Parti pris, Tribunes

Médecine d’État : ordonnance pour une répression

Par Moulay Ben Silence

En cette sombre semaine de notre histoire commune, l’éclat révolté des blouses blanches se heurte violemment aux cuirasses impassibles de l’autorité. Les étudiants en médecine, dans l’audace de leur jeunesse, osent défier un pouvoir qui, tel un sphinx aveugle et sourd, persiste à ignorer les clameurs des générations montantes. Chronique.

À la lisière de cette confrontation s’élève un constat amer : celui d’un gouvernement qui, en refusant l’échange, n’a su produire qu’un silence pesant et assourdissant. Silence des triques, cliquetis des menottes, grondements des bottes sur les pavés… Voilà donc tout ce qu’il subsiste de ce « dialogue » tant promis. Ah, quelle farce !

L’image d’un policier brutalement agrippant une future médecin contestataire laissera une cicatrice tenace sur notre conscience collective.

L’image d’un policier brutalement agrippant une future médecin contestataire laissera une cicatrice tenace sur notre conscience collective. Ce spectacle aurait pu être évité. Mais non, la mise en scène du Makhzen est toujours la même : on réprime d’abord, on justifie après, et on réfléchit… jamais.

Le Makhzen, tel Janus, n’avait fait que changer de masque, promettant l’oubli de ses crimes tout en aiguisant dans l’ombre la lame d’une répression renouvelée.

Pourtant, il fut un temps où le régime, dans un rare moment de lucidité, sembla désavouer son passé. L’ère des années de plomb, synonyme de répression cruelle et d’oppression systématique, paraissait s’éclipser dans le sillage d’un apparent repentir. Les lourdes chaînes des oubliettes politiques semblaient promises à la rouille, tandis que l’on exhibait avec fierté une Instance Équité et Réconciliation, semblable à un oriflamme de rédemption nationale. Hélas ! Le Makhzen, tel Janus, n’avait fait que changer de masque, promettant l’oubli de ses crimes tout en aiguisant dans l’ombre la lame d’une répression renouvelée.

Ah, quelle ironie ! Car si le Makhzen a un temps hésité, c’est sous la pression de ces vents impérieux venus d’au-delà de l’Atlantique, ces vents où se mêlent les injonctions à la sécurité et les diktats de l’impérialisme américain. Après l’effroi du 11 septembre et les mesures restrictives liées au Covid, l’Occident, engoncé dans ses peurs, s’est mué en grand inquisiteur, poussant les gouvernements de la région à promulguer des lois aussi liberticides qu’inefficaces. Et le Makhzen, de retour sur les sentiers sombres qu’il connaît si bien, a saisi ces occasions avec le zèle d’un serviteur trop empressé. Sous couvert de lutte antiterroriste ou de propagation de la pandémie, il a restauré ses anciens réflexes, au grand bonheur de l’aile dure du régime, celle qui ne rêve que d’ordres muets et d’obéissance servile.

Mais il y a là une tragédie teintée d’un humour cruel : ce régime, tout en méprisant ses opposants modernes, regrette secrètement les années où l’opposition se cristallisait autour de figures intrépides, capables de briller dans les ténèbres. Aujourd’hui, le Makhzen s’apitoie en se plaignant que les dissidents manquent de panache et de profondeur, un peu comme un bourreau qui, par nostalgie, encenserait la bravoure de ses anciennes victimes.

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Alors, il ne sait plus trop quoi faire de cette nouvelle génération d’étudiants en blouse blanche qui, elle, n’a pas encore appris à courber l’échine. Peut-être rêve-t-il, dans ses heures les plus sombres, d’un manuel de médecine qui commencerait ainsi : « L’organe vital du pays ? Le Ministère de l’Intérieur ! Toute tentative de greffer un peu de justice entraîne un rejet catégorique. » Car en vérité, l’humour est une arme bien plus tranchante que leurs menottes.

Cette contestation est loin d’être une simple fièvre passagère : elle est le symptôme d’une société en pleine mutation, une société qui réclame d’être entendue.

Hélas pour eux, cette nouvelle génération, loin d’être dupe, sait que le seul remède pour cet État cacochyme est une thérapie de choc. Les étudiants, indociles et insoumis, ne se laissent pas effrayer par les vieilles recettes de la peur et de l’intimidation. Cette contestation est loin d’être une simple fièvre passagère : elle est le symptôme d’une société en pleine mutation, une société qui réclame d’être entendue. Que faire, alors, pour museler cette vague de consciences éveillées ? Peut-être créer un « ministère de la Répression Créative », chargé d’inventer des stratagèmes plus ingénieux pour juguler l’inacceptable et dompter l’invisible ? Voilà une brillante idée qui, soyons-en certains, serait accueillie avec enthousiasme par cette cohorte d’hommes et de femmes pour qui le statu quo est un dogme et la répression, une religion.

Mais trêve de plaisanterie : cette sombre comédie a assez duré. Le véritable courage, le seul qui vaille d’être salué, ce n’est pas celui de maintenir le peuple enchaîné par la force. C’est celui d’affronter la vérité de ce mécontentement grandissant, de plonger dans la houle du désarroi populaire, d’accepter, enfin, de se défaire des certitudes qui mènent à l’abîme. Hélas, ce courage-là, l’histoire le montre, est plus rare qu’un ministre sans scandale, plus précieux qu’une promesse de réformes, et plus insaisissable qu’un plaidoyer sincère dans l’hémicycle.

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En attendant, tandis que le Makhzen, tel un vieux seigneur déchu, se remet en marche arrière, il semble prêt à célébrer avec faste le retour des âges sombres. Sur le perron du pouvoir, les costumes-cravates de nos gouvernants tirent déjà leurs mouchoirs, prêts à accueillir avec emphase ce spectre du passé. Et pendant ce temps, le peuple, lui, reste dans l’obscurité, l’œil rivé sur l’horizon, espérant toujours l’aube d’un véritable changement.

Mais patience… Que les barons du régime ne se fassent pas de bile : la médecine a évolué, et même les pires tyrans, parfois, finissent par avaler leur propre remède. Qui sait ? Peut-être qu’un jour, ils se découvriront enfin allergiques à leur propre poison.

Disclaimer : Les avis exprimés dans la rubrique « Tribune » ne représentent pas nécessairement les opinions du média ENASS.ma

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