Du Rif à Figuig : Quels mouvements sociaux au Maroc ?
Le « Peuple de gauche » est venu en nombre le 6 juillet, au siège de la Fédération de la gauche démocratique (FGD) pour discuter d’un sujet de grande importance dans la vision de ce courant politique, l’état des mouvements sociaux. Compte-rendu.
Salle comble pour ce samedi d’été au siège de la FGD à Casablanca. Entre un quart de final de l’Euro 2024 et un débat sur les mouvements sociaux, les militant-e-s ont fait leur choix. La FGD, parti politique né de la fusion de formations et courants de gauche, a réuni ses militants et sympathisants pour parler des « nouveaux mouvements sociaux au Maroc ». Cette thématique ancienne-nouvelle a été approchée à travers des lectures croisées de Khalid Bekkari, professeur de l’enseignement supérieur et activiste ; Samira Mizbar, socio-économiste et activiste au sein du mouvement de Figuig contre la privatisation de l’eau de cette oasis et Nourreddine Zahi, sociologue. Les trois intervenants s’accordent à dire que l’essoufflement des « mouvements sociaux classiques encadrés par des courants politiques » et « l’émergence de mouvements sociaux de nature régionale et catégorielle au sein des professions (enseignant, médecins, infirmiers, etc.) ».Cette discussion à mi-chemin entre « savoir » et « praxis » a connu la participation d’acteurs du mouvement du Hirak de Figuig.
Marges et l’Ultra : les nouveaux mouvements sociaux
Khalid Bekkari démarre son intervention par le fait de clarifier les concepts utilisés. « Nous ne pouvons pas faire une distinction entre les anciens et les nouveaux mouvements sociaux. Ce n’est qu’une une continuité des formes avec des moyens et des contextes différents », postule-t-il. « À l’action de terrain s’est ajouté l’action digitale », précise cet activiste très en vue sur les réseaux sociaux. Le mouvement du boycott économique de 2018, rappelle cette séquence où la mobilisation a été exclusivement digitale ou encore le mouvement intense mais assez bref contre le pass sanitaire, alliant actions de terrain et mobilisation digitale en octobre et novembre 2021.
Bekkari regrette « que les mouvements sociaux au Maroc n’aient pas de relais politiques»
L’émergence de mouvements sociaux à la marge et non plus au centre et dans les grands centres urbains rejoint aussi la résurgence de mouvements sociaux à la marge dans d’autres contextes internationaux. « Nous pouvons citer le mouvement des paysans sans terre au Brésil ou le mouvement indigène en Bolivie », rappelle Bekkari. Ce dernier poursuit son analyse en évoquant « les nouvelles formes d’organisation des mouvements sociaux, tels les Ultras dans le sport que peuvent constituer une nouveauté relative mais qui en même temps remplacent les mobilisations estudiantines ». Bekkari regrette « que les mouvements sociaux au Maroc n’aient pas de relais politiques et finissent souvent par l’essoufflement ou la répression ».Nourreddine Zahi, sociologue et enseignant chercheur à l’Université Mohamed Benabdellah de Fès, a tenté de décrire les traits de ces nouveaux mouvements sociaux : « Les mouvements sociaux actuels émergent dans les espaces ruraux ou péri-urbains. Ils ne s’appuient pas sur des structures organisées comme un parti politique ou un syndicat », note-t-il. L’enseignant chercheur explique cette transformation par « tout le travail fait dans les années 80 pour assécher les sources de la mobilisation politique et sociale, en s’attaquant au système éducatif et à l’université qui ne produisent plus de cadre ni même un encadrement politique », observe-t-il.
L’émergence de mouvements sociaux à la marge et non plus au centre et dans les grands centres urbains.
Les mobilisations sociales existent en permanence au Maroc. Le nombre a connu une croissance exponentielle entre 2005 et 2013, comme le démontrent les travaux du sociologue Abderrahmane Rachik (l’ouvrage sur La société contre l’Etat). Cette année, la scène sociale a été marquée par le mouvement social des enseignants à l’automne 2023. En ce moment, l’actuel mouvement des étudiants en médecine marque les esprits pour annoncer une année blanche pour 24 000 étudiant-e-s. Le premier a d’ailleurs cassé le monopole dans l’un des derniers fiefs syndicaux dans le pays, l’éducation. Les coordinations (tansikiyat) ont une capacité de mobilisation égale, ou dépassant les syndicats traditionnels.
Les deux derniers cas de mouvements sociaux de grande ampleur, montre la domination de l’auto-organisation citoyenne, et l’usage de moyens et de relais locaux ou régionaux comme ce fut le cas au Hirak du Rif 2016-2017 et le Hirak de Jerada en 2018. Le hirak du moment, celui de Figuig, résiste depuis neuf mois malgré les pressions et la répression.
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Figuig, généalogie d’un mouvement spontané
« Le mouvement de Figuig est un signe d’inquiétude face aux risques de la disparition d’une communauté oasienne »
Samira Mizbar, socio-économiste originaire de Figuig suit ce mouvement social depuis ses débuts. Elle situe ce soulèvement contre la privatisation de l’eau de cette oasis dans des racines sociales et culturelles propres à cet espace. « Chaque mouvement a une histoire sociale. Ce mouvement est d’abord un signe d’inquiétude face aux risques de la disparition d’une communauté oasienne », souligne cette chercheure en sciences sociales.La raison d’être de cette communauté, fragilisée par les dérèglements climatiques, se trouve remise en question, suite à l’atteinte d’un des trois piliers de la vie dans l’oasis. « Figuig est bâti autour de la ressource en eau, de la terre et des Hommes. Si l’un des trois éléments venait à manquer, l’oasis serait en risque d’extinction », s’inquiète cette géographe de formation. Ce qui explique ce soulèvement qui dure et par la même affronte différentes formes de répression. Un mouvement qui trouve des relais au Maroc et à l’international grâce à une diaspora mobilisée.
« Figuig est également une Diaspora en Europe et ailleurs dans le monde. Ceci a permis à la ville de tenir malgré les épisodes difficiles ».
« Figuig est aussi une Diaspora en Europe et ailleurs dans le monde. Ceci a permis à la ville de tenir malgré les épisodes difficiles », précise Mizbar. Ce mouvement s’appuie aussi sur un pilier : les femmes Figuigis. « Les femmes sont très présentes deux fois par semaine dans chaque action, ce qui leur vaut la répression et même le harcèlement moral de la part de plusieurs acteurs ». Avec leur Haik, les femmes sont ainsi les icônes de ce mouvement.
Le mouvement opposé au passage de la gestion de l’eau à la société multiservice « Acharq » vit un tournant. Après la phase de répression marquée par l’arrestation et la condamnation d’une des figures de ce mouvement, (MOVO) à huit mois de prison ferme, l’autorité locale a décidé de dissoudre le conseil communal qui se trouvait bloqué à la suite de l’opposition affiché au projet de privatisation. Désormais, c’est un comité provisoire qui gère les affaires courantes de la commune, en attendant des élections anticipées, dont la date demeure inconnue pour le moment. « À cela s’ajoute, la décision d’un nouveau découpage administratif privant Figuig de l’un de ses quartiers au profit d’une autre commune », explique Mizbar. Le timing de cette décision administrative laisse dubitatif l’opposition et le mouvement social. Le mouvement survira-t-il à cette période creuse de l’été ? Ou bien connaitra-t-il un nouveau souffle avec le retour des Marocains résidents à l’étranger à leurs villes natales pour les vacances ? Les prochaines semaines apporteront plus de réponses à ces interrogations. Seule certitude, le cas du mouvement de Figuig reste néanmoins l’une des illustrations des transformations des mouvements sociaux marocains.