Droits des femmes, Idées, Luttes des Idées

Violence numérique visant les femmes : Quelle riposte ?  

L’année 2024 a été marquée de violentes campagnes au Maroc contre les femmes et les activistes en ligne, dans le contexte de la réforme de la Moudawana. ENASS.ma en partenariat avec EuroMed Droits au Maroc, publie la synthèse d’une journée de réflexion sur ce fléau. 

L’année 2024 a été marquée par le processus de la réforme du Code de la famille, et le lancement de discussions autour de la révision de différents textes de lois, touchant les droits des femmes et des filles, notamment le projet du Code pénal et le projet du Code de procédure pénale. Ce contexte de réformes législatives a permis l’émergence de débats animés et tendus, autour des questions de l’égalité et de justice de Genre au Maroc, débats qui se trouvent entre défenseurs des droits des femmes et milieux conservateurs. Ces discussions ont été accompagnés par des campagnes de cyber-violence à l’encontre de militantes et de défenseuses des droits des femmes. Ces discours nécessitent une déconstruction les stéréotypes de genre afin de protéger les droits des femmes à l’ère numérique. Plusieurs activistes se sont réunis le 5 octobre 2024 à Rabat afin explorer les enjeux et les défis des luttes féministes dans ce contexte digital au Maroc. Ils se sont réunis dans le cadre du Groupe de Travail « Droits des Femmes et Justice de Genre » sur le thème : « Déconstruire les Stéréotypes de Genre et Protéger les Droits des Femmes à l’ère numérique : Enjeux et Défis Contemporains »

Ces discussions ont été accompagnés par des campagnes de cyber-violence à l’encontre de militantes et de défenseuses des droits des femmes.

Contexte international : Recul des droits des femmes

La session a démarré par un rapide diagnostic rapide du contexte mondial et régional des droits des femmes. Ce climat influence les luttes féministes et les revendications politiques dans le monde des femmes. Le diagnostic se décline en sept points : 

  1. Tendance mondiale vers la régression des droits des femmes. Ce Blacklash (retour de bâton) se traduit par l’apparition de plaidoyers contre l’agenda féministe, même au sein des instances onusiennes ; 
  2. Montée de l’extrême droite en Europe, ce qui se traduit par des effets sur les politiques étrangères des pays de l’Europe à l’adresse du Sud Global  
  3. Politiques nationales des gouvernements ou coalitions d’extrême droite anti-féministe. Exemples : L’Italie de G. Melloni et son discours anti-féministe ; les Pays-Bas qui revoient à la baisse leur aide au développement sur la santé reproductive dans le monde ; La France qui s’oppose à une définition européenne commune du viol 
  4. Violences d’Etat contre les militantes féministes ou politiques et globalement contre les femmes en Tunisie (5 femmes prisonnières d’opinion) ou en Turquie 
  5. Violences coloniales et guerre d’extermination à Gaza visant particulièrement les femmes 
  6. Atteintes répétées et systématique à l’accès aux soins de la santé reproductive et à l’IGV dans plusieurs pays 
  7. Persistances de violences sexuelles systématiques durant les périodes de guerre (Palestine) et en temps de paix (Inde) 

C’est dans ce contexte complexe qu’émergent de nouvelles formes de violences que qui s’appuient sur l’espace digital. Les militantes et défenseures des droits des femmes ont subi ce retour de bâton lors du débat sur la Moudawana. La discussion a ensuite porté sur les instruments juridiques internationaux et nationaux pour y faire face.

Face à la cyberviolence, quels instruments juridiques ? 

Les instruments juridiques nationaux manquent à l’appel.

Malgré l’existence d’un bouclier numérique « solide » pour protéger les femmes et les filles. Ce bouclier se compose particulièrement de deux instruments : La Convention de Budapest sur la cybercriminalité, et la Convention d’Istanbul sur la lutte contre la violence faites aux femmes (texte non encore ratifié par le Maroc), les instruments juridiques nationaux manquent à l’appel. 

D’autant plus que ce phénomène est au niveau mondial en forte hausse. À titre d’exemple, En France, 15% des femmes disent avoir été victimes d’une forme ou d’une autre de cyber-harcèlement. 

Le contexte actuel marqué par les défis liés à l’utilisation de l’Intelligence artificielle (IA) et les difficultés à saisir par le droit ces nouvelles atteintes aux droits des femmes, ce qui nécessite une redéfinition des cadres internationaux et des lois nationales. Un effort normatif qui doit impliquer, nécessairement, les géants du numérique, les Google Apple Facebok et Microsoft (GAFAM) et Tik Tok. 

Selon les données de l’Espace Maroc Cyberconfiance (EMC), ce centre a reçu 2000 signalements de violences en ligne, provenant de 51% de femmes et de filles. Une action qui se doit de permettre d’améliorer la transparence de ces firmes, qui est à ce jour quasiment absente. La nouvelle Stratégie Maroc Numeric 2030 n’inclue pas de dimension de protection des violences envers les femmes et les filles en ligne facilité par la technologie. Dans cette lutte face à la montée des violences en ligne, le mouvement de défense des droits des femmes peut compter sur des alliances avec des initiatives de sensibilisation à la masculinité positive.  

Les femmes activistes face à la violence numérique

Cet axe a permis d’aborder les violences numériques à partir des points des victimes, notamment les formes d’attaques visant les défenseuses des droits des Femmes. Lors des campagnes sexistes et de haine sur internet visant les femmes, les activistes sont souvent en ligne de mire. 

Ces campagnes cherchent à mettre en silence les personnes en touchant à leur honneur et à leurs vies privées.

Karima Nadir, consultante en Genre, activiste pour l’Egalité Genre et la Justice Sociale, membre de l’Association Kif Mama, Kif Baba, est revenue dans une intervention « volontairement » provocante sur la question de la stratégie et des discours à adopter face à ces campagnes. Elle a porté un regard critique sur les réalisations actuelles en prenant en compte les défis que posent ces campagnes. Elle-même victime d’une violente campagne en ligne, elle a regretté « le manque de solidarité ».     Pour sa part Meriem Haoud, présidente du Groupe des Jeunes Femmes pour la Démocratie (GJFD), a présenté les grandes lignes des deux rapports du GJFD sur le harcèlement subis par les activistes. Un harcèlement qui prend plusieurs formes : numériques, judiciaires, médiatiques, etc. La jeune activiste a tenu à préciser qu’il faut prendre en compte et protéger les catégories marginalisées dans la réponse à apporter aux campagnes de violences en ligne. Ces campagnes cherchent à mettre en silence les personnes en touchant à leur honneur et à leurs vies privées. Elle regrette que ni la loi ni les politiques publiques actuelles ne protègent les femmes face à cette violence en ligne au Maroc.

Recommandations 

Après ces interventions situées depuis plusieurs positions (experts, universitaire, société civile et activiste, etc.), un débat riche a été mené. Il a permis de ressortir les recommandations suivantes que nous organisons autour de cinq axes : 

Axe 1 : « Législation et effectivité de la loi »

  • Une attention particulière aux reculs : Les réformes du Code pénal et du Code de procédures pénales peuvent comporter des reculs pour l’accès à la justice dans ce domaine. Etre attentif à ces reculs et les signaler ; 
  • Loi 103-13 : L’actuel texte de loi sur la violence faite aux femmes, comporte plusieurs limites. Un plaidoyer est déjà en cours pour modifier ce texte. Parmi ces limites, l’absence de définition de la violence numérique et la difficulté à prouver ces formes de violences ; 
  • Accès à la justice pour les victimes : Prévoir dans la prochaine loi une procédure facilitée pour l’accès à la justice, non poursuite de la victime en cas de délit, une assistance judiciaire par la force de la loi pour la victime et l’informer de ses droits chez la police judiciaire ;   
  • Dédommagements : Prévoir dans la loi des mesures de compensation morales et financières pour les victimes ; 
  • Sévérité : Prévoir un traitement pénal renforcé dans le cas de l’usage par des agents de l’administration des données personnelles à des fins de harcèlement numérique et l’exclusion des peines alternatives des délits et crimes liés à la violence numérique visant les femmes et les filles. 

Axe 2 : « Protection et accompagnement des victimes »

  • Santé mentale et suivi psychologique des victimes : La nécessité d’assurer un suivi psychologique des victimes de violences numériques. 
  • Attention accrue aux catégories vulnérables : Prendre en compte et protéger les catégories marginalisées (rurale, handicapées, femme seule, classes populaires, etc.) dans la réponse à apporter aux campagnes de violences en ligne.

Axe 3 : « Alliances nationales et internationales » 

  • Positionnement des bailleurs : Les bailleurs de fonds internationaux, dont l’Union européenne, doivent clarifier leurs positions en matière de soutien aux projets en faveur de l’égalité de genre, surtout dans ce contexte de montée de l’extrême droite dans leurs pays, et la puissance d’un mouvement anti-genre en Europe. 
  • CNDP, DGSN et CNDH : Faire de ces trois institutions des alliés nationaux de premiers plans, chacun dans son domaine, pour soutenir la lutte contre la violence numérique  
  • Recherche scientifique : Tisser des liens avec des centres de recherche scientifique pour étudier finement la situation de la violence numérique au Maroc (expérience du ECC à Marrakech).  

Axe 4 : « Initiatives et capitalisation » 

  • Signalement : Promouvoir et dupliquer des initiatives locales comme le cas du travail de signalement des violences numériques mené par l’Association Amal pour la femme et le développement d’El Hajeb et Mobilising for Rights Associates (MRA). Un rapport sera bientôt prêt sur ce projet. 
  • Sensibilisation : Encourager de nouvelles initiatives autour de la masculinité positive en ligne, basé sur les expériences présentées. 
  • Campagnes numériques : Lancer des campagnes de plaidoyer numérique sur certains axes de lutte contre la violence numérique en s’appuyant sur les bonnes pratiques de certaines associations comme le GJFD, l’ADFM ou Kif Mama Kif Baba ou autres. 
  • Campagnes d’influence : S’appuyer sur l’audience et l’expertise d’influenceurs alliés à la cause des droits des femmes et des filles pour briser l’hégémonie digitale et les cercles de silence.   
  • Plaidoyers multi-niveaux : Lancer des plaidoyers vis-à-vis de META, Twitter, Tik Tok et l’ensemble des GAFAM au niveau national et régional  

Axe 5 : « Renforcement de capacités »

Formation des ONG : Accompagner les associations pour une montée en compétences dans le domaine de la protection face aux violences numériques.

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