Santé : Privatiser, démanteler et réprimer
Ce soulèvement met en crise trois processus de démantèlement, de ce qui reste du secteur « public » dans la santé au Maroc. Edito.
Le mouvement social dans le secteur de la santé publique, s’élargit et résiste aux multiples attaques de l’oligarchie au sein de l’Etat et du secteur privé. Les étudiant-e-s en médecine poursuivent un mouvement de grève historique depuis huit mois, au péril de leur carrière en affrontant menaces et sanctions liberticides.
Le personnel de la santé (médecins, infirmiers et administrateurs) se soulève pourtant et de façon tardive contre les différentes réformes néolibérales. Une large coalition de sept syndicats s’oppose à des aspects de réformes en cours, et d’une mise en œuvre empressée.
Rappelons que cette « réforme » vise la refonte totale de l’organisation, le financement et la « gouvernance » de la santé publique au Maroc. Un chantier d’inspiration néolibérale, appliquant les mêmes recettes des années 80, mises au goût du jour avec des discours sur « l’Etat social » et « des filets sociaux » made in La Banque mondiale (BM) et la Banque africaine de développement (BAD). Les acteurs du secteur, étudiant-e-s et personnel, ont senti, certes tardivement, que cette réforme expéditive sonnera le glas du secteur public. Ce soulèvement met en crise trois processus de démantèlement, de ce qui reste du secteur « public » dans les champs d’activité de la santé au Maroc.
Une large coalition de sept syndicats s’oppose à des aspects de réformes en cours et d’une mise en œuvre empressée.
La privatisation du secteur de la santé au Maroc date de la fin des années 80. La place prise par le secteur privé, particulièrement les cliniques privées, dans les grands centres urbains a été synonyme de ce retrait de l’Etat à la faveur d’un privé sans foi (ex : surfacturation) ni loi (ex : chèque de garantie) durant trois décennies. Le citoyen marocain paie jusqu’à 50% des frais de soins, sans être remboursé.
Le patient au sein de l’une des cliniques de ce groupe est un actif financier parmi tant d’autres.
Après la phase de privatisation, une nouvelle phase démarre avec la financiarisation du secteur. Elle est marquée par les mouvements capitalistiques de fonds d’investissement (Saham, Finance.com, Mediterrania Capital Partners, CDC France, CDG Invest, etc.) et la création de holding dominants dans le secteur des soins (Akdital, OMD, Oncorad, etc.). Le moment confirmant cette financiarisation est l’entrée en Bourse d’Akdital, fin 2022 (23 établissements de soins et 2500 lits, plus 2 milliards de CA en 2023). Désormais, étant au sein d’une des cliniques de ces groupes, le patient n’est plus qu’un actif financier parmi d’autres. C’est une variable d’ajustement, à vendre, à céder, à spéculer autour…
Le patient est à vendre, à céder, à spéculer autour.
Le deuxième processus est celui du démantèlement de l’architecture de la santé publique au Maroc. Tout y passe. Universités publiques de médecine et de pharmacie, CHU (déjà privatisées), Hôpitaux de différents niveaux, même le petit centre de soins de quartier est concerné. Tout doit être vendu à zéro dirham au privé, dans le cadre des Partenariats public privé (PPP). Au privé, les patients solvables. Au public, les patients « AMO Tadamoun ». Les Groupements territoriaux de la santé (GST) actant ce démantèlement, « public et privé doivent travailler de concert », claironnent les chantres du néolibéralisme au ministère de la Santé dans leurs bureaux de Rabat, armés de leurs consultants BM-BAD et leurs PowerPoint.
A lire aussi : Étudiants en médecine: Espoir de médiation parlementaire?
Détruire la formation médicale est un pilier essentiel dans ce démantèlement. Face à un des derniers remparts de la qualité dans ce secteur, il fallait utiliser le bulldozer du Makhzen. D’ailleurs, c’est le ministère de l’Intérieur qui a tenté de forcer la main aux étudiant-e-s et faire passer l’examen aux étudiants grévistes. Ce coup de pression a finalement fait pschitt.
En amont, nous assistons à une vague d’ouverture d’universités privées en médecine et en pharmacie. Cinq universités depuis en cinq ans (Cheikh Khalifa-Mohammed VI à Casa ; Cheikh Zaid à Rabat ; Université internationale à Rabat ; Université privée à Fès, Université privée de Marrakech etc.).Des établissements de formation, ouverts sans toutefois disposer de CHU, comme le stipule la loi.
Cette entrée massive du privé dans la formation, s’est faite au détriment de la formation publique. Un des signes de ce démantèlement : serait le recrutement de professeurs des universités publiques. Le premier objectif a été de vider l’université publique de ses meilleures ressources, comme l’a dénoncé le SNESUP Faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca depuis plusieurs années.
Le rouleau compresseur de « la réforme » demande d’avantage d’un secteur public éreinté, en sous-effectif et de surcroit sous-équipé.
En face, les universités PPP étaient dotées de moyens énormes ringardisant la formation publique. Au même moment, le rouleau compresseur de « la réforme » demande d’avantage d’un secteur public éreinté, en sous-effectif et sous-équipé.
Face au risque de contagion, l’Etat a réagi par la répression.
Les étudiants en médecine ont senti que la formation médicale publique était en danger. C’est en ce moment même que se joue l’avenir d’une Université publique de qualité, formant des médecins et des pharmaciens. Une opposition très dure de l’Etat face aux revendications des étudiant-e-s montre l’importante névralgique de « la réforme » imposée aux étudiant-e-s. Or, par un « miracle social », les étudiant-e-s ont résisté, ils ont dit « NON » démocratiquement et continue à le clamer dans les places publiques. Un mouvement qui a soulevé la veine revendicative chez les autres professionnels du secteur. Face au risque de contagion, l’Etat a réagi par la répression.
A lire aussi : Canon à eau et matraques pour les infirmiers et les médecins
Le 10 juillet dernier dans les rues du centre-ville de Rabat, l’Etat a voulu donner un signal clair mais violent aux acteurs du système de la santé : « Soit vous abdiquez face à cette réforme, soit c’est la répression ». La violence de la répression, et son caractère disproportionné marqué par des arrestations et des poursuites judiciaires à l’encontre des manifestants, tous ces ingrédients étaient soigneusement mis en œuvre pour faire passer le message. Cette réforme flagornée par son supposé « caractère de souveraineté » s’apparente à une casse sociale, au profit de fonds d’investissement privés. La résistance des étudiant-e-s en médecine est une lueur d’espoir pour faire reculer cette énième casse sociale…
Le Maroc est dirigé par une mafia drogué par l’argent et le pouvoir et ayant abdiqué leurs obligations et responsabilités envers la population. Ceci n’est rien de moins qu’un crime envers le peuple inspiré par les doctrines démoniaques issues de Wall Street et la City de London où l’égoïsme est érigé en vertu moral. Le Maroc ne connaîtra pas de justice et d’équité tant qu’il ne se conformera pas à la charia islamique et n’abandonnera pas le pôle Atlantique et ses recettes économiques diaboliques dites « néolibérales ».