Carnet d’été :Un « visa Frontex » pour les Ivoiriens
C’est un visa embarrassant ! Instigué par l’Agence européenne de surveillance des frontières (FRONTEX), souhaité par le Maroc et annoncé finalement par le gouvernement ivoirien. Il est rare qu’un pays annonce la mise en place d’un visa, non pas pour entrer sur son propre territoire, mais pour quitter celui-ci et rejoindre un pays étranger. Je ne sais pas si des précédents existent, mais l’annonce du gouvernement ivoirien reste inédite, d’autant plus qu’elle n’instaure pas de réciprocité. Les Marocains continuent d’être exemptés de visa pour pouvoir accéder au territoire ivoirien.
Rappelons les faits. L’histoire de cette décision ne commence pas le 14 aout 2024, date du fameux communiqué du Ministère des Affaires étrangères (MAE) de la Côte d’Ivoire, mais bien le 2 octobre 2023. Comme le rapporte Le Monde, le gouvernement ivoirien avait contesté véhément des données de Frontex. L’agence aurait comptabilisé « 14 000 ressortissants ivoiriens parmi les arrivées irrégulières en Italie ». Le gouvernement ivoirien conteste ce chiffre et remet en cause l’appartenance nationale de ces migrants qui « se présentent comme étant ivoiriens ». Le torchon brûle entre Frontex et Abidjan. Ce pays promet de faire « vérifications autour de ces chiffres » et « instaurer un visa pour les Ivoiriens se rendant au Maroc et en Tunisie ». En coulisses, Frontex crie victoire : La Côte d’Ivoire est sous pression.
Le communiqué du 14 août des MAE de la Côte d’Ivoire tombe comme un couperet pour la communauté ivoirienne au Maroc. « Le Gouvernement ivoirien, en concertation avec les Autorités marocaines, a engagé une procédure de réinstauration du visa d’entrée au Maroc pour tous les détenteurs de passeports ordinaires ivoiriens, et ce pour une période expérimentale de deux (02) années, à compter du dimanche 1er septembre 2024 », lit-on dans cette missive. La décision ne passe pas, d’autant plus qu’elle survient en plein été et en période de vacances pour les résidents et travailleurs ivoiriens au Maroc.
L’argumentaire du gouvernement ivoirien est celui d’un (bon) gendarme de l’Europe.
L’argumentaire du gouvernement ivoirien est celui d’un (bon) gendarme de l’Europe : « Face à l’afflux de migrants africains vers les côtes méditerranéennes, avec pour point de transit les pays du Maghreb dont le Maroc, les États d’accueil de ces candidats à l’immigration clandestine, en collaboration avec les services compétents des Ambassades ivoiriennes, ont procédé à un profilage. Il en ressort que certains de ces immigrants clandestins sont des ressortissants étrangers se prévalant de la citoyenneté ivoirienne ». Par ce nouveau visa, la Côte d’ivoire dresse une frontière européenne depuis Abidjan. Pour sa part, le Maroc poursuit sa « frontiérisation » voulue et soutenue par la Commission européenne. Qui est le prochain sur la liste parmi nos pays « frères africains » ? Une politique de fermeture de ses frontières déjà démarrée par l’Autorisation électronique de voyage (AEVM) imposée pour des ouest-pays africains notamment la Guinée. La « coopération africaine » et tous les beaux discours marocains attendront…
Le Maroc poursuit sa « frontiérisation » voulue et soutenue par la Commission européenne.
La fermeture des frontières et l’imposition de visas feront le bonheur des « réseaux de trafic ». Contrairement aux objectifs de cette mesure qui veut lutter contre « les réseaux parfaitement organisés, disposant de spécimens de faux passeports et des cachets contrefaits », plus de visas ne fera que jeter des hommes et des femmes entre les mains de trafiquants d’êtres humains se trouvant sur les routes migratoires. L’expérience le démontre : La route vers le Maroc et l’Europe sera plus coûteuse et plus dangereuse. Cette fermeture compliquera aussi la vie à des milliers d’Ivoiriens, issus de classes populaires moyennes, vivant, étudiant ou travaillant au Maroc.
Qui est le prochain sur la liste parmi nos pays « frères africains » ?
Les Ivoiriens nantis ne souffriront guerre de cette mesure. Le système frontalier imposé par l’Europe de Frontex est basé sur une séparation raciale et de classe. Comme le dit le communiqué du 14 aout : « Cette décision […] ne s’applique pas aux bénéficiaires de visas Schengen, des Emirats Arabes Unis, des Etats-Unis d’Amérique ou du Canada ». Ceux dont l’Occident a validé les documents peuvent circuler partout et librement. Quant aux autres, ils doivent subir les files d’attentes devant les consulats, les intermédiaires de rendez-vous, les arnaqueurs et au pire aux réseaux de trafic. Ce qui explique pourquoi la Diaspora ivoirienne au Maroc est vent debout, en un combat vigoureux contre une mesure « douloureuse », de l’aveu même du gouvernement ivoirien.
L’expérience nous le montre : La route vers le Maroc et l’Europe sera plus coûteuse et plus dangereuse.
Toute fermeture de frontière s’accompagne par son lot de discours xénophobe. Ce nouveau visa entre deux pays africains, réveille les vieux démons de la décennie 2000 en Côte d’Ivoire. Le discours sur « L’ivoirité » est de retour. Aux abois, le ministre de l’Intérieur ivoirien n’a pas trouvé mieux que d’instrumentaliser des références ethniques pour justifier cette décision. Au lieu d’agir pour crédibiliser les documents de voyages de son pays, le gouvernement ivoirien cherche des boucs émissaires. Les deux prochaines années, durée de cette mesure dite temporaire, je crains que nous ayons à faire le bilan des morts et des disparus sur les routes de la nouvelle frontière de l’Europe, Rabat.