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À Leqliâ, Migrants et Marocains partagent précarité et insécurité

Le 16 novembre 2024, Leqliâ, commune rurale sans histoire, située dans la région du Souss-Massa a défrayé la chronique. Des affrontements entre des immigrants subsahariens et les résidents locaux ont levé le voile sur les difficultés d’installation de nouveaux arrivants dans cette zone pauvre et de relégation urbaine pour le Grand Agadir. Reportage-enquête

SalaheddineLemaizi, à Leqliâ (Province Inezgane-Aït Melloul)

Nous sommes le 21 novembre, six jours après les émeutes urbaines qu’avait connu la commune de Leqliâ (à 23 km d’Agadir). Un calme précaire domine les ruelles de cette ville dortoir. Des véhicules des Forces auxiliaires sont stationnés à l’entrée et dans certaines ruelles de la commune. Sur le boulevard principal, cette petite localité s’anime en cette fin d’après-midi. Les ouvriers et ouvrières agricoles viennent de terminer leur journée de travail dans les champs de l’agriculture intensive. 

Leqliâ est transformée par l’agriculture intense d’exportation en cité dortoir pour les ouvriers agricoles.

Vers 18h, le marché de fruits et légumes ne désemplit pas. Dans la cohue, nous retrouvons, plusieurs personnes originaires d’Afrique de l’Ouest et Afrique centrale installés dans la grande place du marché. C’est dans ce square qu’avaient eu lieu les affrontements du 16 novembre. Des membres des Forces auxiliaires patrouillent le marché. Marocains et subsahariens se côtoient mais ne se parlent pas. Au début des années 2000, Leqliâ est transformée par l’agriculture intense d’exportation, en cité dortoir pour les ouvriers agricoles. A partir de 2018, l’installation d’immigrants d’origine subsaharienne attirés par le travail agricole et par une zone relativement épargnée des arrestations et déplacements forcés, transforme, actuellement cette commune en ville d’immigration. Au point que Leqliâ connait la plus grande concentration de population d’origines étrangères en proportion de la population. 

L’installation d’immigrants d’origine subsaharienne, attirée par le travail agricole et par une zone relativement épargnée des arrestations et déplacements forcés.

En dix ans la population de cette ville a connu une évolution de 29% passant de 83 300 à 107 000 habitants. Leqliâ compte 1246 personnes étrangères en 2024, soit le plus grand nombre d’étrangers parmi les communes de la province d’Inezgane-Aït Melloul(voir le tableau n°1), comme le montre les dernières données du Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2024. Des enjeux de vivre-ensemble et d’accès aux services publics dont la sécurité publique se posent avec acuité. 

Leqliâ compte 1246 personnes étrangères en 2024, soit le plus grand nombre d’étrangers parmi les communes de la province d’Inzegane-Ait Melloul. 

La situation de Leqliâ n’est pas une exception. Les communes de Biougra, Khmiss Ait Amira, etc. connaissent aussi une installation de migrants attirés par le travail agricole et les tarifs relativement accessibles des loyers. Comment la population locale vit cette transformation graduelle de leur commune ? Comment se préparent les autorités élues et locales pour l’arrivée de cette population ? Quels rôles jouent les projets de la coopération internationale dans la région de Souss-Massa pour accompagner cette nouvelle donne démographique et socio-économique ? Cette enquête tente d’apporter quelques réponses à une nouvelle réalité migratoire. 

« La fausse information tue »

Rappel des faits. Le 15 novembre, Dialou, jeune ouvrier revient d’Agadir vers son quartier de résidence dans la commune de Tadrart. Sur le chemin du retour, il n’arrive pas à trouver un moyen de transport et décide de passer la nuit dans un jardin public à Leqliâ pour pouvoir rejoindre son travail à l’heure. Le 16 novembre, Dialou se lève à 5 heure du matin. Aux premières lueurs du jour, il est arrêté et grièvement blessé au cou par un voleur et repris de justice, connu dans les quartiers chauds de Leqliâ. L’information se diffuse comme une trainée de poudre. « Sur les groupes WhatsApp des communautés, une fausse information que Dialou était mort suite à son agression. Le mal était déjà fait », regrette un médiateur social. 

Vers 8h du matin, les personnes en migration sortent sur l’artère principale pour manifester leur colère face à l’insécurité qui domine à Leqliâ. Une femme marocaine filme avec son téléphone le rassemblement, ce qui attise la colère des manifestants qui tentent d’agresser la femme. La colère change de camp. Des jets de pierre entre immigrants et Marocains bloquent l’artère principale de Leqliâ. Les forces de l’ordre interviennent pour maintenir l’ordre public et calmer les esprits. « Il a fallu toute la matinée pour les choses rentrent dans l’ordre »,rappelle Amour Kimouanga, acteur associatif local qui anime la page Infos Migration dans la région. Six jours plus tard, ces évènements continuent de diviser une communauté de migrants et les fausses nouvelles dominent parmi eux. 

« Le fléau de l’insécurité » 

Nous poursuivons notre tour dans cette commune. Sur la Route 105, artère principale de cette commune, les cafés sont nombreux. Sur la terrasse d’un de ces cafés, un groupe de jeunes immigrants entame une discussion qui se veut animée. Nos questions sur les évènements du 16 novembre sont perçues avec prudence. « Le jeune est déjà mort », continue à penser Soulemyane, immigrant malien. Le flou de la désinformation domine, venant de ce groupe. En réalité, l’immigrant auparavant agressé et cependant grièvement blessé, fut hospitalisé à l’hôpital provincial d’Inzeguane pendant cinq jours puis il a pu quitter la structure de soins le 20 novembre. 

Un immigrant : « Une personne migrante peut perdre la vie à cause d’un voleur qui veut subtiliser notre téléphone ».

Malgré ce fait divers et les graves incidents du 16 novembre, dans cette commune, les immigrants et la population locale coexistent dans cet espace péri-urbain. « Nous n’avons aucun problème avec la population marocaine, au contraire les gens de Leqliâ sont respectueux envers tout le monde. C’est un sentiment partagé par les différentes communautés d’immigrés. Notre unique problème serait les voleurs et les voyous qui nous agressent et nous volent nos téléphones », précise Souleymane. Et son voisin Lamine de poursuivre : « Il nous est impossible de sortir la nuit après 22h. Une personne migrante peut perdre la vie à cause d’un voleur qui veut prendre son téléphone », témoigne-t-il.  Plusieurs marocains interrogés vont dans le même sens : « Les migrants sont des gens sans histoire dans leur très grande majorité. Ils sont à la recherche d’un travail et d’un toit, comme les premiers arrivants à Leqliâ », compare Hamid, un habitant de cette commune. Malgré ces discours apaisants, la tension persiste, notamment à cause de l’insécurité. Les évènements du 16 novembre n’étaient que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Cette colère et ces violences exprimaient une situation tapie de violences multiples. 

Un Marocain : « Ils sont à la recherche d’un travail et d’un toit, comme les premiers arrivants à Leqliâ ».

Des insuffisances dans les services publics 

Dans une note du Collectif des Communautés Subsahariennes au Maroc (CCSM) pour l’accès aux droits des personnes en migration au Maroc, cette association livre son diagnostic et recommandations sur l’installation précaire de ces personnes en migration dans la région de Souss-Massa. ENASS.ma a eu accès à cette note en exclusivité. La note fait un état des lieux sur l’état de l’accès équitable aux services publics, notamment la justice, la santé, l’éducation, l’emploi et l’état civil. Constat général : « Les réalités sur le terrain, notamment dans les communes de l’installation des personnes en migration (Ait Amira, Leqlia, Belfaâ, etc.) sont marqués par des difficultés propres à l’installation d’une nouvelle population étrangère ». Les migrants interrogés dans le cadre de cette note du CCSM réclament plus de sécurité. 

« Mon problème serait en fait la sécurité. Nous travaillons tous ici dans des fermes et des magasins, et nous devons nous rendre très tôt le matin sur notre lieu de travail. Nous sommes régulièrement victimes d’agressions par des jeunes marocains  qui convoitent souvent nos téléphones. Mais nous ne pouvons pas porter plainte, et maintenant, même entre nous, Subsahariens, il y a des agressions », témoigne une personne migrante interrogée par le CCSM. Ce que confirme : « La situation semble se calmer mais les agressions continuent chaque nuit de la part de marocains ou de migrants eux-mêmes », décrit Kimouanga. 

En février 2024, la commune Ait Amira, à Chtouka Ait Baha, a été secouée par le meurtre d’un migrant. Un guinéen a été poignardé mortellement par un autre migrant suite à une rixe autour d’une opération de h’rig.  

Dans des communautés où l’irrégularité domine, s’adresser aux autorités devient chose difficile. « La grande difficulté serait l’accès au droit à la plainte. Il arrive qu’un migrant se présente devant les services de la gendarmerie au niveau local, mais sa plainte n’est souvent pas prise en compte. La situation administrative irrégulière dissuade les personnes en migration à déposer des plaintes ou mêmes à se rendre la Gendarmerie. Les gens ont peur », confie un médiateur social dans ces communautés.   

La région qui connait un afflux de migrants est marquée aussi par l’installation de différents projets financés par l’Union européenne (UE) au Maroc. Ces nombreuses difficultés questionnent le bilan de ces programmes ainsi que la réponse des pouvoirs publics pour faire de ces territoires, un espace de vivre-ensemble…

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