Débat : Peut-on ralentir l’IA ?

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C’était une soirée ramadanesque où la science a tenté de dialoguer avec la spiritualité autour du thème du moment : l’Intelligence artificielle (IA). Synthèse d’une rencontre de l’intelligence humaine à l’IF de Casablanca.

« Spiritualité et IA : À la croisée de l’esprit et de la technologie », fut le thème choisi par l’équipe de l’Institut Français de Casablanca (IFC) pour cette rencontre tenue le 15 mars au théâtre 121. Les invités de cette soirée étaient Mouhsine Lakhdissi, professeur universitaire et spécialiste en IA et vice-président du Centre Africain pour les Etudes Stratégiques et la Digitalisation (CAESD), et Dr Taoufik Younes, chirurgien et spécialiste « en études islamiques et doctrines religieuses ». Face à un public nombreux, les deux invités mêlant discours scientifiques et discours spirituels, ils ont essayé d’éclairer l’assistance autour de nouveaux enjeux de l’IA et plus globalement sur les intersections entre la foi et l’innovation technologique. Cette rencontre a été modérée par Mostafa Chakroun. Une discussion qui s’inscrit ainsi dans le programme spécial « Nuits du Ramadan » de l’IFC

L’IA sous l’angle spirituel

« L’intelligence artificielle suscite beaucoup d’intérêt, mais aussi des questionnements sur le futur de l’humanité. Il est important d’aborder le sujet de l’IA d’un autre angle. Comment l’IA peut-elle nous rapprocher de notre spiritualité ? Ou au contraire, risque-t-elle de nous éloigner de notre démarche ? », S’interroge Pr Mouhsine Lakhdissi. Ce dernier de tenter une première réponse : « Il s’agit de trouver un alliage intéressant des trois intelligences, l’intelligence humaine, artificielle et spirituelle ». 

« L’avènement de l’IA nous fait oublier une autre forme d’intelligence qui est l’intelligence spirituelle ».

Dr.Younes Taoufik

Pour sa part Dr. Younes Taoufik partage une inquiétude mais aussi une ambition : « L’avènement de l’IA nous fait oublier une autre forme d’intelligence qui est l’intelligence spirituelle. Cette forme vise à mettre en relief tout ce qui peut avoir une valeur bénéfique pour l’individu, la société et pour toute l’humanité. Il est évident qu’il faille se donner les moyens pour comprendre les buts de cette forme d’intelligence et les avantages de son acquisition ». En discutant de ces interactions les deux experts n’ont pas manqué de rappeler le contexte de l’émergence de l’IA. Cette innovation disruptive influence notre société contemporaine, elle a déjà un « impact à la fois intime et collectif sur les individus », soulignent les organisateurs.

L’éducation et l’emploi en mode IA

Parmi les secteurs concernés par ces transformations : arrivent en tête l’éducation et l’emploi. Pour Lakhdissi, « l’arrivée de l’IA pousse tous les acteurs du système éducatif à se poser des questions, les parents en premiers », explique-t-il. Et d’insister : « Les changements sont fondamentaux pour le monde éducatif.

« Le professeur n’est plus un détenteur de savoir. Cette vision est un paradigme du passé »

Mouhsine Lakhdissi

Le professeur n’est plus un détenteur de savoir. Cette vision est un paradigme du passé. Il faut passer à autre chose. Le prof devient désormais un animateur, un coach, et redevient un éducateur », énumère notre spécialiste. 

Les changements en matière d’emploi sont tout aussi majeurs. « 40% des emplois sont à risque en raison de l’IA », prévient Lakhdissi, citant un rapport onusien. Le changement porte le cheminement professionnel. Avec l’IA, la vie linéaire composée plus au moins de quatre phases (formation-éducation, les expériences professionnelles, le retrait de la vie professionnelle ou retraite, puis en fin de parcours ,la mort) serait aussi remise en cause par cette puissance technologique.

« Le rythme des évolutions scientifiques est tellement rapide que le temps d’une vie n’est plus assez suffisant pour tout apprendre. Il faut passer au long life Learning. Un apprentissage tout au long de la vie. Nous serons donc dans de petits cycles, de formation, de travail, retraiteCette non-linéarité est fondamentale pour comprendre ces changements », rappelle Lakhdissi. 

L’universitaire marocain fait le parallèle entre l’IA et d’autres révolutions technologiques. « Nous sommes en train de vivre un passage similaire à celui vécu entre l’informatique et la micro-informatique, ou entre la transition d’internet vers le web. C’est majeur, car elle est une démocratisation des usages de l’IA. Des phénomènes qui prennent des années dans la micro-informatique », compare-t-il. Les risques d’un usage malveillant de l’IA sont omniprésents. Le secteur militaire et de l’intelligence sont déjà bien dotés en matériaux dans ce domaine. Les acteurs de la propagande et de la désinformation s’arment avec de l’IA pour des « guerres informationnelles ». Avec ces risques et ces opportunités, l’IA est garantie de façonner le présent et l’avenir de l’humanité, d’où l’appel lancé par les deux invités des « Nuits du Ramadan » pour raisonner l’IA et en maitriser les ressorts. Mais cela serait il possible ?  

Reconquérir le temps

Lakhdissi fait un retour dans le temp pour montrer l’énorme impact de l’emprise des technologies sur les vies humaines. « La révolution industrielle a voulu à un moment humaniser les robots, elle a finalement robotisé les humains », estime ce professeur universitaire. Pour illustrer son propos, Lakhdissi donne l’exemple du temps et de sa maitrise. « La révolution industrielle nous a enlevé énormément de temps.  La seule période où l’humanité a travaillé plus de 8 heures par jour c’était après la révolution industrielle », signale-t-il. Il donne l’exemple de la journée de travail de l’artisan. « Un artisan travaille entre 2 à 3 heures par jour, le reste du temps est dédié à la transmission du savoir avec ses apprentis, d’autres moments vides sont réservés à la méditation et à la création culturelle, d’ailleurs les artisans étaient souvent des poètes dans la musique du Melhoun », illustre-t-il. L’IA nous permettra-t-elle de regagner ce précieux temps de méditation,et de contemplation ? Ou bien ne risque-t-elle pas de démultiplier le temps de la vie active au détriment d’une possibilité de vie spirituelle ? Au vu des profils des acteurs majeurs de l’IA et de leur idéologie du transhumanisme, lesrisques d’une captation de la vie humaine par ces robots sont à prendre au sérieux.

« Au Maroc, nous devons avancer en contribuant aux débats sur l’IA, notamment sur les parties « solutions » et « réflexions »

Mouhsine Lakhdissi

Que faire alors ? « Au Maroc, on doit avancer en contribuant aux débats sur l’IA, notamment sur les parties« solutions » et « réflexions ». Tout en gardant à l’esprit, l’absence d’une garantie de succès », conclut Mouhsine Lakhdissi, professeur universitaire, spécialiste en IA et vice-président du Centre Africain pour les Etudes Stratégiques et la Digitalisation (CAESD).

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