La route de la traite

Calvaire dawa oumaima jmad

La chercheuse en socio-anthropologie Oumaïma Jmad utilise la bande dessinée pour sensibiliser à la traite des femmes migrantes.

À Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire, la jeune Awa peine à prendre en charge ses parents âgés. Sans diplôme et à 29 ans, ses recherches d’emploi sont vaines et cela la rend sensible aux propositions de contrat au Maroc. Moins sensible par contre au ton qui d’emblée devrait l’alerter : « Je ne propose pas un travail à n’importe qui. Mais puisque tu viens de la part de mon ami, je vais faire une exception ». Derrière les promesses d’un avenir radieux, aussitôt suivies de demandes d’avances, c’est l’engrenage mafieux et le piège de l’esclavage.

Sortir de l’engrenage

Oumaïma Jmad est doctorante, spécialiste des questions d’identités sociales et des violences fondées sur le genre. Elle est également activiste féministe au sein de l’Association marocaine pour les droits des femmes (AMDF). Lauréate d’Openchabab, elle a contribué au collectif Maroc, justice climatique, urgences sociales (En toutes lettres, 2021) où elle a éclairé la problématique de l’environnement à travers le prisme du genre. Ce n’est pas la première fois qu’elle s’essaie à la bande dessinée, dans une optique de sensibilisation, puisqu’elle avait déjà réalisé une enquête sur une initiative de tourisme écoresponsable. « Entre fiction et réalité, la BD représente, selon moi, un moyen de communication et d’action sur des faits complexes et difficiles à appréhender, explique-t-elle. Par ailleurs, cela permet, à travers des personnages, de mettre en scène l’histoire des concernées dont la parole et le vécu leur appartiennent. » Les traits sont schématiques, rehaussés d’à-plats de couleurs sobres : c’est avec Canva et Photoshop qu’Oumaïma Jmad les travaille, pour obtenir des images « adaptées au contexte marocain et africain, avec des personnages et des décors plus proches de la réalité ». Son regret : « J’aurais aimé pouvoir dessiner, car je trouve plus authentique les BD dessinées à la main, d’autant plus que les différents logiciels ne permettent pas de créer des BD comme je les imagine du point de vue artistique. »

Oumaïma Jmad

Dans ce récit, réalisé dans le cadre du projet du Réseau des jeunes Marocains engagés, porté par la fondation allemande Friedrich Ebert, à travers l’itinéraire d’Awa, « dont le prénom signifie “source de vie” », Oumaïma Jmad décortique les différentes violences et violations des droits humains fondamentaux auxquelles sont exposées les personnes en situation de migration, en particulier les femmes. Awa est « un personnage à la fois unique et pluriel, dans la mesure où il y a une part de son vécu d’Awa mais également celui d’autres femmes dont les histoires s’enchevêtrent, en termes de recrutement, de transport, de transfert, d‘hébergement et de pratiques subies à des fins d’exploitation », explique-t-elle. Oumaïma Jmad s’intéresse aux ressorts psychologiques qui amènent les victimes à donner foi aux promesses les plus illusoires, à confier passeports et téléphones à des inconnus qui prétendent les protéger. Elle détaille le racket, les humiliations, le racisme, le harcèlement sexuel, le chantage et les menaces. La bande dessinée se conclut par la nécessité d’agir collectivement, avec des associations susceptibles de fournir un soutien juridique et psychosocial. Une sonnette d’alarme autant qu’un éloge du collectif…

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Calvaire d’Awa
Oumaïma Jmad
RMJE / Friedrich Ebert Stiftung, 48 p. en français et en arabe marocain

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