Reportages, UNE

À Figuig : Bilan d’une lutte pour l’eau et la dignité

Depuis un an, les habitants de Figuig résistent à la privatisation de l’eau, symbole de leur survie et de leur identité. Le 15 novembre, la Coalition nationale en soutien au Hirak de Figuig a fait le déplacement pour témoigner de sa solidarité et rejoindre la lutte. Reportage.

À son arrivée à 13h, la Caravane venant depuis Rabat est accueillie avec ferveur par le comité local de Figuig, des femmes et des hommes, militants locaux mobilisés contre la privatisation de l’eau et le projet de la Société régionale de distribution de l’eau et l’électricité dans l’Oriental. L’émotion est palpable. Les membres de la coalition se dirigent vers l’Ecole Nahda, où les slogans résonnent : « Non à la privatisation de l’eau ! », « L’eau de Figuig n’est pas à vendre ! » scandent les participants, dans une énergie collective.

« Non à la privatisation »

Ce vendredi à 16h, le sit-in hebdomadaire débute devant la commune de Figuig. Les femmes, vêtues de leurs haïks, arrivent des quatre coins de la ville, occupant une grande partie de l’espace de cette place. De l’autre côté les hommes les rejoignent, tandis que les membres de la coalition, composés de plusieurs associations, prennent place. Dès leur arrivée, les femmes se lèvent, entonnant des chants d’accueil en signe de gratitude pour leur solidarité.

« L’adhésion à la société régionale multiservices, est une condamnation à mort de Figuig ».

Debout, les militantes entonnent des chants, levant des pancartes où l’on peut lire : « L’eau est à nous, la décision l’est aussi ! », ou encore en amazigh : « ouvre le robinet, pas de paiement ! ». Les discours débutent en présence de Movo, symbole de ce Hirak et ancien prisonnier. Parmi les orateurs, Ahmad Shoul prend la parole : « L’adhésion à la société régionale multiservices, est une condamnation à mort de Figuig. Cette décision n’a rien à voir avec le progrès, mais tout à voir avec la destruction de notre oasis et de son écosystème. Aucun technocrate ne peut comprendre la valeur de cette ressource pour nous. Ici, l’eau est une construction sociale, un héritage, voire une âme. »

De sa part Khadija Ryadi, figure du mouvement des droits humains au Maroc et ancienne présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) explique « nous sommes ici pour exprimer notre solidarité, un an après le début du Hirak, et pour saluer particulièrement les femmes de Figuig. Nous tenons à les féliciter et à leur témoigner notre fierté face à leur force et à leur militantisme déterminé. Malgré la répression incessante qu’elles ont subie tout au long de cette période, elles ont su tenir bon. »

Elle explique ainsi que ces femmes, véritables symboles de résilience, sont une école de lutte à elles seules. « Aujourd’hui, nous les avons vues déterminées à défendre leurs droits et leurs revendications, même si l’Etat, et par tous les moyens possibles, cherche à les priver de ce qui leur revient de droit ».

Khadija Riyadi : « Leur combat ne concerne pas uniquement les femmes de Figuig, mais nous concerne tous ». 

Et d’ajouter : « Cette mobilisation féminine à Figuig met en lumière les contradictions flagrantes des discours démocratiques de l’État. « Leur combat ne concerne pas uniquement les femmes de Figuig, mais nous concerne tous. Il s’inscrit dans une lutte encore plus large contre ces marchés de privatisation qui touchent chacune et chacun d’entre nous », affirme-t-elle.

Les femmes, omniprésentes dans cette lutte, jouent un rôle central depuis le début. Portées par leur solidarité et leur résilience, elles incarnent la résistance contre une décision qu’elles perçoivent comme une spoliation de leur patrimoine. « Nous avons toujours géré l’eau dans les oasis avec équité et respect des tradition. Si cette société privée arrive à accéder, tout sera détruit. Nous n’abandonnerons pas, car l’eau, c’est la vie, et sans elle, nous n’existons pas  », lance une militante locale.

«Les femmes de Figuig incarnent une lutte collective, un appel à la solidarité face aux injustices et une résistance admirable contre les politiques qui menacent leur dignité et leur avenir. Ce combat dépasse les frontières de Figuig. Il représente une lutte contre des politiques de privatisation qui menacent non seulement les habitants, mais aussi un genre  de vie  ancestral à respecter», conclut Khadija Ryadi.

Retour sur une année de luttes

Depuis un an, les habitants de Figuig mènent un combat  contre la privatisation de la gestion de l’eau potable, symbole de leur survie et de leur identité. À l’origine de cette mobilisation, la décision controversée du Conseil communal de transférer l’approvisionnement en eau à une société anonyme, le « Groupe Al-Sharq Distribution », dans le cadre de la loi 83.21.

Cette loi, adoptée au niveau national, prévoit la création de Sociétés régionales multiservices, chargées de gérer la distribution de l’eau potable, de l’électricité, de l’assainissement et de l’éclairage public. Bien que les autorités aient tenté de rassurer la population en affirmant qu’il ne s’agirait pas d’une privatisation, les dispositions de la loi – notamment l’ouverture possible du capital de ces entreprises au secteur privé – ont suscité une vive opposition.

À Figuig, ville oasis aux ressources limitées et fragiles, cette décision est perçue comme  « une menace directe à un mode de vie ancestral». Depuis des siècles, la gestion de l’eau repose sur des systèmes ingénieux et solidaires tels que les « Khatarat », ainsi que sur des conseils communautaires démocratiques qui assurent une répartition équitable entre les besoins agricoles, l’élevage et la consommation domestique.

Au cours de l’année écoulée, des manifestations massives ont marqué le quotidien de la ville : sit-in hebdomadaires, grèves générales et actions pacifiques ont mobilisé toutes les couches de la population. Une première victoire semblait acquise lors d’une session initiale, le Conseil communal avait rejeté la décision de transfert. Cependant, et sous la pression des autorités régionales, une séance extraordinaire a été convoquée, et le transfert a finalement été approuvé par une faible majorité, aggravant le mécontentement populaire.

Demain la lutte ? 

Pour les habitants, « cette lutte dépasse la simple question de la gestion de l’eau. Elle incarne un rejet des logiques de privatisation qui menaceraient non seulement leur accès à une ressource vitale, mais aussi leur autonomie, leur solidarité et leur patrimoine ». Les femmes seraient en première ligne de ce mouvement, avec elles des jeunes, des agriculteurs et des militants locaux se mobilisent pour défendre leur droit à l’eau et bien au-delà, leur dignité.

« L’eau de Figuig n’est pas à vendre, l’eau est à nous, la décision demeure la nôtre ! »

Malgré les tentatives de répression, la détermination des habitants de Figuig reste intacte. Leur combat s’inscrit dans une résistance nationale contre une politique qui risque de transformer des services publics essentiels en marchandises. Pour eux/elles, le message est clair : l’eau n’est pas un bien commun mais un bien privé, un héritage ancestral, comme ils/elles le scandent depuis un an: « L’eau de Figuig n’est pas à vendre, l’eau est à nous, la décision demeure la nôtre! »

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