43 cas d’atteinte à la liberté d’expression au Maroc (ONG)
L’Instance nationale de soutien aux prisonniers d’opinion et aux victimes de violations de la liberté d’expression (Instance) vient de rendre publique un rapport de suivi sur l’état des libertés au Maroc. Les détails.
Cette nouvelle coalition est composée de membres du mouvement associatif progressiste (AMDH ou d’anciens dirigeants de Ligue marocaine des droits de l’homme) et de membres d’Al Adl Wa Iihssane (islamistes d’opposition), d’anciens prisonniers politiques des Années de plomb, ainsi que de plusieurs citoyens. L’instance vient de rendre public son premier rapport sur l’état des libertés au Maroc, et plus précisément les libertés d’expression et de la presse. Le document de 22 pages recense 43 cas d’atteinte. La moitié de ces cas sont liés à l’actualité récente du mouvement national opposé à la normalisation avec l’entité sioniste.
« Notre objectif est d’informer l’opinion publique sur la situation des droits de l’homme, et les procès contre des citoyens ».
L’Instance a tenu un point de presse le 29 mai dernier à Rabat pour présenter ce rapport. « Notre objectif est d’informer l’opinion publique nationale et internationale sur la situation des droits de l’homme, et les procès contre des citoyens », explique un communiqué de l’Instance. Cette coalition s’inquiète des « nombreuses affaires où des citoyens sont poursuivis pour avoir exprimé leurs opinions sur la gestion des politiques publiques en émettant des critiques à l’égard des autorités », observe l’Instance.
« Répression contre les militants anti-normalisation »
Le rapport note la « répression contre les militants anti-normalisation ».
Le rapport note la « répression contre les militants anti-normalisation, les blogueurs, les journalistes et les manifestants pacifiques opposés à cette politique impopulaire ». Le rapport cite quinze cas poursuivis dans différents contextes mais en lien avec des mobilisations pour la Palestine et opposées à la normalisation avec les sionistes. Said Boukyoud condamné en septembre 2023 à trois ans de prison. Abderrahim Zendag condamné à 4 ans de prison en avril 2024, dont le procès en appel est prévu pour le 3 juin prochain. Mustapha Dakar condamné à 1 an et demi de prison en ce mois de mai. Les trois ont été condamnés pour des écrits critiques sur les réseaux sociaux et les trois sont membres de la mouvance Al Adl Wa Ihssane.
Toujours en lien avec le mouvement anti-normalisation, un procès est toujours en cours au Tribunal de première instance de Salé.
Toujours en lien avec le mouvement anti-normalisation, un procès est toujours en cours au Tribunal de première instance de Salé. Il concerne 11 militants poursuivis en état de liberté. Ces personnes avaient organisé une manifestation devant un magasin Carrefour à Salé, manifestation suite à laquelle ils sont interpellés à la date du 25 novembre 2023. Ces citoyens protestaient contre la présence d’une enseigne française sur les territoires occupés en Palestine. Un autre citoyen est également poursuivi pour avoir exprimé une opinion pro-palestinienne, il s’agit de Sofiane Chater, qui était poursuivi par le Ministère Public devant le Tribunal de Première Instance de Berkane le 14 mai dernier sous l’accusation « d’entrée sur un terrain de jeu sans motif légitime lors d’un match de football ». Chater est entré sur le stade de Berkane lors de la finale avec le Zamalek portant le drapeau palestinien.
Chater est entré sur le stade de Berkane lors de la finale avec le Zamalek portant le drapeau palestinien.
Commentaire de l’Instance : « Dans cette période, où nous attendions avec impatience une réponse immédiate à cette demande populaire, celle de mettre fin à la normalisation avec l’entité sioniste, les autorités s’efforcent de confronter ceux qui s’opposent à la normalisation en lançant des poursuites, en fabriquant des dossiers et en recourant à la justice pour réprimer des opinions critiques », accuse cette Instance.
« Montée de la répression »
L’Instance a documenté « l’augmentation » du nombre de procès liés à la liberté d’opinion, d’expression, de manifestations et de protestations pacifiques. Certains d’entre eux ont été condamnés à une peine de prison ferme tandis que d’autres sont condamnés avec sursis. Le rapport cite les cas suivants : Pr. Maâti Mounijb (condamné et poursuivi depuis plusieurs années), Me Mohamed Ziane (condamné à 4 ans de prison et de nouveau poursuivi), RedaTaoujni (4 ans de prison ferme), Boubker Elouankhari poursuivi en état de liberté provisoire), Sabaâ Abdelbessat (inoncenté), Mohamed Deghay (1 an de prison ferme), Saida El Alami (3 ans de prison ferme) et Yassine Chekroun (2 ans de prison ferme).
Le rapport s’inquiète aussi de la multiplication des poursuites lancées par des membres de l’Exécutif ou de l’administration.
Le rapport évoque les cas des journalistes emblématiques :Taoufik Bouaâchrine (15 ans de prison ferme),Souleymane Raissouni (5 ans) et Omar Radi (6 ans). Le document revient sur les cas récents : Hanane Bakkour (1 mois avec sursis), Abdelmajib Amyay( 2 mois avec sursis et une amende de 5000 DH). Le rapport s’inquiète en outre de la multiplication des poursuites lancées par des membres de l’Exécutif ou de l’administration ou de hauts dirigeants de partis politiques. C’est le cas de Hicham Lamrani, du média Achkain, poursuivi par l’actuel ministre de la Justice.
Le rapport sur les nombreuses poursuites contres les citoyens participants à des mouvements sociaux, cite le cas de Figuig (2 personnes condamnées) et le cas de Jerada (2 personnes condamnées), tout en rappelant les cas des prisonniers politiques emblématiques du Rif (le groupe de six détenus dont fait partie Nasser Zefzafi à la prison de Tanger).
Recommandations :
Au terme de ce monitoring détaillé, l’Instance a émis une série de recommandations adressées à la présidence du Conseil des droits de l’homme à Genève, recommandations également adressées au parlement et au gouvernement marocain. « La Commission considère que le Maroc assumera le poste de président du Conseil des droits de l’homme à Genève et que cela devrait être l’occasion de clore tous les dossiers de détentions politiques et d’arrestations d’opinion, ayant ont touché de nombreuses personnes », espère l’Instance. L’Instance table sur les prochaines sessions de l’instance onusienne en juin et en octobre prochain. « C’est l’occasion pour le Maroc de mettre en œuvre le contenu des avis et décisions du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire », continue l’instance.Ce groupe avait demandé la libération « immédiate » de Taoufik Bouachrine et Souleymane Raissouni.
Le danger de critiquer un ministre
Au Parlement, l’Instance recommande de « soumettre des propositions de lois visant à modifier la loi sur la presse et le Code pénal, afin d’arrêter de criminaliser toutes les opinions exprimées concernant la critique des autorités publiques ». L’Instance recommande que le pouvoir législatif puisse « soumettre un projet de loi conformément aux exigences de l’article 15 de la Constitution, qui stipule le droit du Parlement de légiférer dans un certain nombre de domaines, notamment en promulguant la loi « d’amnistie générale ».
Au gouvernement, l’Instance rappelle « le gouvernement marocain, à respecter les engagements annoncés lors de la discussion de l’Examen période au Conseil des droits de l’homme à Genève ». Enfin, l’Instance insiste pour que les membres du gouvernement « cessent de porter plainte contre les journalistes, les citoyens qui expriment leurs opinions et leur point de vue sur les politiques publique ».