Les mots qui coupent
Le dernier livre de Mohamed Hmoudane revient sur ses obsessions et ses angoisses.
« Inventez, sinon des mots, des phrases qui coupent au lieu de lier », écrivait Jean Genêt dans Les nègres, que cite en exergue Mohamed Hmoudane. Dans Un bateau en papier flottant dans les airs, recueil de prose poétique en trois actes, il fait un bilan torturé d’une trajectoire houleuse : « est-ce moi qui vais venger moi-même de moi-même, est-ce moi qui vais sceller l’acte de mon innocence pour m’exiler, à jamais, dans les hauts jardins d’Éden ? » On y retrouve les thèmes qui lui sont chers : les effervescences fiévreuses, les transes nocturnes, la quête d’un « salut à travers les couloirs labyrinthiques de l’âme », ceux qui frôlent « les plus hauts sommets de la folie et de la sédition ». Si le titre du livre évoque une trajectoire aérienne, c’est dans une danse macabre qu’il entraîne ses lecteurs.
Transgressions
Toute la dynamique du livre va dans le sens d’un périple pesant, alourdi d’histoires anciennes et d’assignations abâtardissantes. « Nous sommes tous des Ulysse, enfants de ma tribu, vous les immigrés sans partisans, vous, les descendants du fils de la servante, vous qui avez fabriqué des barques pour la mort et les avez serties, tels des cercueils, de fleurs et des larmes cristallines des mères, nous avons brûlé terre, mer et ciel, et toutes nos cartes, sauf la carte diaphane d’Allah : notre joker ! » Mais la thématique centrale n’est pas la migration, c’est la « guérilla donquichottesque » que Mohamed Hmoudane mène dans le langage et qui l’amène à revenir sur nombre d’illusions. Le portrait du monde poétique est au vitriol, avec l’embourgeoisement des salons parisiens d’une part et de l’autre, « dans un monde sans boussole, des poètes et des critiques respectables ergot[a]nt sans cesse sur l’aragonisme de Breton, le bretonisme d’Aragon, le bleu et l’horizon de la poésie, l’universel et le local, autour de vin bon marché, dans des bars sombres et désolés, sous le seuil toléré ». « Le mieux serait que je m’exorcise moi-même ». La scène d’auto-thérapie qui s’ensuit, propose ironiquement un traitement radical de substitution à l’habitude de « boire le cuivre en fusion, bouillonnant dans des coupes en diamant » et de soliloquer en invoquant l’étoile avec ses cinq branches aux noms de femmes.
Dans Séisme, Mohamed Hmoudane propose sept brefs textes en prose sur la même obsession des « funérailles nuptiales », pleine de secousses entre la vie et la mort, le sacré et le profane, l’hier et l’aujourd’hui. « Comment puis-je être à la fois ici et là-bas ? », s’interroge-t-il. Le récit halluciné de ces déchirements est traversé de culpabilité et d’une véritable angoisse morbide.
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza Sefrioui
Un bateau en papier flottant dans les airs, suivi de Séisme
Mohamed Hmoudane
Éditions Onze, 48 p., 80 DH