« 500 jeunes ont été déplacés de force »
Mohamed Ben Aissa est le président de l’Observatoire du nord pour les droits humains (ONDH). Cette association a suivi cette forme de migration à la nage vers Sebta depuis janvier 2024. L’ONDH avait alerté sur la multiplication des décès suite à ces tentatives. Son président fait le point sur la situation

ENASS.ma : Comment expliquez-vous cette explosion (+400%) de la migration à la nage vers Sebta durant ce mois d’août ?
Ces personnes sont devenues quelques parts des succes story dans la région et dans leur ville natale.
Mohamed Ben Aissa (MBA) : Les mouvements migratoires sont par définition dynamiques. Le dynamisme est du côté des autorités en charge de la surveillance des frontières, comme du côté des candidats. L’ouverture de cette route en 2022 est la conséquence du changement de la ville de Sebta, et l’obligation des visas pour les habitants du nord du Maroc en 2021. La vague de mai 2021 a permis l’arrivée de certaines personnes qui ont pu avoir des papiers ou s’inscrire en formation à Sebta et en Espagne. Ces personnes sont devenues quelques parts des succes story dans la région et dans leur ville natale. Les réseaux sociaux ont rendu attractif cette migration. À cela s’ajoute, les facteurs météo : une mer plus calme, des eaux relativement chaudes permettant de résister plus longuement au froid, et un épais brouillard qui s’est abattu sur la région depuis le mi-aout.
Comment les tentatives sont-elles passées de formes individuelles à des formes collectives ?
MBA :La surveillance accrue du poste-frontalier ainsi que la côte de M’dieq le long de 3 km, ont poussé un nombre de jeunes à s’organiser pour faire un passage en groupes et être plus difficilement contrôlable. D’autant plus, que la proximité de la frontière donne plus de chances pour arriver sain et sauf. À cela s’ajoute, l’effet surprise créé par les groupes face aux agents en charge de surveiller la côté maritime.
La semaine dernière a été marquée par le recours des autorités marocaines à des opérations de déplacements forcés à l’encontre des jeunes candidats à l’émigration se trouvant à M’dieq et se dirigeant vers d’autres villes marocaines. Comment se sont déroulées ces opérations ?
Ces méthodes sont regrettables et confirment le sentiment de hogra que vivent ces jeunes.
MBA : Avec regret, nous avons constaté l’usage de ce procédé qui rappelle celui utilisé à l’encontre de migrants subsahariens. Nous estimons que 500 jeunes issus de villes du nord du Maroc, ont été déplacés de force vers des villes du centre ou du sud du pays. Parmi les villes de déplacements : Beni Mellal, Casablanca, Fès et même et Laâyoune. Ces méthodes sont regrettables et confirment le sentiment de hogra que vivent ces jeunes. Ce déplacement est dominé par une approche sécuritaire, car ces personnes finiront par revenir chez elles quelques heures après leur déplacement. Nous avons eu écho de l’usage à quelques reprises, de violence. Nous sommes en train de recouper ces données.
Des voix de l’extrême droite en Espagne estiment que cette nouvelle vague de traversées, est une forme de chantage de la part du Maroc à l’égard de l’Espagne. Cette hypothèse est- elle plausible ?
MBA :Je ne le pense pas. Les relations entre le Maroc et l’Espagne sont au beau fixe, selon les déclarations des deux parties. Le gouvernement Sanchez soutient le plan d’autonomie sur le Sahara. Encore plus, nous n’avons pas noté de relâchement du côté marocain durant ces semaines, au contraire, le Maroc ne fait que renforcer le contrôle frontalier.
Cette nouvelle vague confirme la crise socio-économique sévère dans le nord, depuis la fermeture de la frontière et la crise de l’emploi parmi les jeunes…Qu’en pensez-vous ?
Ils se sentent peu considérés et ont perdu confiance en leur pays.
MBA :Pire…Les jeunes de la région ont perdu espoir. C’est surtout les facteurs psychologiques qui poussent ces jeunes vers un départ aussi risqué. Ils se sentent peu considérés, et ont perdu confiance en leur pays. Le danger se situe dans cette perte d’espoir totale chez une tranche de jeunes.
Avec une frontière fermée, accessible que par visa pour les jeunes du nord, cette « frontiérisation » a-t-elle contribué à la hausse de cette forme de migration ?
La nouveauté et l’attractivité de cette migration est qu’elle soit gratuite.
MBA :La migration irrégulière a toujours existé dans le nord du Maroc. Je rappelle le cas tristement emblématique de Hayat Belkacem, morte en 2018 [étudiante de Tétouan et migrante tuée suite à des tirs de la marine royale]. La nouveauté et l’attractivité de cette migration c’est qu’elle est gratuite. Elle coûte presque 0 DH pour le candidat. Il suffit de savoir bien nager pour tenter sa chance. Or, pour la migration avec les pateras, celle-ci coûte de l’argent.