À Tanger, la révolte de la méthadone

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Les usagers de drogues injectables dans le nord du Maroc ont vécu une grave crise en raison de la rupture d’approvisionnement en méthadone. Retour sur cette crise prévisible et ses raisons profondes. Reportage.

Reportage vidéo Mohamed Nassar (Tanger) 

Le jeudi 20 mars, des Usagers de drogues injectables (UDI) sous traitement de la méthadone organisent un sit-in devant le Centre d’Addictologie de Tanger pour protester contre la rupture d’approvisionnement en méthadone. Une action similaire est menée à Tétouan. Les UDI bloquent la circulation pour quelques heures devant le siège du centre d’addictologie local. 

À Tanger, dès les premières heures de ce jeudi matin, une dizaine de personnes se sont réunies devant le centre, pour exiger « la reprise de la distribution de ce médicament essentiel » à leur sevrage de l’héroïne injectable, qui est actuellement en rupture de stock.

« Cela fait huit ans que je me procure ma dose de méthadone. Depuis quelque temps, on nous dit que le médicament n’est plus disponible ». 

« Ça fait huit ans que je viens chercher ma dose de méthadone. Au début, on nous la donnait régulièrement, mais depuis quelque temps, ils commencent à reculer et à nous dire que ce n’est pas disponible. On est habitués à la prendre, et sans elle, on ne tient pas. Là, et après avoir fermé les portes, ils nous informent que le médicament n’est plus disponible», raconte un usager. Cette situation ne nous est  pas surprenante. Elle était prévisible et trouve ses explications dans la politique publique d’approvisionnement et de gestion de ce produit médical essentiel dans cette région du Maroc. 

« Graves complications »

Dès le 6 mars dernier, les quatre principales associations travaillant sur ce sujet et de ce fait  publient un communiqué pour alerter l’opinion publique face à la « crise de la méthadone ». Il s’agit d’un communiqué publié par l’Association Hassnouna pour le soutien aux usagers de drogues à Tanger, l’Association nationale pour la réduction des risques liés aux drogues (RdR Maroc), l’Association de lutte contre le sida (ALCS) et la Coalition internationale de préparation au traitement pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (ITPC-MENA). 

Dans le communiqué, ce collectif répond à la décision du ministère de la Santé et de la Protection sociale (MSPS), celle  de réduire les doses de méthadone par catégories et pour tous les patients, y compris les personnes vivant avec le VIH, les patients atteints d’hépatite C et B, ainsi que les patients atteints de tuberculose. Cette décision prise sans concertation préalable : « Nous n’avons pas été consultés ni même informés de ces mesures en tant que partenaires, mais l’avons été par le biais d’avis affichés à l’entrée des centres anti-addiction comme les autres bénéficiaires », regrette ce collectif. 

Les quatre associations s’inquiètent des conséquences sanitaires sur la santé des patients. « Les solutions proposées restent insuffisantes et peuvent conduire à des conséquences catastrophiques pour la santé des patients et de la société dans son ensemble », alerte ce collectif.  

Et d’ajouter : « Nous insistons sur le fait que la réduction des doses de méthadone doit se faire selon des protocoles approuvés au niveau national et international, y compris ceux proposés par l’Organisation mondiale de la santé, qui soulignent la nécessité du consentement du patient, car toute modification des doses sans consultation du patient peut entraîner de graves complications pour sa santé ». Or la décision du ministère n’a pas respecté cette démarche. 

Une crise et ses conséquences 

L’addiction aux opiacés, en particulier à l’héroïne, entraîne les individus dans un tourbillon destructeur. Entre l’obsession du produit, les douleurs du sevrage et les dangers pour la santé, les personnes dépendantes se retrouvent souvent piégées dans un cycle difficile à briser.

Ce traitement de substitution utilisé à l’échelle mondiale, agit comme un agoniste opioïde, se liant aux mêmes récepteurs que l’héroïne, mais d’une manière plus contrôlée.

C’est dans ce contexte que la méthadone joue un rôle essentiel. Ce traitement de substitution, utilisé à l’échelle mondiale, agit comme un agoniste opioïde, se liant aux mêmes récepteurs que l’héroïne, mais d’une manière plus contrôlée. Elle offre une action durable sans provoquer d’euphorie, permettant ainsi aux patients de se stabiliser et d’entamer une démarche de sevrage en toute sécurité.

Pour ces raisons, les quatre associations rappellent que l’arrêt de ce traitement entraîne des conséquences sanitaires, psychologiques et socio-économiques sur les patients. 

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Les quatre associations s’attendent à : « une augmentation des taux de rechute et des cas de retour à la consommation de drogues ; une augmentation des cas de sevrage qui provoquent des souffrances psychologiques et physiques, surtout en l’absence de stratégies alternatives aux médicaments sédatifs, qui ne sont pas actuellement disponibles dans les centres spécialisés ; Effet négatif sur la poursuite de l’intégration sociale et professionnelle des personnes, et les usagers de drogues sont moins enclins à s’engager dans des activités de prévention et de sensibilisation, en raison de l’anxiété psychologique résultant de la peur de ne pas poursuivre le traitement ». 

Un patient rencontré par ENASS.ma à Tanger raconte : « Depuis deux semaines qu’on fait des allers-retours sans solution. Qu’ils nous trouvent une alternative ou un autre médicament équivalent ! Que notre voix soit entendue par les responsables de ce centre ! »

Un autre manifestant, plus âgé, exprime son ressenti : « Ce médicament ne nous aide pas vraiment. La souffrance est telle qu’on ne peut le prendre seul. Il faut l’accompagner de calmants, sinon on ne peut pas dormir. On nous a donné un substitut, mais ce n’est pas une solution suffisante ! »

Pendant des heures, ces usagers sont restés devant le Centre d’Addictologie, criant leur colère. 

Pendant des heures, ces usagers sont restés devant le Centre d’Addictologie,  manifestant leur colère. Certains étaient allongés sur l’avenue, d’autres se tenaient debout, exprimant leur frustration à haute voix. D’autres se sont rassemblés en petits groupes, continuant à protester vivement. « Donnez-nous simplement nôtre médicament, rien de plus ! », clame un jeune homme, fatigué d’une situation éprouvante.

Si depuis le lancement des programmes de substitution à la méthadone au Maroc, de nombreux patients dépendants d’opiacés retrouvent  la  stabilité et nourrissent par la même l’espoir d’une réinsertion sociale, tandis que le médicament devient de plus en plus difficile à obtenir. Dans certains centres d’addictologie, les ruptures de stock récurrentes mettent en péril plusieurs bénéficiaires, d’autres sources évoquent des trafics autour d’un produit au demeurant essentiel avec un détournement des doses depuis des centres de santé vers d’autres usages. La crise actuelle n’est que la face visible de cette situation en détérioration depuis des mois. Le ministère de la Santé et par son laissé aller, la crise prend des proportions en s’aggravant. 

Une solution en forme de sursis 

Le 22 mars, le ministère annonce « la reprise de la distribution régulière de méthadone dans les centres de santé ». 

Le 22 mars, le ministère annonce « la reprise de la distribution régulière de méthadone dans les centres de santé spécialisés » et ce « après avoir surmonté les perturbations de son approvisionnement ».

Dans ce communiqué, le ministère indique que « l’ensemble » des Centres d’addictologie au niveau national ont été approvisionnés « en quantités suffisantes » de ce médicament, garantissant « la continuité du traitement des patients ». ENASS.ma a joint des responsables associatifs qui nous ont confirmé cette information. 

Cette reprise a été possible à la « coopération internationale visant à garantir les sources d’approvisionnement » relève la même source. Le ministère promet que « des stocks suffisants sont mis à disposition pour répondre aux besoins des patients ». Il s’agit d’une mobilisation du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme au Maroc. 

Une source associative regrette « que cette crise prévisible ait lieu, car avec un minimum de préparation et de travail de prévision, le Maroc peut toujours renforcer ses stocks et ne pas laisser la situation s’aggraver à chaque reprise ». 

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