d’une vie meilleure pour leur famille, maris et femmes étaient confrontés à la solitude et à l’amertume de l’isolement, avec pour seul réconfort le rêve de retourner chez eux pour échapper au cauchemar des mines de charbon.

Le réalisateur a ainsi mis l’accent sur la rupture familiale engendrée par cette migration économique, qui était initialement prévue comme un court voyage visant à améliorer leur situation sociale avant un retour au village au Maroc.

«Mora est là» a permis de documenter et de mettre en lumière une partie de l’histoire de l’immigration marocaine, mettant ainsi en relief les souffrances et les injustices vécues par ces mineurs, souvent négligés et peu connus.

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