Sebta : « Le sécurisation des frontières est un échec »
Ali Zoubeidi, chercheur et spécialiste en migrations, revient sur les causes profondes de cette nouvelle vague de départs. Il note « l’échec » de la sécurisation des frontières et « le bricolage » des pouvoirs publics dans la région. Analyse.
ENASS.ma : Quelle lecture faites-vous de cette nouvelle vague migratoire vers Sebta occupée durant le mois d’août ? Peut-on la comparer avec celle de mai 2021 ?
« Les arrivées à Sebta en mois d’avril et mai ont encouragés de nouveaux départs en aout ».
Ali Zoubeidi : Je ne crois pas que ce soit comparable à celle de mai 2021. À cette époque, cette « crise » était liée à une pression politique et une tension diplomatique entre le Maroc et l’Espagne. Si l’on doit comparer cette nouvelle vague, je dirai qu’elle est proche en termes d’ampleur et de pression avec les évènements de juin 2022 autour de Melilla. Avec la différence que l’entrée s’est faite par voie terrestre en 2022 tandis qu’aujourd’hui ce sont des tentatives de franchir une « barrière » maritime. Selon les entretiens que je suis en train de réaliser avec quelques jeunes qui ont tenté d’atteindre Sebta, ils me confirment tous, que ce sont surtout les conditions météorologiques qui ont favorisé ces départs. Les tentatives se déroulent toute l’année. Les arrivées à Sebta au mois d’avril et mai ont encouragés de nouveaux départs en août, avec ce modus operandi financièrement peu coûteux. Ces départs ont causé des disparus en mer et le bilan devrait se préciser durant les prochaines semaines.
Est-ce que cette nouvelle vague ne confirme pas les limites de la sécurisation des frontières, dans une zone quasi-militarisée avec des investissements colossaux dans ce domaine ?
« Faire le constat d’échec de ces politiques de sécurisation de la gestion des migrations ».
AZ : Objectivement, nous ne saurons que faire le constat sur l’échec de ces politiques de sécurisation et de gestion des migrations. Malgré les efforts du côté des forces de l’ordre marocaines et espagnoles, nous nous retrouvons avec plus de victimes. Les flux sont toujours présents mais les restrictions à la mobilité sont organisées par les politiques de visas. Le Pacte mondiale pour des migrations sûres, ordonnées et régulières n’a pas donné de résultats. Les programmes inspirés de ces trois principes sont très rares. En même temps, personne ne peut arrêter la mobilité, d’autant plus que les causes profondes sont toujours présentes. Les facteurs de répulsion persistent. C’est une histoire qui se répète depuis 2004 avec une « crise » amplifiée par des frontières hermétiques.
« Le Pacte mondiale pour des migrations sûres, ordonnées et régulières n’a pas donné de résultats »
La situation entre M’dieq et Sebta peut-elle s’expliquer par le nouveau régime de mobilité imposée depuis 2022 aux habitants du nord du Maroc (imposition de visa), ou bien cette migration irrégulière s’inscrit dans la longue histoire du hrig des Marocains démarrés depuis les années 80 et 90 ?
AZ : La pandémie du Covid-19 a créé une nouvelle situation dans cet espace. La fermeture de la frontière, une crise socio-économique, les manifestations des habitants et l’inflation, sont les push factors de cette nouvelle forme de migration irrégulière. En réponse à cette situation économique difficile, les autorités ont agi par du bricolage économique et sécuritaire. Des emplois ont été promis dans les zones franches du nord, mais sans le réel sur le terrain, les programmes Intelaka et Awrach n’ont pas eu l’effet escompté. Donc, une crise s’est installée dans cette zone de circulation historique. La crise se prolonge aussi à Sebta. Dans ce contexte, la culture du départ est une obsession chez les hommes mariés ou même célibataires. Du côté des habitants, la seule solution est de partir. Côté officiel, on privilégie le bricolage et la gestion à très court terme.