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Hrig : « Le discours de cette jeunesse reflète une volonté de se distinguer »

Le 30 septembre 2024, une nouvelle tentative pour un exode massif de jeunes et de mineurs marocains avait été annoncée depuis Fnideq. Le spectre de tentatives de rejoindre la ville occupée de Sebta plane toujours. Le sociologue spécialiste des migrations, Khalid Mouna, apporte son éclairage sur les enjeux de cet exode. Interview.

ENASS.MA : Pourriez-vous nous donner votre avis sur la tentative de migration collective du 15 septembre ? 

Khalid Mouna : Ce qui s’est passé reflète davantage un malaise profond parmi les populations en situation de précarité, en particulier les jeunes et les mineurs issus de familles défavorisées. Lorsque l’on observe la géographie de ces personnes, celles-ci viennent principalement de régions marginalisées, dont on parle très peu. Elles subissent diverses formes d’exclusion, d’où découlent   des échecs scolaires et des échecs familiaux, par conséquent il n’existe pas d’équilibre au sein de la famille. Cela crée une dynamique politique particulière.

« Cette nouvelle génération, et au-delà des conditions socio-économiques difficiles, reste extrêmement connectée ».

Cela nous montre également que cette nouvelle génération, et au-delà de ses conditions socio-économiques difficiles, est extrêmement connectée. Le fait que cette même génération vit dans la précarité, ne signifie en aucun cas qu’elle soit isolée. Oui, elle est marginalisée sur le plan socio-économique, mais en ce qui concerne la communication, elle est bel et bien présente.

ENASS.MA: Comment avez-vous perçu la gestion des frontières lors de cette tentative de migration sur les deux côtés, marocain et espagnol ?

Khalid Mouna : Franchement, dans des situations comme celle-ci, on n’a pas de gestion. Les moyens humains ne suffisent plus, et la répression s’intensifie, nous sommes dans une sorte de débordement et d’absence de maîtrise. Parler de maîtrise, de la part des autorités marocaines ou espagnoles concernant ce phénomène migratoire où cette migration de masse, me semble illusoire. Derrière cela, il y a une série de violations des droits, physiques notamment, qui ne sont absolument pas justifiables. Pourtant, en raison de l’ampleur du phénomène, cela peut sembler ordinaire, car il devient presque impossible de gérer un tel afflux de personnes. J’ai moi-même été témoin de cette situation sur l’autoroute : j’y étais, et j’ai vu de mes propres yeux les gendarmes et les autorités, toute une organisation dont les médias n’ont absolument pas parlé.

Ces jeunes se sont organisés, cotisant et se connectant pour trouver des moyens de transport, évitant les autocars qui étaient contrôlés et repérés. Il y avait toute une logistique mise en place, rendant le contrôle quasi impossible. Beaucoup descendaient même sur l’autoroute pour éviter d’être arrêtés, et ceux qui étaient interceptés informent les autres qui arrivaient. C’est ainsi que l’information circulait, permettant à chacun de savoir ce qui se passait

ENASS.MA:Pensez-vous que cet événement puisse entraîner des changements dans les politiques de gestion des frontières à l’avenir ?

« À un certain moment, et si les Européens ont externalisé leurs frontières dans le cadre des politiques de Frontex, le Maroc finira par repousser ses frontières en interne ».

Khalid Mouna : En réalité, je pense que l’impact ne se fera pas au niveau de la gestion physique des frontières, telle la gestion de la porte de Ceuta, mais plutôt dans la gestion des déplacements de masse. Si les Européens ont externalisé leurs frontières dans le cadre des politiques de Frontex, le Maroc finira par repousser ses frontières en interne. Nous allons  donc commencer à contrôler les déplacements des jeunes vers Sebta à travers des politiques de gestion, notamment pour en faire une rupture de solidarité.

 Le coût politique se fera sentir dans les années à venir, car cette jeunesse fait face à une réalité difficile à changer. Si les politiques marocaines ne s’améliorent pas et si on ne parvient pas à anticiper la situation,  une situation qui pourrait bien être le point de départ d’une vague de contestations sociales majeures. Ce qui s’est passé à Fnideq pourrait être un message fort pour les années à venir

ENASS.MA: Est ce que la précarité socioéconomique explique-t-elle seule ce genre de tentative?

« Aujourd’hui, le discours de cette jeunesse reflète une volonté de se distinguer, de ne pas ressembler à leur famille et de construire autre chose ».

Khalid Mouna: La migration n’est pas motivée uniquement par des raisons économiques. On ne migre pas seulement pour fuir des conditions socio-économiques difficiles, c’est également pour trouver plus de liberté, se détacher de certaines valeurs ou d’un groupe social. Les rêves d’imiter des idoles que l’on voit sur les réseaux sociaux, comme sur Instagram, jouent également un rôle important. Ces jeunes aspirent à ressembler à ces modèles, à ces figures qui se montrent à Dubaï ou à New York avec des voitures de luxe. L’économie à elle seule ne suffit pas à expliquer les récents départs. Il ne s’agit plus seulement d’une migration “classique”, où une personne partait pour subvenir aux besoins de sa famille. Aujourd’hui, le discours de cette jeunesse reflète une volonté de marquer le coup, de se distinguer, de  prendre des distances avec la famille et de construire autre chose. L’économie reste un facteur important, mais elle n’est qu’une pièce du puzzle, dans ce phénomène.

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