Parti pris, Tribunes, UNE

Les Enfants Haraga : Un destin marocain   

Le « Grand exode » du 15-09 nous rappelle la situation des mineurs marocains non accompagnés sur les frontières. Un drame qui dure depuis trois décennies mais que personnes ne veut voir. Il est temps de mettre fin au calvaire de ces enfants accrochés aux barrières. Décryptage.  

Le « Grand exode » du 15-09 est une gifle collective. Pour l’Etat comme pour la société. Avec une fausse surprise beaucoup de gens découvrent le destin des Enfants Haraga marocains. Un drame qui dure depuis les années 90. Une quantité de films, de reportages ou de travaux scientifiques ont été réalisés sur ce sujet. Je citerai ici le magnifique et émouvant travail photographique de Souad Guenoun (Les Incendiaires, Editions Tarik, 2001), avec les enfants Haraga. Depuis les années 2000, nous assistons à une normalisation de l’une des formes les plus violentes et les plus dangereuses des migrations internationales qui puissent exister. 

Avec une fausse surprise, beaucoup de gens découvrent le destin des Enfants Haraga marocains.

Le Maroc détient un triste record du monde : Les Mineurs non accompagnés (MNA) marocains sur les routes de l’exil sont parmi les plus nombreux dans le monde. Nous les retrouvons partout en Europe. En Espagne bien sûr, en France (Goutte d’Or à Paris) ou les pays scandinaves. Les MNA marocains étaient les premiers demandeurs d’asile au Danemark, et en 2019 ,195 enfants. 165 enfants au Pays-Bas. 10 enfants ont demandé aussi l’asile en Croatie. L’essentiel des MNA marocains se trouve en Espagne : 10 120 mineurs, dont 5% de filles, à la fin décembre 2023. Ce qui fait des MNA Marocains et de loin la première nationalité dans la péninsule ibérique. Les départs sont nombreux d’années en années. C’est une plaie sociale que personne ne veut (vraiment) résorber. 

Un enfant rencontré le 23 juin 2023 à Beni Ansar Nador. Crédit photo: ENASS

Dans ce petit monde de violence normalisée, de trafics, d’abus en tout types, les services de l’Etat ont clairement et d’une façon unique, choisi la répression.

Le destin des enfants Haraga est intimement lié à la condition déplorable de l’enfance en situation difficile au Maroc (voir le livre H. Houdaifa, En Toutes Lettres, 2020). L’enfance des rues, l’enfance abandonnée par les familles et par l’Etat, l’enfance en institution (orphelinats, institutions carcérales pour mineurs, etc.) et l’enfance en conflit avec la loi. Ces enfants constituent la principale cohorte des « Risqui », expression utilisée par les enfants pour désigner l’acte de se risquer à la frontière. Ces enfants dont l’âge varie entre 8 et 18 ans se trouvent à la frontière de Sebta et Melilla, aux alentours des ports de Tanger Med, Tanger Ville et Nador Beni Nsar. Les cohortes de ces jeunes des frontières ont constitué l’épine dorsale du mouvement du 15/09/24. Ils sont parfois leaders de groupes. Ils connaissent les entrées et les failles du système de surveillance des frontières. Ils sont aussi les plus aguerris et les plus immunisés contre les violences dans ces espaces extrêmement durs. 

En juin 2023, lors d’un court reportage près de Beni Nsar avec I. Bellamine, nous étions sous le choc face aux récits que nous entendions de ces enfants sur la route migratoire. Les enfants et les ados viennent de toutes les régions du Maroc. Ils ont des campements par région : Les Soussis, les Fassis et régions, Casablanca-Safi et région. Les autorités et les enfants se connaissent bien. En bref, tout à un monde à part. 

Dans ce petit monde de violence normalisée, de trafics, d’abus en tout types, les services de l’Etat ont clairement et d’une façon unique, choisi la répression. La réponse publique se résume ainsi : Arrestations, bastonnade, refoulement souvent vers Casablanca (près de la Gare d’Ouled Ziane). Aucune politique d’accompagnement social, aucune prise en charge psychologique, aucun suivi légal de ces cas qui sont en majorité difficiles. Absence du rôle du parquet et des juges des mineurs. Aucune responsabilisation des parents, car les autorités se contentent de refouler les mineurs sans convoquer leurs parents. Les enfants et les ados passent leurs années dans ce cercle vicieux plein de répression et de violence, certains d’entre eux en meurent. Quelques-uns arrivent à traverser ; entretenant le mythe de l’Eldorado, beaucoup gardent des cicatrices mentales et sociales à vie. Des traumatismes qui s’ajoutent à ceux d’une enfance violée et meurtrie. 

Les « Risqui » sont aussi le miroir, sans concession, des échecs des politiques publiques de l’enfance.

Lors de nos reportages à Fnideq la semaine passée, nous avons recueilli plusieurs récits qui reprennent la même trame : Séparation de la famille, décrochage scolaire, fugue du domicile familiale, le goût de la rue se transformant doucement en une drogue, les premières tentatives de « Risqui » et puis l’accoutumance à cette mobilité désespérée. Nous étions face à des enfants qui ont déjà un lourd passif, des séquelles d’une enfance volée, très souvent violée. 

Nous étions face à des enfants qui ont déjà un lourd passif, des séquelles d’une enfance volée, très souvent violée. 

J’oserai dire que pour les « Risqui », la date du 15/09/24 est une revanche. Au lieu de se cacher, au lieu d’essayer d’atteindre Sebta/Melilla par les égouts, avec le risque de mourir asphyxiés, ces enfants étaient vent débout, commandants des groupes de jeunes plus âgés, conquérants la frontière, les montagnes et les barrières. 

Jeunes candidats à l’émigration rencontrés à Beni Ansar Nador le 23 juin 2023. Crédit photo; ENASS

Les « Risqui » sont aussi le miroir, sans concession, des échecs des politiques publiques de l’enfance. Des machins, comme la Politique publique intégrée de la protection des enfants (PPIPEM), qui ne profitent qu’aux consultants et aux agences de com’. 

L’Etat marocain doit cesser de faire des MNA marocains un vulgaire objet de chantage : Cas avec l’Allemagne (2021), les Pays-Bas (2023) ou la France (2022). La loi internationale et l’intérêt supérieur de l’enfant doivent primer. 

Le Département du Développement Social et en urgence absolue se doit de faire la lutte contre ce phénomène avec une approche réaliste et intégrée, basé sur les droits humains. La gestion sécuritaire fut un échec et continu de l’être. Un échec qui dure depuis trois décennies. La gestion sécuritaire devrait se concentrer sur le démantèlement des réseaux de trafic, quand ils existent. Saluons, au passage, les quelques associations qui travaillent avec les Enfants Haraga toute l’année : à Casablanca, Bayti, Insaf et Le Samu social, ainsi que les magistrats qui continuent de protéger les enfants. 

Jeunes blessés lors du jour de la tentative de migration collective du 15 septembre 2024 à Fnideq. Crédit photo: ENASS

Dans ce malheur du 15/09/24, nous devons discuter et nous concerter sur ce drame national, penser aux moyens pour mettre fin à cette violence devenue quasi-institutionnalisée contre les enfants aux frontières. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Inscrivez-vous à la Newsletter des Sans Voix 


Contre l’info-obésité, la Newsletter des Sans Voix 

Un slowjournalisme pour mieux comprendre 


Allez à l’essentiel, abonnez-vous à la Newsletter des Sans Voix