Depuis M’diq, « Ce que la mer doit à la terre »
Sortie en mai 2024, « Ce que la terre doit à la mer » est la première bande dessinée d’Oumaima El
Gamraoui, lauréate de l’Institut National des Beaux-Arts de Tétouan. L’autrice aborde un thème à
la fois d’une actualité brulante et qui est devenu inévitable depuis bien des années, l’immigration
et l’exil.
Par David Le Doaré

Pour les chercheurs, journalistes, aspirants au Hrig ou gardiens des frontières, entre ses pages rien de
nouveau sous le soleil. Ce qui change ici n’est pas le message sur le mirage de la migration illégale, l’originalité réside dans le médium choisit et la voix qui le porte.
« Ecrire sur l’immigration est pour moi fondamental »

« Chez moi on lisait peu, enfant je ne savais pas ce qu’était une bande dessinée ». L’autrice
est née dans un cadre marocain traditionnel à M’diq (Rincón), petit port de pêche bercé par le bruit
des mouettes, des vagues… et des rêves projetés d’un continent à l’autre. Toute sa vie Oumaima a
entendu l’appel de l’horizon : « d’ici on voit la côte espagnole, beaucoup de jeunes veulent s’échapper
pour le pays des rêves. Même dans ma famille! Ils disent que là-bas ils seront des humains. »
Probablement ce qu’imaginent aussi les milliers de marocains qui tentent d’entrer dans Sebta depuis
plusieurs semaines.
« Quand je commence une histoire, ce thème revient toujours » explique Oumaima. A
l’origine Ce que la terre doit à la mer était son projet de fin d’étude, puis grâce au soutien du
Ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, elle a pu en faire imprimer 500
exemplaires (disponibles uniquement dans deux librairies de Tétouan). La jeune artiste propose un
univers attachant autour du personnage principal Achraf : le jeune homme vivote entre un oncle
patron pêcheur sage qu’il accompagne en mer, sa petite sœur à l’orée de la puberté, son frère
encore bébé et leur mère écrasée par les dettes. Dans une explosion de frustration et d’impuissance
poignante, cette dernière résume le dénuement d’une famille comme piégée par « Lma o lchTaba
7ta l93 lb7r ». Le père ? Absent, sa place occupée par un autre qui n’a guère d’affection pour les
enfants du foyer.
Le chant des sirènes
Entre deux sorties en bateau pendant lesquelles il flirte avec sa chimère, Achraf assiste au retour en
fanfare de ceux qui ayant franchi le détroit reviennent au volant d’automobiles rutilantes. Ceux-là
« khanz flous » et exercent sur le jeune homme une attraction irrésistible. Son oncle a beau lui
répéter que « dik ljiha machi 9tk », rien n’y fait. Achraf veut fuir une vie qui le maltraite. Inconscient,
il se munie d’un carnet de crédit en guise de passeport, embarque sa sœur pour la préserver d’un
mariage arrangé et se cache dans le bateau de l’oncle, direction le pays fantasmé. Avant de se jeter
dans les vagues.
Tout n’est pas maitrisé dans cette première œuvre, avec parfois des incertitudes dans
l’enchainement des cases et à la lecture des bulles rédigées dans une darija chamalia manuscrite.
Elle n’en est pas moins une réussite, tant le récit et la galerie des personnages sonnent juste,
accompagnés par les arabesques des chants de Nass El Gghiwan Ah Ya Ouine, Allah ya moulana et
Zad Alhame. En dessinant avec le cœur son coin de la côte méditerranéenne, à l’aune d’une crise qui
secoue tout le pays, Oumaima fait une belle entrée sur la scène émergeante de la bande dessinée
estampillée 100% marocaine.
David Le Doaré
Contact Oumaima El Gamraoui
https://www.instagram.com/oumaimaelgamraoui/?igsh=MTYwYXIxNjMzM2Ftaw