Les six maux de la Protection sociale au Maroc
L’Observatoire marocain de la protection sociale (OMPS) vient de publier son premier rapport d’évaluation de ce chantier majeur. Zoom sur les principaux déséquilibres observés durant les premières années de mise en œuvre.
C’est une première initiative de la société civile marocaine pour évaluer la politique de protection sociale au Maroc. L’Observatoire marocain de la protection sociale (OMPS) a présenté son rapport le 6 décembre à Rabat, intitulé : « Protection sociale ou ajustement structurel déguisé ? ». L’OMPS œuvre, depuis 2020, date de l’entrée en vigueur de la Loi cadre 09-21 sur la protection sociale, au suivi et à l’évaluation des différentes initiatives et programmes gouvernementaux. « Ce processus nous a permis d’enregistrer six déséquilibres structurels dans la politique de protection sociale au Maroc, un déséquilibre au niveau des normes, de l’harmonisation, de la gouvernance, de la participation, du ciblage et inclusion, du financement et de la durabilité, de l’impact de l’inflation, et du démantèlement progressif de la caisse de compensation », explique Larbi Habchi, membre du bureau exécutif de l’OMPS lors du point de presse.
1- Déséquilibre normatif : « Au-dessous de la norme »
C’est le premier déséquilibre, il couvre le volet législatif et de réglementations. « Les politiques de protection sociale (PPS) en dessous des normes minimales : La conception marocaine de la protection sociale n’inclut pas l’engagement de l’Etat à assurer le niveau minimum de protection sociale dans ses neuf branches, tel qu’il est inclus dans le cadre normatif international de l’Organisation internationale du travail », peut-on lire dans ce document de 87 pages. L’OMPS regrette aussi que les PPS au Maroc qui ne respectent pas l’approche genre.
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2 – Déséquilibre de la gouvernance : « Aucune approche participative »
La gouvernance de ce chantier des PPS est « confuse » et ne fait pas appel à aucune approche de participation des citoyens.
La gouvernance de ce chantier des PPS est « confuse » et ne fait pas appel à aucune approche de participation des citoyens ou des leurs représentants. L’OMPS constate ainsi un « déséquilibre au niveau de la gouvernance et de la participation ».
« Malgré la stipulation législative pour la création d’un comité pour diriger la mise en œuvre de la PPS, et l’initiative du gouvernement pour mettre en œuvre et créer d’autres mécanismes et comités de gouvernance, ce qui est marquant dans le système de gouvernance est une confusion au niveau du système juridique et la présence de problèmes structurels qui proviennent de l’absence de la participation communautaire au niveau de la réflexion, de l’analyse et de l’évaluation et la faible implication des organismes professionnelles dans la mise en œuvre des dispositions de la politique de protection sociale », décrit l’OMPS.
3 – Déséquilibre du ciblage : « Faiblesse de l’inclusion »
Un mécanisme de ciblage, qui peut affecter le principe d’inclusion et placer de larges catégories en dehors du cadre de la protection sociale »
Ce troisième déséquilibre touche à la cohérence de cette PPS. « Cette politique cherche à passer du soutien public aux biens de consommation de base à travers la caisse de compensation, à l’orientation des ressources budgétaires de l’État et à la mobilisation de ressources supplémentaires pour identifier les groupes sociaux qui méritent de bénéficier des programmes sociaux, en créant un mécanisme de ciblage, qui peut affecter le principe d’inclusion et placer de larges catégories en dehors du cadre de la protection sociale », prévient l’OMPS.
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4 – Déséquilibre du financement : « Risque sur la durabilité du système »
L’OMPS alerte sur le déséquilibre au niveau du financement et de la durabilité. « Il est à craindre d’être confronté la difficulté de lever des fonds financiers suffisants et réussir l’implication et l’engagement de toutes les parties prenantes concernées par la généralisation de la protection sociale, notamment les collectivités territoriales et les institutions publiques, ainsi que les sociétés et les entreprises du secteur privé, ce qui va susciter la pression sur la caisse de compensation et dévoile le déficit et l’incapacité du système national de santé », prévient l’Observatoire dans son rapport.
5 – Déséquilibre de l’impact : « Risque d’inflation permanente »
« L’objectif premier des différentes politiques de protection sociale dans le monde est d’assurer le bien-être et de protéger chacun des différents risques et vicissitudes de la vie. Dans le cas marocain, c’est le contraire. Nous assistons à un effet contraire de cet objectif, car les familles marocaines supportent plus de la moitié du coût de la couverture maladie de base tandis que l’inflation limite l’impact du soutien social direct », alerte l’Observatoire.
Ceci se manifeste par des politiques de protection sociale qui pèsent sur la famille (63% des dépenses de santé continuent d’être supportées par les familles) et une inflation qui persiste et une paupérisation plus grande des Marocains (3,2 millions de citoyens qui continuent d’être exclu et glissant dans le cycle de la pauvreté et de la vulnérabilité).
6 – Déséquilibre de l’approche sociétale : « La Banque mondiale au commande »
« Le gouvernement a adopté la perspective de la Banque mondiale, qui concentre les PPS sur une philosophie basée sur la réduction des programmes de protection généralisés (subventions) et leur remplacement par des systèmes de protection conditionnelle. Le gouvernement adopte aussi des programmes ciblant certains segments de la société et pas d’autres dans le cadre de la protection sociale, en adoptant des politiques basées sur l’idée de transformer des modèles généralisés en un soutien ciblant uniquement les nécessiteux sur la base de mesures reposant sur le revenu du bénéficiaire d’un soutien ou d’une protection, perpétuant ainsi un type de dépenses sociales moins coûteuses qui se manifeste dans le cas marocain », analyse l’OMPS.
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Plusieurs constats de l’OMPS rejoignent ceux du Conseil économique, sociale et environnemental (CESE) présentés dans son dernier rapport sur le sujet. Le rapport de l’OMPS s’inscrit dans le cadre de son projet « Pour une Protection Sociale Juste, équitable, et respectueuse des droits humains », réalisé en partenariat avec la Fondation Friedrich Ebert (FES) à Rabat, et le processus national déclenché en 2018 qui visent à plaider pour la mise en place d’un socle national pour la protection sociale conformément à la recommandation 202 de l’OIT, et de promouvoir le concept de la sécurité sociale. Les dirigeants de l’OMPS, souhaitent faire de ce rapport « un outil fondamental pour plaider auprès des décideurs politiques, sensibiliser les parties prenantes, mobiliser les acteurs concernés et promouvoir des politiques publiques qui favorisent les droits humains », insiste Habchi dans sa déclaration pour ENASS.ma