À COPAG, le calvaire des syndicalistes
Des salariés de la Coopérative décident en juin 2023 de créer un syndicat pour exiger le respect du Code du travail. Depuis, leur quotidien est fait de suspensions, de mutations et de licenciements. Récit d’une lutte ouvrière au sein d’une institution dite « humaine ».
Nous sommes sur le boulevard Mohammed V à Rabat, il est 19h, la place devant le siège du Parlement affiche complet en ce vendredi d’été. Deux sit-in sont programmés au même moment, le Comité de soutien du bureau syndical au sein de l’agence Rabat-Salé de COPAG décide de déplacer le sit-in programmé sur le même boulevard vers la place, auprès de la Gare ferroviaire de Rabat-ville. Salariés de la coopérative produisant les marques Jaouda et Jayda, familles des ouvriers en grève de la faim, militants et syndicalistes tous solidaires de cette grève et tous mobilisés pour la cause en cette fin de journée. Peu d’organisations sont présentes, quelques militants de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), et l’Instance marocaine des droits humains (IMDH) ont fait le déplacement pour ce sit-in.
Deux des ouvriers du bureau syndical suspendu de leur poste depuis plusieurs mois mènent encore leur grève de la faim depuis 52 jours au moment de la tenue de ce sit-in. « Ce sit-in est organisé pour alerter l’opinion publique et les responsables régionaux et gouvernementaux sur les risques qui pèsent sur la vie de nos camarades », déclare à ENASS.ma, Khalid El Amer, SG du bureau syndical affilié à la Fédération nationale du secteur agricole (FNSA) de l’UMT.
« Anti-syndical »
« Les salariés travaillent dans des conditions difficiles, les heures de travail dépassent les 12 jours/jour ».
Le combat des salariés de cette coopérative commence en juin 2023. Un groupe de salariés décide de créer un syndicat pour défendre les droits des travailleurs au sein de l’agence COPAG Rabat-Salé. « Les salariés travaillent dans des conditions difficiles, les heures de travail dépassent les 12 h/jour. Les règles de santé et de sécurité au travail sont absentes dans l’agence. Pour résumer, le Code du travail n’est pas appliqué dans cet espace de travail », énumère El Amer, SG de ce nouveau syndicat, affilié à la FNSA de l’UMT.
« Les règles de santé et de sécurité au travail sont absentes dans l’agence. Le Code du travail n’est pas appliqué dans cet espace de travail ».
Quelques temps après, El Amer et ses camarades déposent un dossier revendicatif qui comprend « des points simples qui ne sont qui plus ni moins que l’application du Code du travail », précise El Amer. La direction régionale de COPAG affronte cette démarche légale par des décisions/sanctions de mutations des lieux de travail contre deux membres du nouveau bureau syndical.C’est à ce moment que ce projet de dialogue social entre une coopérative dite « humaine » et un bureau syndical se transforme en un âpre conflit social.
« Nous avons entamé un premier dialogue au niveau régional, par la présence du ministère de l’Emploi. Nous voulions que ces mesures punitives soient suspendues à l’encontre de deux de nos membres », se rappelle ce salarié éreinté par des mois de lutte. Et de préciser : « On ne peut pas accepter que deux salariés aient été licenciés de leur travail après quatorze ans passés dans le même poste ».
« COPAG est une fausse coopérative, une vraie entreprise capitaliste prédatrice. Cette institution constitue une exception en matière de non-respect du droit syndical ».
La FNSA-UMT entretient un rapport tendu avec COPAG. Tahar Douraidi, membre du Bureau exécutif de la Fédération nationale du secteur agricole-UMT revient sur l’historique syndicale de cette institution : « COPAG est une fausse coopérative, une vraie entreprise capitaliste prédatrice. Cette institution constitue une exception en matière de non-respect du droit syndical. Le ministère de l’Emploi au niveau régional est témoin de ses pratiques contraires au Code du travail », accuse ce syndicaliste.
« Un bureau syndical à Marrakech a été démantelé à peine un mois après sa création, un autre à El Jadida a subi le même sort ».
Pour illustrer son propos, Douraidi énumère les cas précis où COPAG a mis fin à des initiatives syndicales au sein de ses agences régionales. « Un bureau syndical à Marrakech a été démantelé juste un mois après sa création, un autre à El Jadida a subi le même sort. À Taroudant [siège social de la coopérative], le bureau syndical n’a duré que 24 heures après sa création en 2009. C’est systématique, tout syndicat est combattu au sein de cette structure », résume ce dirigeant au sein de la FNSA. Le cas du syndicat de l’agence Rabat-Salé constitue une exception en termes de longévité et de combativité, au prix d’immenses sacrifices…
« Travailler sans revendiquer ses droits »
Au sit-in du 19 juillet à Rabat, un groupe de femmes était également présent, elles sont épouses ou sœurs de syndicalistes grévistes venues « dénoncer le silence du gouvernement » face au drame en cours. Une des sœurs s’exprime au micro de ENASS.ma : « Mon frère est l’un des grévistes, il a passé vingt ans de sa vie à la Coopérative. Il a sacrifié sa vie pour cette institution. Le jour où il a décidé de revendiquer ses droits, la COPAG l’a licencié », regrette-t-elle les larmes aux yeux. Avant de lancer un cri d’alerte : « Après 52 jours de grève de la faim, mon frère est aujourd’hui un cadavre vivant, il perd connaissance et il est transporté à chaque reprise. Les familles souffrent face à cette situation. On veut appliquer la loi ». Les membres du bureau syndical de cette agence COPAG sont licenciés depuis plusieurs mois. Ils ont entamé une série de négociations et de dialogues, mais sans résultat.
« COPAG au-dessus des lois »
Depuis onze mois, les tentatives de réconciliation ont toutes échoués. La direction a tablé sur le temps et sur l’usure. Sans salaire, les salariés ont tenu bon. « Il y a quelques mois, la direction nous a proposé la mutation de tous les membres du bureau syndical, pour mettre fin à l’existence du syndicat à COPAG. Nous évidemment avons refusé », explique Khalid El Amer, SG du Syndicat COPAG.
Une deuxième offre est proposée en février 2024. « Nous avons conclu un accord en présence du ministre de l’Agriculture, avec un engagement de mettre fin à nos souffrances. L’offre comprenait une mutation de deux mois avec des indemnités. Quelques semaines après, la direction fait volte-face et refuse de signer un engagement avec nous. Et nous voilà revenu au point-mort », regrette ce syndicaliste.
« Le département est convaincu du caractère légal de ces revendications, mais cette coopérative s’estime au-dessus de la loi ».
L’obstination de la direction face aux multiples tentatives de médiation a mené à ce blocage. « La responsabilité de cette situation incombe au ministère de l’Agriculture. Le département est foncièrement convaincu du caractère légal de ces revendications, mais cette coopérative s’estime au-dessus de la loi », condamne Tahar Douraidi, membre dirigeant de la FNSA. Même son de cloche de Taïb Madmad du Comité de soutien aux syndicalistes de COPAG Rabat-Salé : « Il est de la responsabilité du Wali de la région de Rabat-Kenitra et du Chef du gouvernement, comme le patron de COPAG de mettre fin à cette mascarade. Les ouvriers ne demandent que le respect de leurs droits, le droit marocain ni plus ni moins », conclut-il.