Idées

Séisme : Kadiri décortique le programme de reconstruction

Zakaria Kadiri est un socio-anthropologue spécialiste du monde rural. Il est L’Invité de ENASS. Dans cette interview, il revient sur le bilan de la reconstruction du séisme, ses effets sociologiques et sa gestion politique. 

Bio express : Zakaria Kadiri est professeur de sociologie à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Ain Chock de Casablanca. Il dirige le Laboratoire de recherche sur les Différenciations Socio-anthropologiques et les Identités Sociales (LADSIS), au sein de la même faculté.Il est également membre de la Chaire Fatima Mernissi et d’Economia Research Center. Titulaire d’un doctorat en sociologie politique de l’Université d’Aix Marseille, d’un Master of science de l’Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier et d’un diplôme d’ingénieur d’État en agronomie de l’École Nationale d’Agriculture de Meknès. Ses recherches portent sur les politiques publiques rurales et agricoles au Maghreb, la jeunesse dans le monde arabe, le leadership et les inégalités dans l’accès aux ressources en eau et du foncier. Vous pouvez lire une partie de ses travaux ici. Interview 

ENASS : Selon vous, pourquoi le programme de reconstruction n’a pas tenu ses promesses initiales annoncées en septembre 2023 ? 

Zakaria Kadiri :Je pense qu’il y a plusieurs facteurs qui peuvent l’expliquer. D’abord, on a fait des scénarios de reconstruction de l’habitat. Ces scénarios privilégiaient le respect du mode d’habitat local, des savoirs locaux et la construction avec des matériaux locaux par des personnes résidantes sur place. Très vite, je pense et dans le feu de l’action, les acteurs sur le terrain se rendent compte que cette démarche nécessiterait un temps très long. Les responsables auraient probablement cherché des solutions alternatives avec des modèles qui peuvent aller très vite. Nous sommes passés d’un modèle qui prendrait en compte les caractéristiques des trois provinces touchées par le séisme (Al Haouz, Taroudant et Ouarzazate) vers des habitats homogènes et standardisés. Un autre facteur de ralentissement, serait le processus de déboursement des aides au logement. Les aides ont tardé à venir dans certaines zones, dans d’autres les gens ont commencé à dépenser l’argent reçu. Entre temps, les permis de construction tardaient également à être délivrées.

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Nous sommes passés d’un modèle qui prend en compte les caractéristiques de l’habitat des quatre provinces touchées par le séisme à des habitats homogènes. 

Maintenant, les gens sont fatigués d’habiter dans des tentes et vont se résoudre à aller vers leurs nouvelles maisons et pour un nouveau toit. En termes pratiques, les observations réalisées dans les villages montrent que l’habitat rural n’est pas celui des petites superficies, même pour les ménages aux revenus très faibles.

Les gens sont fatigués d’habiter dans des tentes et vont se résoudre à aller vers leurs nouvelles maisons. 

Ces habitations serviraient également d’abris pour les animaux et de lieux de stockage des récoltes et denrées. Donc, nous n’avons pas pris le temps de comprendre les besoins des gens et construire selon les normes de leurs nécessités. Au final, la construction a démarré, elle est en béton, ce qui posera des questions sur la vie dans ces espaces de montagnes entre un hiver froid et l’été plutôt très chaud. Au final, le type d’habitat choisi ne répond pas aux caractéristiques de ces régions. Le seul gain, peut-être, serait le respect des normes antisismiques. Celles-ci sont parmi les facteurs qui font que nous n’ayons pas un rythme rapide  au niveau reconstruction. 

L’habitat rural n’est pas celui des petites superficies. 

Beaucoup de personnes n’arrivent pas à revenir vers leurs maisons menaçant de tomber en ruine…

Zakaria Kadiri : Dans ces zones, les populations sinistrées vivent dans une peur latente. Reprendre leur vie dans un bâtiment fissuré, même si les commissions techniques estiment qu’il est en bonne état avec quelques retouches, n’est pas chose évidente. Ceci retarde la reconstruction car beaucoup estiment leurs logements manifestement non habitables. Ces familles sont dans une zone d’attente. Tous ces éléments questionnent les procédures choisies.

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Le type d’habitat choisi ne répond en aucun cas aux caractéristiques des régions sinistrées.

Est-ce que l’Etat par sa présence et ses moyens, détient les possibilités d’assurer un bon déroulement de cette reconstruction au sein d’un tissu social où ce même Etat ne serait-il toujours pas présent…

Zakaria Kadiri : Il est difficile dire que l’Etat ne soit pas présent. L’Etat est présent dans ces espaces par ses agents et ses administrations. Cette présence diffère avec des ordres d’importance et des échelles de responsabilités. Je peux en citer la présence à travers l’administration agricole et les moyens publics sur l’irrigation. Ceci étant dit, il est certain que cette présence est globalement insuffisante. Le séisme a montré que la politique publique dans ces zones insuffisantes, en termes d’infrastructures et de services publics. Le séisme pourrait être cette occasion de nous rapprocher des réalités de ces espaces, réfléchir et agir dans ces zones.

Pour répondre à votre question sur les promesses, oui l’acteur public a annoncé des choses qui ne se sont pas concrétisés sur le terrain. Maintenant, certains chantiers prennent naturellement du temps comme la construction de routes et les infrastructures en général. Un accompagnement se fait aussi par les différents services étatiques. Mais grosso modo, nous sommes loin des attentes projetées lors de l’annonce du programme, notamment l’absence de l’Agence pour le développement du Haut-Atlas et l’affaiblissement de l’attention administrative et financière vis-à-vis des enjeux de la reconstruction et que si ces règles avaient étés considérées et respectées nous serions allés vers de belles choses dans l’intérêt  des zones sinistrées et leurs populations. 

Qu’est-ce que nous apprend cette épreuve du séisme sur la méconnaissance et à priori qu’ont les urbains sur le monde rural et spécialement sur les zones de montagnes ? 

Zakaria Kadiri : Premièrement, nous pouvons parler d’une méconnaissance très visible aux premiers jours du séisme, l’exemple  sur cette situation, est l’envoi des denrées périssables dans ces zones en pleine période de sauvetage. Maintenant, le positif dans ce drame serait que le séisme nous ait rapproché les des autres et permis  à mieux connaitre des populations reculées partageant le même territoire, découvrir une partie du territoire national et la beauté de ces régions. Deuxièmement, l’administration connait très bien ces zones, mais est-ce suffisant pour adapter nos manières d’agir ? ceci est une autre et vaste question…

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La province de Tata a subi des dégâts suite à des phénomènes météo. Dans ce contexte de provinces déjà fragiles socialement (précarité et enclavement) et désormais sur le plan climatique. Comment les protéger et prendre en compte réellement les besoins des espaces ruraux ?

Aucune région au Maroc ne serait protégée des catastrophes naturelles.

Zakaria Kadiri : Juste une précision : Aucune région au Maroc n’est protégée des catastrophes naturelles, y compris sur les zones côtières. C’est un fait scientifique, au Maroc comme dans tous les pays. Maintenant pour ces régions, elles souffraient déjà de beaucoup de problèmes structurels. Parmi ces déficits notamment les problèmes d’infrastructures de protection des catastrophes. Il y a eu des investissements réalisés dans ce domaine par l’Etat et par la coopération internationale mais tout ceci demeure insuffisant.

La catastrophe dure un laps de temps très court mais les dégâts sont ressentis sur une longue période.

Il faut se mettre dans l’état d’esprit que ces catastrophes peuvent être fréquentes et violentes. Pour cela, il faut former des experts dans le risque, dans tous les champs de vie de ces populations et les zones. La catastrophe dure très peu de temps mais ses effets seront subis pour une longue période. 

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