Après le désastre

Implosions hyam yared

Hyam Yared retrace les journées qui ont suivi l’explosion au port de Beyrouth. Un séisme urbain mais aussi intime.

18h07. 4 août 2020. « J’étais en vie ». Un miracle après la déflagration qui a secoué la ville. À quatre pattes sous un bureau, avec son mari et la thérapeute que tous deux étaient venus consulter pour parler des failles du désir, des fuites dans l’écriture ou les voyages, des angoisses de la situation politique, des traumas post-Covid, de la parentalité, de la tendresse envahissante des enfants, de l’effondrement de la livre et du délitement du pays. Et soudain, le souffle. La sidération. « Une thérapie n’a plus la même gueule, vue d’en bas ». Le sentiment d’être rescapé, l’hébétude et l’errance dans un Beyrouth en état de choc. Dans ce récit « hybride qui ne ressemble à rien [sauf] peut-être à la vie », Hyam Yared raconte le vertige des changements d’échelle dans le chaos : des déchirements et ambivalences intimes à l’insatisfaction des rôles sociaux imposés, renégociés, remis en cause, jusqu’au sentiment d’apocalypse collectif.

Insoutenable insouciance

Du 4 au 8 août 2020, l’écrivaine libanaise livre les minutes qui ont suivi l’explosion, dans un va-et-vient constant entre l’exploration du « Ground Zero » intérieur et de celui de la ville ravagée. Implosions est cependant tout sauf un témoignage lugubre, malgré ce qui y est évoqué : dans ce périple, Hyam Yared convoque un monde en perpétuelle discussion, sur tout, avec un coriace sens de la répartie et un humour renversant. Des avantages et des inconvénients de vivre au Liban ou dans un pays du Nord : « Nos parents s’étaient laissés convaincre que profiter de la douceur de vivre dans un État de non-droit valait aussi bien qu’être libres en démocratie capitaliste où le travail et le rendement sont minutieusement régulés par une législation basée sur “des restes de droits de l’homme”. […] Je tentais d’arbitrer en leur rappelant qu’une matraque est une matraque, ici comme ailleurs. » Avoir une arme ou désarmer son adversaire par un regard ?

Le récit est rapide, nerveux, intense, traque la rumeur autant que le préjugé, retient ses larmes, s’émerveille d’une sagesse enfantine. Peu à peu, émerge une réflexion sur la fiction. Celle, aveuglante et destructrice, des récits politiques fallacieux. Celle qui n’en est pas mais y ressemble : les scènes absurdes glanées au quotidien, comme cet agent « capable de me donner un PV dans un pays naufragé ». Celle péniblement accouchée au terme de mois d’écriture suspendue, hantée par les livres « martyrs » du Covid, et à l’affût de la « dysphonie des rêves », de la tyrannie des « sacerdoces », mais aussi des fils à renouer. Celui de l’amour. Celui de la vie…

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Hyam Yared
Implosions
Équateurs, 272 p., 18 € / 240 DH

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