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« Fnideq est économiquement sinistrée »

ENASS.ma : Quelle lecture faites-vous de cette nouvelle vague migratoire vers Sebta occupée durant le mois d’août ?

Nabil Bazzi : Après la fermeture du point de passage de Tarajal, appelé aussi « Bab Diouana » la migration irrégulière parmi les Marocains a connu une hausse importante. Quand la frontière était ouverte personne ne pensait prendre la mer ou migrer de cette façon. Auparavant, les gens partaient travailler avec des papiers et d’autres sans papiers à Sebta.Ces derniers s’organisaient avec des petits boulots dans la restauration ou comme artisans (maçons, plâtrier, menuisier, etc.). Ces personnes représentaient une main d’œuvre conséquente, et une bouffée d’oxygène pour la province. A cela s’ajoute, des personnes travaillant dans la contrebande vivrière.  Toute cette activité s’est arrêtée du jour au lendemain et sans alternative. 

Comment décrivez-vous cette migration ?

D’abord, je tiens à rappeler que cette vague de migration est individuelle, elle n’est ni organisée ni contrôlée par des réseaux. Cette migration a créé beaucoup trop de drames. Durant cette année, plusieurs jeunes ont perdu la vie, causant des drames pour leurs familles. Au sein de l’AMDH, nous les appelons les martyrs de pain.

Des voix en Espagne et au Maroc estiment que cette nouvelle vague de traversées est une forme de chantage de la part du Maroc à l’égard de l’Espagne. Cette hypothèse est-il plausible ? 

La réalité de la région est limpide : Nous sommes dans une zone économiquement sinistrée.

Ce débat sur les pressions exercées par le Maroc sur l’Espagne est réfutable.Notre évaluation de la situation part de faits. La réalité de la région est limpide : Nous sommes dans une zone de M’diq-Fnideq économiquement sinistrée. La fermeture de « Bab Diouana » a mis à terre un territoire couvrant la province de Fnideq-M’dieq jusqu’à Tétouan. Les promesses de lancement de projets ne sont que des mirages. Il suffit de se rendre à Rincon, Castillo et Martil pour s’en rendre compte.

Pourtant à partir de 2022, plusieurs projets ont été annoncés…

Nous appelons à la reddition des comptes autour de programmes de développement dans la région.

Effectivement, l’INDH avec ses projets financés en dizaines de millions de DH, a eu un faible impact sur le développement social et humain. Au sein de l’AMDH, nous nous interrogeons sur les effets de l’INDH et du programme spécial lancé par la préfecture, suite aux manifestations des habitants en 2022. Je précise qu’il s’agit de projets individuels dont l’objectif serait de sortir une seule personne de la précarité, or même dans ce cas, ces personnes n’ont pas pu aller jusqu’au bout. Nous appelons à la reddition des comptes autour de ces programmes. Nous devons savoir où et comment cet argent a été dépensé ? Et pourquoi n’y a-t-il pas eu l’effet escompté sur les jeunes de la préfecture ? Les projets hôteliers et celui d’Ikea n’ont pas pu résorber le chômage. Le recrutement des jeunes de la région au sein de ces entreprises est très faible. Les gens partent pour des raisons simplement économiques. 

De quelle manière, la fermeture de la frontière de Tarajala a changé la vie des gens dans la province ?

La fermeture de la frontière a créé une crise sanitaire chez la population.

En plus de la crise économique, la fermeture a créé par exemple une crise sanitaire chez la population. Les habitants de la région se soignaient durant des décennies principalement à Sebta. Les médicaments étaient achetés à Sebta aussi car les prix sont plus bas de 50 à 70%. Tout s’est arrêté avec un effet sur la vie et les bourses des habitants.

Quelles solutions proposez-vous face à cette crise complexe ?

Au lieu de multiplier les barrières ; au lieu de déplacer les habitants de la préfecture de manière illégale vers d’autres villes ; il faut un projet économique et sociale.

Il faut passer d’une approche sécuritaire à une autre économique et sociale. Au lieu de multiplier les barrières, les grillages ; au lieu de déplacer les habitants de la préfecture de manière illégale vers d’autres villes ; il faudrait investir réellement en un projet de renaissance économique et sociale. La réouverture de la zone industrielle entre Fnideq et Martil est une priorité. L’OFPPT doit enrichir son offre de formations pour les jeunes. Les entreprises dans l’hôtellerie, IKEA et Tanger Med doivent assumer pleinement leurs responsabilités en donnant la priorité dans l’emploi aux jeunes de la région.  Sans cela, les départs et les drames se poursuivront. 

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