Serifi-Villar, soirée avec un homme libre
C’était une soirée de lettres et de politique, c’était la rencontre entre l’amour et l’amitié, entre la révolution et les désillusions, entre le courage et les trahisons. C’était une belle soirée autour d’un humaniste : Mohamed Serifi-Villar. Ambiance.

Mohamed Serifi-Villar est Tangérois, né en 1952. Militant politique, il est arrêté à 22 ans et torturé par les geôliers du régime de Hassan II, puis condamné à trente ans de prison. Rojo, son patronyme au sein du milieu militant, a réussi à réunir autour de lui lors de cette rencontre, les « deux extrêmes » ; des compagnons de cellule, des camarades de la gauche marxiste-léniniste et des « repentis » passés du côté du Makhzen ; les habitués des soirées littéraires atones de Casablanca comme les « Ouled Chaâb » venus des quartiers populaires et portant les cicatrices du 20 juin 1981. Serifi-Villar était le train d’union entre ce beau monde qui ne se côtoient pas toujours.
Serifi-Villar était le train d’union entre ce beau monde qui ne se côtoient pas toujours.
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Réquisitoire contre l’impunité
En ces temps où la parole publique se veut prudente, euphémisée, auto-censurée, Serifi-Villar ose. Il nomme.
Le 26 février 2025, le siège de la Librairie Livremoi à Casablanca arrivait à peine à contenir le public venu nombreux pour cette première présentation casablancaise de son livre Le Ciel Carré (Le Fennec, 2024), animée par la journaliste et éditrice Kenza Sefrioui. Cette soirée était un moment de grâce. En ces temps où la parole publique se veut prudente, euphémisée, auto-censurée, Serifi-Villar ose. Il nomme. Il définit la situation. Il trouve les mots justes et secs pour dire nos maux, ceux du Maroc et des Marocains. Au même moment, il rit. Il taquine. C’était une soirée autour un homme libre.
Il trouve les mots justes et secs pour dire nos maux, ceux du Maroc et des Marocains.
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Ce membre du groupe marxiste-léniniste marocain Ila Al Amam est venu pour cette soirée non pour parler du passé fait de clandestinité, d’arrestations, de torture de Derb Moulay Chrif jusqu’à la Prison centrale de Kénitra. L’objet de son propos lors de cette soirée de plus de trois heures, était le présent et l’avenir.
Son témoignage est celui d’un homme de son temps. Il fait le bilan de la transition démocratique démarrée au milieu des années 90, l’échec de l’ouverture politique, la répression actuelle des prisonniers d’opinion et du Hirak rifain, les difficultés à sortir de la démocrature (régime politique hybride entre dictature et démocratie).

« Comment pardonner les crimes commis contre notre peuple ».
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A la question de ENASS.ma sur le pardon, il répond sans détour : « Comment pardonner les crimes commis contre notre peuple. Si les rues de Casablanca pouvaient parler, sur la répression de 1965 et 1981. Je n’ai pas le droit de pardonner à un criminel, un tueur. La question n’est pas si moi je dois pardonner ou pas ? Mes questions sont les suivantes : « Qui a tué Abdelatif Zeroual ? Qui a tué les prisonniers de Tazmamart. Ces questions attendent des réponses pour en finir avec l’impunité », rétorque-t-il. Un devoir contre l’impunité qui le tient de sa mère qui a subi violemment la répression de Franco et a fui au Maroc pour écrire une nouvelle page de sa vie avec le père de Mohamed. Et il conclue : « Ce livre est une tentative de relancer le débat sur les questions de la mémoire et surtout sur la question essentielle de l’impunité ».
Au bout de trois heures de discussions animées, Serifi-Villar n’a rien perdu de sa verve et son verbe. L’emprisonnement politique a échoué à briser cet homme, son courage et son humour.
Son ouvrage :
Mohamed Serifi-Villar, Le Ciel Carré, Le Fennec, 2024, 331 p. Casablanca