Des Franco-marocains résistent à l’extrême droite
À la veille des Élections législatives en France, les Franco-marocains d’Angers (nord-ouest), se préparent pour le pire. Reportage avec des personnes issues de l’immigration qui font de la résistance aux idées de l’extrême droite.
Radouane Frikach est un homme inquiet. Ce franco-marocain de 44 ans appréhende déjà le lendemain du 7 juillet, jour du deuxième tour des élections législatives en France. Radouane est un habitant d’Angers (Pays de la Loire), paisible ville de 150 000 habitant. Il est conseiller municipal à Trélazé (49) et acteur associatif. Depuis l’âge de 18 ans, il participe à des élections et des campagnes électorales mais cette fois-ci, il se sent « fébrile » dans ce contexte politique tendu.
Pour vaincre cette peur qui gagne cet élu de la République se dit « prêt à mener la bataille contre l’extrême droite », lance-t-il. En courte campagne électorale, Radouane est également un homme très pris. Nous le rencontrons entre un rendez-vous électoral et une sortie pour la distribution de tracts en faveur du candidat du Nouveau Front populaire (NFP), coalition où il s’est « naturellement » retrouvé, « Je suis un citoyen profondément à gauche », se définit-il.
Attablé dans un café de la banlieue d’Angers, il commande un Perrier et un café expresso, des boissons auxquelles il ne touche pas durant toute notre entrevue, tellement il est pris dans l’argumentation autour de cette même idée : « Nous ne lâcherons rien à l’extrême droite », répète-t-il. Un axiome qui reprend d’autres franco-marocains que nous avons rencontré lors de notre passage à Angers. Ces « temps bruns » font jaillir angoisse mais aussi solidarité.
Cet élu de la République se dit « prêt à mener la bataille contre l’extrême droite ».
« Un creux angoissant »
Touria Arab Le Blondel, 45 ans, est tout aussi « angoissée pour l’avenir » de ses enfants et « du sort de la France », s’alarme-t-elle. Diplômée d’un bac+5 en psychologie interculturelle, cette française d’origine marocaine, s’est engagée toute sa vie pour « lutter contre toutes les formes de discrimination ».
Touria, mère deux enfants (11 et 15 ans), elle se définit comme binationale insiste-t-elle. Et de se réjouir : « J’ai la chance d’avoir une double nationalité. Ce qui fais de moi une Française en France et une Marocaine résidente à l’étranger au Maroc ». Cette double identité est désormais l’objet d’attaques frontales de la part de l’extrême droite. « Je vis difficilement cette période. Nous sommes dans un SAS, pris dans un creux angoissant », décrit-elle, avec émotion.
Said Boukouba est un acteur associatif à Angers. Cet entrepreneur franco-marocain de 37 ans, nous confie son état d’esprit : « Je suis passé par une gamme d’émotions. Je crains de voir la parole raciste banalisée et la stigmatisation supplémentaire des immigrés qui deviendront encore plus des citoyens de seconde zone ».
« Je vis difficilement cette période. Nous sommes dans un SAS, pris dans un creux angoissant ».
Touria
« Avenir incertain »
Ce climat, Touria le compare à celui de la période du début de la pandémie du Covid-19 : « Nous avons du mal à nous projeter dans un avenir incertain. Nous sommes dans une angoisse similaire à celle vécue durant la période du Covid-19. Il y a de la peur, du désespoir mais aussi de la solidarité et du partage », énumère-t-elle. Le choc des résultats du 9 juin lors des Européennes a brisé le mythe d’une « douceur angevine » qui voterait toujours avec « modération ».
« Je veux être en résistance culturelle. J’ai passé ma vie à combattre les préjugés et les stéréotypes. Aujourd’hui, je m’engage à combattre l’extrême droite ».
Touria
Le score de l’extrême droite (Rassemblement National) à Angers était de 15% et 19% pour Reconquête (Zemmour). Le RN a fait 23% à la Trelaze. Certes ces scores sont nettement plus bas que ceux enregistrés au niveau national (33%), mais ils ont constitué un “choc”. Dans les quartiers populaires où vivent de larges franges des angevins, issus de l’immigration, le racisme était déjà « systémique », rappelle Said.
Said combat au quotidien ce racisme subit par les immigrants ce qui leur permettrait d’accéder à l’emploi, aux stages, au logement et à l’espace public. « En 2015, j’ai créé l’association OSONS, je voulais briser le cycle du chômage et des discriminations subis par les jeunes des quartiers populaires », rappelle-t-il.
Son association fait « la promotion de l’entrepreneuriat chez les jeunes issus de l’immigration et des quartiers populaires, le but est d’atteindre une émancipation économique », explique ce jeune homme. Une sorte de Do It Your Self, face à la « démission des politiques ». Et que faire si l’extrême droite accède au gouvernement en France ? « Personnellement, ça ne changera rien, mais globalement les inquiétudes deviendront réelles chez toutes les communautés ». Dans ce climat tendu, chacun des trois mène une bataille selon le registre de mobilisation.
« Les menaces ne font pas peur »
Touria, Said et Radouane, ne lâchent pas le combat face aux idées de l’extrême droite, à leurs manières, ils se mobilisent. Mais Said ne se prétend pas « être emballé par le candidat du NFG. C’est un parachuté. Les quartiers populaires ne sont jamais représentés par ces candidats », critique-t-il. Un manque de confiance dans le champ politique que Said a exprimé lors d’une réunion avec le candidat du NFG.
A contrario, Radouane s’est investi à « 120% dans cette campagne électorale ». Ce qui lui vaut des attaques de groupuscules de l’extrême droite à Angers sur les réseaux sociaux. « Ces attaques et menaces ne me font pas peur, j’ai surtout peur de voir l’extrême droite gouverner. C’est pour cette raison, que je n’appelle pas à faire barrage à l’extrême droite, mon objectif est de combattre cette idéologie qui se distille comme un venin dans notre ville et dans notre pays ».
La communauté musulmane à Angers subit des attaques de la part des groupuscules d’extrême droite depuis plus d’une décennie. En 2011, des membres de ce courant, se sont présentés lors d’une session du conseil municipal avec des masques de cochons pour exprimer leur désaccord contre le projet d’une mosquée à Angers. Plus récemment, le 17 juin dernier, un concert de rap d’un groupe opposé au fascisme à Angers, a fait l’objet d’une attaque de la part d’un groupe d’extrême droite et d’affrontements violents entre les deux parties. « Ces groupes ne plaisantent pas, ils multiplient au contraire les attaques et les ratonnades », s’inquiète Radouane.
« Si tu passes au pouvoir…»
De leur côté, Touria avec son amie Marie mènent « une résistance culturelle ». Elles ont lancé un appel aux citoyens, pour écrire des textes sur « ce moment difficile ». Ses enfants ont été les premiers à répondre à cet appel. Le soir des élections Européennes, sa fille Siham (11 ans) a écrit ce texte, extrait :
« Si tu passes au pouvoir, la France devra se remettre en question, la devise devra changer, car tu n’es pas ces trois principes. Au contraire tu es tout l’inverse…
Si tu passes au pouvoir, nous ne serons pas libres, nous ne serons pas égaux, nous ne serons plus frères.
Si nous devons changer de devise, c’est que nous sommes arrivés à un point où la France n’est plus ce qu’elle était.
Leur nouvelle devise sera “raciste, sexiste et homophobe”, car vous êtes les trois en même temps. ».
« Être en résistance »
« Je veux être en résistance culturelle. J’ai passé ma vie à combattre les préjugés et les stéréotypes. Aujourd’hui, je m’engage à combattre l’extrême droite et à libérer la parole de l’autre côté », promet Touria, qui est aussi autrice « Jeunesse ». Elle a à son actif le roman : Hana Thierry, les hirondelles et autres noms d’oiseaux (Edition du Milan, 2022)
Leur idée a eu du succès. « Nous recevons 4 à 5 textes par jour. Nous sommes dans un moment de grâce, malgré les circonstances », se réjouit-elle, surprise par l’engouement de cette initiative partie d’un coup de blues le soir des résultats des Européennes. Pour accompagner ces textes, les deux compères ont créé aussi une playlist « 100% française » précise Touria et ouverte aux contributions. « C’est une dynamique joyeuse en résistance », conclut-elle. Cette playlist reprend le titre du groupe No One Is Innocent :« Putain si ça revient ».