Libertés : Semaine de plomb au Maroc

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Les semaines se suivent et se ressemblent dans l’espace public marocain. Poursuites judiciaires contre voix critiques, diabolisation de mouvements sociaux ou encore arrestation des plus arbitraires. Quel nom porte donc Cette escalade liberticide ?

Rappelons les faits marquants de la semaine du 18 mars : 

Lundi 18 mars 2024, début du procès de Boubaker El Wankhari, membre dirigeant d’Al Adl Wal Ihssane (organisation islamiste légale mais non reconnue par les autorités), pour « insulte à agent d’autorité » au Tribunal de Première instance de Rabat, suite à une simple altercation devant l’ambassade d’Arabie Saoudite à Rabat, pour une histoire de demande de visa. 

Le même 18 mars : Youssef El Hirech, activiste et lanceur d’alertes, est convoqué par la police judiciaire pour une enquête. Il passera trois jours de garde à vue, avant d’être poursuivi en détention provisoire. El Hirech était connu pour son ton critique sur la gestion des affaires publiques et ses enquêtes économiques sur  le chef du gouvernement Aziz Akhanouch, enquêtes publiées sur le média Assahifa.

Mardi 19 mars 2024 : Les facultés de médecine et de Pharmacie du Maroc annoncent la convocation de 52 étudiants au sein de leurs établissements, pour des conseils de disciplines. Ces futurs médecins et futurs pharmaciens participeraient activement au mouvement de grève des cours au sein de leurs facultés et ce depuis des mois. C’est un acte supplémentaire gérés par les directions des facultés dans le but de durcir le ton contre les étudiants grévistes.  

Jeudi 21 mars 2024 : Treize citoyens de la région de Rabat-Salé sont présentés devant le Tribunal de Première instance de Salé et poursuivis « pour rassemblement non autorisé et incitation à manifester », à la suite de l’organisation du Front marocain pour le soutien de la Palestine et contre la normalisation. Un sit-in  a été organisé devant un magasin de Carrefour à Salé en novembre dernier. L’audience du « Procès de la honte » est reportée au 25 avril prochain.

Treize citoyens du mouvement du Boycott contre Israël sont poursuivis pour avoir concerté un Sit-in prévu devant Carrefour à Salé. 

Jeudi 21 mars 2024 : Des étudiants se voient interdit  manu-militari d’accès  à la Faculté des sciences de l’Université Abdelmalek Saâdi de Tétouan, pour tenir une journée de mobilisation en faveur de la Palestine. Cette action organisée par le courant d’Al Adl Wal Ihssane au sein de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM) a été interdite quelques jours auparavant et l’ensemble des antennes de cette université du nord du Maroc fermées pour trois jours.  

Toujours durant ce jour  des libertés publiques, que l’on peut nommer« jeudi noir »   le jeune Youssef El Hirech est présenté devant le Parquet de Kénitra. Il est poursuivi pour plusieurs chefs d’accusations : « Insulte à fonctionnaire public, atteinte à un corps constitué et diffusion d’informations confidentielles, sans l’accord préalable de son propriétaire ». Son procès reprend le 4 avril à Kénitra. 

Vendredi 22 mars 2024, le Doyen de la faculté de médecine de Casablanca décide de dissoudre le bureau des étudiants de cette institution universitaire, sans présenter de raisons valables qui expliqueraient  cette décision gravissime en matière de liberté de réunion, et de liberté d’association. 

C’est le constat factuel du grignotage continu des libertés publiques au Maroc.

Je me contente de cette (triste) liste pour cette semaine. Que retenir de cette succession d’interdictions, arrestations et procès ? C’est le constat factuel du grignotage continue des libertés publiques au Maroc. Les espaces de manifestations, d’expression et de mobilisation se réduisent comme une peau de chagrin. 

Devant ces reculs, les institutions qui devraient jouer le rôle de protectrices des libertés (le CNDH en tête) font l’autruche. Elles affichent un silence complice. Les médias mainstream, dopés à l’argent public, se censurent et regardent ailleurs. Les acteurs politiques, associatifs et syndicaux, et à de très rares exceptions, valident ces reculs par leur compromission. 

L’Etat a aujourd’hui clairement fait le choix, et plus que jamais, d’un néolibéralisme autoritaire. Décomplexé face aux critiques internationales, peu soucieux réellement de la promotion de la démocratie, et des droits humains, le cœur de l’Etat se félicite d’une image artificielle dessinée à coup de succès évènementielle (CAN 2025 et Coupe du monde 2030). 

Nous sommes entrés de plein pied dans une phase d’accélération des attaques contre les libertés publiques.

 Si la période du Covid-19 était celle des reculs avec les arrestations des journalistes (Radi et Raissouni) et leur musèlement, nous sommes passés à la vitesse supérieure, et rentrés  de plein pied dans une phase d’accélération quand  il s’agit d’attaques contre les libertés publiques. Nous traversons assurément un de basculement. L’Etat arrive à gérer ce changement de situation en s’appuyant sur une stratégie d’anesthésie quasi-générale de l’opinion publique. L’Etat et ses faiseurs d’opinions font la promotion d’un nationalisme galopant et d’une image factice « d’un pays sur la voie de l’émergence ».  

« Les décideurs » assurent vouloir faire du développement du pays une priorité, mais sans aucune démocratie.

« Les décideurs » assument vouloir faire du développement sans la démocratie, une libéralisation économique à outrance sans libertés politiques. L’histoire nous dit que ce pari a toujours été perdant. Depuis 2003, ce choix a été déclaré au Maroc. Et les résultats sont sans appel. Notre 120ème place en matière du développement humain (IDH du PNUD) confirme qu’aucun développement n’est possible sans démocratie, de reddition des comptes et de lutte contre le népotisme. 

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