Enfants migrants face à la violence des frontières
Le Maroc est confronté à la migration des mineurs marocains depuis trois décennies et celle des MNA étrangers arrivant ou transitant par le Maroc depuis plusieurs années. ENASS.ma en partenariat avec EuroMed Droits au Maroc, publie la synthèse d’une journée de réflexion sur ce phénomène.

La juvénilisation de la migration est un phénomène mondial.
La juvénilisation de la migration est un phénomène mondial. Plus de 30 millions de Mineurs non accompagnés (MNA) sur les routes de l’exil. Ces groupes sont complexes ce qui pose des difficultés de leur prise en charge appropriée. Les MNA renvoient aussi à plusieurs situations administratives (réfugié, apatride, mineur avec ses parents, etc.). Pour cette raison, les données disponibles sur les MNA au Maroc nécessitent d’être actualisées. Parmi les principaux constats dressés par les experts réunis lors de cette rencontre tenue le 19 octobre à Rabat c’est que : les MNA étrangers au Maroc souffrent de problèmes d’accès aux services de bases (santé et éducation) ; les MNA font face à la faible implication de leurs représentants diplomatiques dans la prise en charge administrative et la mise en liaison avec leurs familles ; les politiques publiques et législatives restent à renforcer et revoir au Maroc pour assurer une réelle protection de ces mineurs, marocains ou étrangers ; les établissements marocains recevant les MNA près des frontières se trouveraient dans un état déplorable ; les conditions des MNA en Europe et spécifiquement en Espagne se dégradent et nécessitent une vigilance associative. Cette journée s’est tenue dans le cadre du Groupe de Travail : Droits des Personnes Migrantes & Refugiées. Autour du thème : « Un Avenir pour les plus Vulnérables : Protéger les Mineur.e.s Accompagnés et Non-Accompagnés, Marocains et Etrangers ».
Les données disponibles sur les MNA au Maroc nécessitent d’être actualisées.
Mamadou Bhoye Diallo, Coordinateur du Collectif des Communautés Subsahariennes au Maroc (CCSM) a dressé un état des lieux de la question des MNA au Maroc, à partir de son action en tant que travailleur social. Il rappelle que ce groupe « complexe et varié » qui pose « des difficultés à leur prise en charge appropriée ». Ce défenseur des droits des migrants donne l’exemple des mineurs Guinéens qui arrivent par voie terrestre « livrés à eux-mêmes, et posant des difficultés d’identification ».
Les MNA font face à la faible implication de leurs représentants diplomatiques dans la prise en charge administrative et la mise en liaison avec leurs familles.
Les MNA renvoient aussi à plusieurs situations administratives (réfugié, apatride, mineur avec ses parents, etc.). Il s’agit aussi des mineurs poussés à « vivre comme des adultes pour survivre ». Sur un plan quantitatif, les chiffres demeurent « rares ». Bhoye Diallo s’appuie sur les résultats de l’opération de régularisation exceptionnelle de 2014, pour évaluer le nombre de MANA, ils étaient 8% de personnes régularisées sur les 23 000 de la première opération. Ce chiffre ainsi que les données de l’étude de Caritas de 2016 « nécessitent d’être réactualisés ».
Les établissements marocains recevant les MNA près des frontières se trouveraient dans un état déplorable.
Bien que le cadre juridique nationale et la Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA) donnent des droits et des accès aux services, Dialou fait le constat sur les « problèmes d’accès aux services de bases » pour les mineurs (éducation spécialement). Il alerte sur la situation « difficile » de cette population et ce sur plusieurs plans : santé, éducation, hébergement, documentation, etc. Il signale l’existence de quelques structures associatives à Rabat notamment celles qui offrent certains services aux MNA, notamment la Fondation orient occident (FOO). La fermeture du centre de Caritas à Rabat a engendré un vide quant à la prise en charge. Dialou remarque « la faible implication des représentants diplomatiques des ressortissants des MNA dans la prise en charge administrative des enfants et la mise en liaison avec leurs familles ».
MNA : Entre lois, politiques et terrain
Khadija Ainani présente les défis de la question des MNA face à la législation au Maroc. La vice-Présidente de l’AMDH. La juvénilisation de la migration est un phénomène mondial. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés « estime à plus de 30 millions le nombre de mineurs non accompagnés actuellement dans le monde », précise un rapport. Ce qui pose des enjeux de protection d’une enfance en danger face aux risques d’abus. Ainani rappelle un deuxième chiffre : 28% des personnes victimes de traite sont des enfants.
Au niveau législatif, le Maroc constate Ainani a ratifié un nombre de conventions et protocoles, mais continue à « faible bilan en termes de protection des enfants en migration ». Les réponses publiques sur les MNA sont un miroir de l’état du respect de la démocratie et des droits humains dans le pays. Elle rappelle les questions reçues par le Maroc de la part du Comité sur l’Elimination de la Discrimination Raciale (CERD) à l’ONU au sujet des enfants mineurs étrangers. Ainani rappelle l’état « très critique » de la jeunesse marocaine, notamment les jeunes sans formation aucune, ni éducation encore moins d’emploi (les 1,2 millions de NEET), ce qui a pour conséquence de renforcer les candidats mineurs à l’émigration. Le Maroc est ainsi appelé à mettre en harmonie sa pratique législative et ses politiques publiques en matière de protection de l’enfance en général, et celles à destination des MNA en particulier, mineurs marocains et aussi étrangers.
Le 15/09, coup d’œil dans le rétro
L’intervention d’Achraf Maymoune, président de la section Tétouan de l’AMDH, a mis en relief le contexte historique de la migration irrégulière des MNA marocains, l’évolution de ces flux et le nouveau contexte du 15/09. Bab Sebta a été un point de passage, il est historiquement l’un des points les plus actifs pour la migration irrégulière, en particulier la migration des mineurs non accompagnés. Cela a été confirmé par la succession d’événements de migration irrégulière au passage, sur une base continue et massive après la décision du Maroc de fermer le passage frontalier en 2020.
Ceci est devenu évident, depuis le passage de masse en mai 2021, où environ 10 000 candidats à la migration irrégulière, y compris les mineurs, ont réussi à prendre d’assaut le passage en seulement deux jours. Cette situation s’est prolongée jusqu’à la « l’exode de masse » du 15 septembre 2024. Une situation qui pose un enjeu envers la protection et la prise en charge de ces enfants, ainsi que leur non refoulement de l’Espagne.
Quels rôles de politiques européennes ?
Sara Soujar, Responsable Programme Droit des Etrangers pour le Groupe Antiraciste de Défense et d’Accompagnement des Etrangers et des Migrants (GADEM) a fait une intervention pour analyser comment le Maroc serait devenu un pivot de la gestion migratoire en Afrique. Cette lecture s’appuie sur des clés de comprehension de la politique d’externalisation:
- L’UE relocalise sa frontière et délégue la gestion de ses frontiers à des pays du Sud
- La sécurisation des frontières de l’UE devient l’objectif principal de ces politiques
- Cette sécurisation passe par une criminalisation des défenseurs migrants
Le Maroc se positionne comme pivot à travers les instruments telle la Politique européenne de voisinage (2013), le Partenariat de mobilité avec le Maroc (2013), la militarisation et la privatisation des frontières, les accords réadmission avec une clause de réadmission principale. Dans cette configuration, nous assistons à une redéfinition des relations diplomatiques, « le petit Maroc est révolu, le Maroc négocie d’égal à égal comme le fait la Turquie en exemple, avec l’UE ». Ces politiques ont aussi un impact sur la politique des Etats, leurs politiques publiques, leurs lois et leurs pratiques. Parmi les dangers qui guettent ces politiques internes, la multiplication de la coopération sécuritaire avec des agences européennes comme FRONTEX, dont la présence et la coopération et l’interventionnisme en Afrique du Nord inquiète les acteurs de la société civile marocaine, notamment Hassane Ammari, Président de l’Association Marocaine d’Aide aux Migrants en Situation Vulnérable, membre de la campagne Abolish Frontex qui a présenté les principaux objectifs de cette campagne et les possibilités de coopération entre les acteurs marocains et européens pour s’opposer à cette instance.
Recommandations :
- Briser la glace sur le sujet des MNA en permettant de rendre public les réalités de cette population vulnérable des migrants/réfugiés
- Lancer une nouvelle étude sur la population des MNA étrangers au Maroc
- Promouvoir l’intégration des MNA à travers un plaidoyer pour l’accès renforcé aux services de base
- Interpeller les pouvoirs publics pour assurer la documentation des MNA étrangers
- Harmoniser et appliquer les textes de lois sur les MNA et la protection de l’enfance
- Renforcer le rôle des consulats et ambassades des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale
- Faire profiter les MNA étrangers des politiques publiques en matière de protection de l’enfance
- Lancer une campagne régionale ou nationale sur « Abolish Frontex » incluant une dimension MNA
- Intégrer de nouveaux acteurs travaillant sur les MNA dans cette démarche de plaidoyer (CEI, DDM, etc.)
- Poursuivre les invitations à adresser aux acteurs publics, en insistant et en répétant les demandes pour les mettre face à leurs responsabilités
- Enclencher des dialogues avec les familles, à l’instar de celui mené avec les familles des disparus en mer.
- Renforcer le rôle des médias pour assurer un accès à l’information sur les questions sensibles
- Insister pour une démarche de médiatisation et de retranscription des récits des enfants concernés, tout en leur assurant la protection lors des échanges.