Reconstruction à Al Haouz : Autopsie d’un échec
Un an après le séisme du Grand Atlas, l’épicentre du séisme, Ighil s’est transformé en bourbier. La reconstruction traîne, les habitants sont frustrés et leur colère monte. Un an après la catastrophe naturelle, ENASS revient sur les lieux. Reportage.
Réalisé par Imane Bellamine et Anass Laghnadi
Ighil, épicentre du séisme : des centaines de morts et un village décimé le 8 septembre 2023. Nous y sommes de retour ce 28 août 2024. Nous empruntons la route RP 2007 en direction d’Ighil. Les 8 km séparant le village du centre de la commune de Talat N’Yacoub sont pénibles à franchir. Dès les premiers kilomètres, la route reste difficilement praticable. Les travaux n’ont que récemment repris, et les ouvriers sur place nous expliquent : « le chantier devrait véritablement commencer en septembre avec l’arrivée d’une nouvelle entreprise ». Ils sont optimistes de pouvoir reconstruire ce tronçon d’environ 34 km.
Ighil, une hécatombe qui dure
Cette commune de la province d’Al Haouz, qui compte plus de 5 619 habitants répartis sur 29 petits douars. La seule province d’Al Haouz a enregistré un total de 1 684 morts, sur les 3000 décès enregistrés suite au séisme. Une hécatombe humaine et un désastre social.
Nous progressons lentement, devant parfois nous arrêter le temps que les démolitions de la montagne se terminent, avant de reprendre notre route vers l’épicentre. Tout au long du trajet, une impression de stagnation se fait sentir : le temps semble s’être arrêté ici, et les changements sont quasi inexistants. La Mosquée de Tinmel est toujours à moitié effondrée, les maisons sont dans le même état de ruine, et les seuls signes de transformation sont les tonnes de gravats, quelques petites tentes bleues et quelques abris de fortune. Partout, le drapeau marocain flotte sur les quelques toits, à moitié effondrés.
On atteint notre destination, le village d’Ighil. Ce village est désormais un bidonville fait d’habitats sommaires ; cabanes en bois, tentes couvertes de bâches en plastique déchirées pour camoufler. Sur les côtés quelques branches et des pierres pour faire un abri où se réfugier.
Toute la famille est à l’extérieur, impossible de supporter la chaleur étouffante à l’intérieur des tentes en plastique.
En ce début d’après-midi, le soleil est de plomb. Les enfants jouent dans les rues, et les femmes et familles sont dehors, impossible de supporter la chaleur étouffante à l’intérieur des tentes en plastique, quand la température dépasse les 38 degrés.
Nous retrouvons Omar Amchichar, l’ancien président de l’association Tawada pour le développement social du village d’Ighil. Il se trouve toujours au même endroit que l’année précédente, près de l’école qui avait accueilli les survivants dans les jours qui ont suivi le séisme. Ni l’âge ni le séisme ne l’ont fait faiblir. « L’haj Omar » comme aiment l’appeler les habitants continue d’aider la population des douars sinistrés. L’homme comme d’autres personnes disposant de quelques moyens n’a pas le choix que d’apporter secours aux habitants sinistrés.
« La situation est presque identique à celle que vous avez observé il y a un an. Quant aux aides de 2500 DH que le roi avait ordonné de distribuer aux sinistrés, il reste encore 10 à 15 % des personnes qui n’en ont pas encore bénéficié », déclare-t-il.
Selon les dernières données de la Commission interministérielle créée par le gouvernement au lendemain du séisme et publiées le 2 septembre 2024, 64 000 familles auraient reçu les aides mensuels de 2500 DH durant les 11 onze derniers mois. L’Exécutif ne donne pas de détails sur ces « chiffres positifs », leur ventilation par province et par régions.
95% des maisons recalées à Ighil
« Le constat est le même dans la province d’Al Haouz : Un flou persistant sur le déroulement de l’opération de reconstruction ».
Quant à la reconstruction, le constat est le même dans le reste de la province d’Al Haouz : Un flou persistant sur le déroulement de l’opération. La situation serait est qualifiée de « grave » par les survivants d’Ighil. Les maisons endommagées n’ont pas encore été démolies pour laisser place à de nouvelles constructions. Le déblaiement tarde à se faire comme nous avons pu le constater sur place.
Pour les autorités, seules 5% des maisons détruites étaient admises pour l’aide à 140 000 DH.
« Quand nous avons reçu les codes pour la reconstruction, nous avons été surpris de constater que l’aide ne s’élevait qu’à 80 000 dirhams, alors que nos maisons étaient entièrement effondrées. Dans ce douar, il y avait près de 74 maisons complètement détruites, mais seulement quatre ménages ont vu leurs dossiers approuvés pour recevoir l’aide totale de 140 000 dirhams », explique Omar Amchichar. Soit un taux d’acceptation des dossiers pour la première formule de moins 5% !
Nous rappelons que le 20 septembre 20223, le gouvernement, sous instruction du roi Mohammed VI, avait annoncé que les familles bénéficieront du soutien technique des services compétents pour finaliser les démarches nécessaires au lancement et au suivi des opérations de reconstruction, y compris l’élaboration de plans architecturaux, adaptés aux spécificités et normes régionales. Dans ce même cadre, le gouvernement devrait accorder une aide financière directe de 140.000 dirhams pour les logements entièrement détruits et de 80.000 dirhams pour les travaux de réhabilitation des habitations partiellement endommagées. Une première tranche d’un montant de 20.000 dirhams devrait ainsi être mise à la disposition des bénéficiaires, en vue d’accompagner l’avancement des travaux de construction.
Dans le même contexte, une aide financière d’un montant de 2500 dirhams par mois serait dédié aux familles dont les logements ont été entièrement ou partiellement détruits à la suite du séisme du 8 septembre 2023, et ce pendant une année.
Le bidonville de l’Atlas
À Ighil, la majorité des maisons (80%) n’ont même pas été démolies. Les travaux de démolition sont arrêtés depuis des mois. Les habitants n’ont pas reçu d’explications sur les raisons de cet arrêt sur la première phase de reconstruction des maisons. Les habitants supposent que le contrat avec l’entreprise en charge a peut-être expiré, et qu’il faudra en attendre une nouvelle entreprise. Cette situation paralyse le chantier de la reconstruction et par conséquent les personnes qui ont reçu la première tranche d’aide à la reconstruction. « Personne ne peut entreprendre de travaux tant que les démolitions ne sont pas effectuées », insiste Amchichar.
« Nous sommes le 28 août 2024, à quelques jours du premier anniversaire du séisme, et ici, la reconstruction se fait au ralenti. Près de 70 % des maisons n’ont toujours pas été démolies. Étant donné la situation géographique de la région, aucune reconstruction ne peut être envisagée tant que les anciennes maisons ne sont pas détruites», explique Hicham Ait Lahcen, le jeune président de l’association Tawada.
« Les travaux ont commencé pendant le Ramadan, mais se sont arrêtés depuis. Dès le début, il n’y avait qu’une seule pelleteuse et un camion sur place».
Notre source poursuit : « Les travaux ont commencé pendant le Ramadan, mais ils se sont arrêtés depuis. Dès le début, il n’y avait qu’une seule pelleteuse et un camion sur place. Ensuite, même si des tentes ont été installées, elles ne sont pas adaptées aux conditions climatiques. Les habitants dépensent donc les fonds qu’ils reçoivent pour remplacer les tentes tous les quinze jours, ce qui les empêche de faire autre chose et les maintient dans une situation de blocage. »
Sans accès à la santé
« Tout le monde erre dans une zone d’incertitude »
Ici, les familles sont abandonnées à la chaleur, au froid, et à des conditions de vie précaires, dépourvues d’une moindre sécurité sanitaire. Les jeunes qui travaillaient auparavant en ville sont désormais contraints de rester auprès de leurs parents, sans emploi ni perspective d’avenir. « Tout le monde erre dans l’incertitude », nous dit un jeune villageois.
Les personnes âgées, souffrant de maladies chroniques, subissent de plein fouet cette marginalisation.
Les personnes âgées, souffrant de maladies chroniques, subissent de plein fouet cette marginalisation. Bloquées dans ces cabanes de bâches sous une chaleur accablante, sans médicaments ni médecins, elles doivent se diriger au centre de Talat N’Yacoub depuis les hauteurs de la montagne pour se rendre à « l’hôpital militaire ». Là, elles attendent des heures, voire une journée entière, car il n’y a que deux infirmiers, selon les habitants du village.
Hicham Ait Lahcen nous explique que le processus de reconstruction est extrêmement complexe. Il mentionne que les plans des nouvelles maisons sont conçus et envoyés depuis Rabat ou Tanger, sans qu’aucun architecte ne vienne sur place pour étudier la nature de la région. En conséquence, « ces plans ne correspondent pas du tout aux réalités de ce village »,
« Nous avons entamé vainement plusieurs dialogues avec les autorités locales pour exprimer nos besoins et demander une solution pour les familles n’ayant bénéficié d’aucune aide, s’en est suivi un mutisme total. En conséquence Toutes tentatives restent sans suite », déplore-t-il.
Village fantôme
Ighil, aujourd’hui, est devenu un village fantôme où les familles font face à l’inconnu. Les conditions de vie y sont inhumaines, ne respectant ni la dignité ni les droits des personnes.
Plus haut dans la montagne, on aperçoit une petite cabane en bois, construite par un homme près de son ancienne maison. Cette famille passe la journée dans l’ancienne maison, en attendant la construction de leur nouvel abri, avant de se retirer le soir dans une tente pendant que le père termine sa cabane.
« Que faire ? Nous en avons assez de supplier pour une solution. À chaque fois, on doit mendier ce qui nous revient de droit, c’est indigne».
« Que faire ? Nous en avons assez de supplier pour une solution. À chaque fois, nous devons mendier ce qui nous revient de droit, c’est indigne. Alors, on se débrouille comme on peut. Dieu merci, et il ne nous abandonnera pas », déclare le père avec amertume.
Depuis la hauteur de cette cabane, le village d’Ighil se dévoile en contrebas, offrant ainsi une vue évoquant les premiers jours après le séisme. Le tableau est presque identique : des familles en attente, prisonnières d’une zone marginalisée dans le passé et oubliée dans le présent.