Le Maghreb, une tragédie migratoire
« […] Les frontières de l’apartheid migratoire et les limites des régimes des libertés de circulation sont contestées en acte par celles et ceux auxquels l’accès à cette liberté est nié ». Atlas des migrations dans le monde, Migreurop, 2022
L’enquête menée par ENASS avec Lighthouse Reports (LHR) et d’autres médias internationaux* a documenté de manière exhaustive, comment la politique européenne d’externalisation des frontières contre l’immigration irrégulière est mise en œuvre au Maroc, en Mauritanie et en Tunisie. Cette violence routinière est financée par l’Union européenne (UE). Ces nouvelles révélations avec images et documents officiels à l’appui ne choquent plus. Des sources officielles et anonymes au sein de Bruxelles cautionnent ces pratiques. Les mêmes sont en cours entre l’Italie et l’Albanie, la Turquie et la Grèce et Chypre. Le régime migratoire autour de la Méditerranée assume pleinement son caractère mortifère et criminel.
Des sources officielles et anonymes au sein de Bruxelles cautionnent ces pratiques.
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ENASS.ma en tant que média Marocain, Maghrébin et Africain, poursuit ce travail de documentation de la violence des frontières. Notre participation bénévole dans ces enquêtes journalistiques internationales nous permet de contextualiser ce régime migratoire dans un climat répressif global. Ce travail minutieux permet de pointer du doigt le logiciel cynique à l’œuvre au sein de la Commission européenne (CE), bailleur de fonds de ces politiques. Pr Abdelkrim Belguendouz appelle cette politique « une guerre migratoire aux sudistes ». Le Pacte européen sur la migration et l’asile est le dernier acte de cette guerre : Refouler les migrants indésirables, détricoter le droit d’asile et pomper les talents (médecins, ingénieurs, chercheurs, etc.) du continent africain.
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La présence sur le terrain nous a permis de documenter aussi le caractère colonial de cette guerre aux Exilés. La puissante « Europe » dicte ses directives à ses anciennes colonies : Le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie, la Tunisie et la Lybie. Le schéma colonial est à l’œuvre de manière implacable. Les projets européens, hors du domaine de surveillance des frontières, ne sont que de beaux sentiments. Une hypocrisie occidentale de plus face à des colonisés qui acceptent d’être des sous-traitants. Ces exécutants jouent la carte du chantage à la migration pour obtenir quelques maigres points diplomatiques ou obtenir de l’UE de fermer l’œil sur les violations des droits humains.
Cette investigation est aussi un miroir du Grand Maghreb en ce moment. Un Maghreb où les libertés démocratiques s’effritent (un euphémisme). Un Maghreb où la liberté de circulation est absente. Un Maghreb où les murs se dressent entre les peuples. Il a été d’ailleurs symptomatique que deux pays importants dans le dispositif du « DesertDump » n’ont pas fait l’objet d’investigation : L’Algérie et La Lybie, car ces terrains sont difficilement accessibles pour les journalistes indépendants locaux ou internationaux.
Aujourd’hui le Maghreb est un mur pour les migrants étrangers mais aussi pour propres ressortissants de ces pays.
Le voisin de l’est est des premiers à avoir pratiquées ces méthodes de refoulement en plein désert et en violation des droits humains des personnes migrantes. Le cas algérien est intéressant, car sans être lié avec autant d’accords de coopération avec l’UE comme le sont les quatre pays du Grand Maghreb, l’Algérie applique le profilage racial et de refoulement systématique de migrants vers le Niger, tout en « humanisant » ses méthodes à travers le recours à l’Organisation internationales pour les migrations (OIM). Sans parler de la Lybie où des groupes para-militaires, financés par l’UE, se chargent d’intercepter les migrants en mer et dans le désert. Un secret de polichinelle chez les chancelleries occidentales, notamment l’Italie d’extrême droite de Georgia Melloni. Aujourd’hui le Maghreb est un mur pour les migrants étrangers mais aussi pour propres ressortissants de ces pays.
Cette investigation est aussi un miroir du Grand Maghreb en ce moment.
La tragédie migratoire maghrébine est aussi les morts et disparus en mer originaires d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Nord. Contrairement aux idées reçues, les ressortissants du Maroc, d’Algérie et de Tunisie constituent le plus gros du contingent de Haragua en Méditerranée. Une génération de jeunes maghrébins brule les frontières fuyant leurs pays qui n’offrent pas une dignité et un avenir meilleur. Ils ont un désir ailleurs comme le sont tous les jeunes dans le monde, or ils buttent sur des politiques de visa coloniales et sur des grillages. Ils prennent la mer au péril de leur vie.
Une génération de jeunes maghrébins brule les frontières fuyant des pays qui n’offrent pas une dignité et un avenir meilleur.
Algériens, Marocains et Tunisiens sont dans le trio de tête sur toutes les routes de la Méditerranée (mer et terre), comme les montrent les chiffres de l’Agence européennes des frontières (FRONTEX). En 2022, 9400 Algériens ont été interceptés sur une des entrées de l’espace européen, soit la première nationalité sur la route de la Méditerranée occidentale. La même année, 25 000 Tunisiens ont été intercepté dans leurs routes vers l’Europe, soit la 2ème nationalité sur la route de la Méditerranée centrale (après les Egyptiens). Pour leurs parts, 15 000 Marocains ont été interceptés sur les entrées européennes, soit la première nationalité sur la route de l’Ouest Atlantique (Les îles Canaries).
D’autres chiffres de FRONTEX : les ressortissants de ces pays sont dans le trio de tête des décisions de refoulement prononcés par des autorités européennes : Algériens (44 000 migrants), Marocains (39 000 migrants) et Tunisiens (26 000). Ces chiffres de ces Maghrébins d’errance sont le symptôme d’une Europe qui refusent d’accueillir une jeunesse à la recherche emploi et d’un avenir meilleur. La sécurisation des frontières produit des drames et une dangereuse prise de risque. L’OIM recensait 3155 décès en Méditerranée. Un chiffre en deçà de la réalité du « cimetière méditerranéen ». L’association espagnole Caminando Fronteras évoque un autre chiffre : 6600 victimes que sur les routes d’accès au territoire espagnol. Dans le lot des victimes de la forteresse Europe, des milliers de Maghrébins et d’autres Africains.
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*« Desert Dumps » est une enquête internationale coordonnée par Lighthouse Reports. ENASS y a participé aux côtés du Washington Post (USA), du Spiegel (Allemagne), du Monde (France), d’El Pais (Espagne), de l’ARD (Allemagne), d’Inkyfada (Tunisie) et d’IrpiMedia (Italie). Porcausa a soutenu l’investigation dans l’accès à la base de données du FIIAPP.
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