Palestine : “une Andalousie de poésie et d’eau”

Tu nes pas un poete a grenade

Abdellatif Laabi vient de traduire merveilleusement en français une sélection de textes du poète palestinien Najwan Darwish. D’une poignante actualité.

« Je n’ai pas de pays pour pouvoir y retourner
Je n’ai pas de pays pour en être exilé »

Journaliste et programmateur du Festival palestinien de littérature, Najwan Darwish, né en 1978, est une des voix majeures de la poésie palestinienne contemporaine, traduit dans une vingtaine de langues. Ses textes d’une fulgurante concision avaient déjà bouleversé Abdellatif Laâbi et Yassin Adnan, qui l’avaient fait figurer dans leur Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui, parue en français chez Points Poésie en 2022. En préface à ce recueil, Abdellatif Laâbi y voit une poésie qui résume l’impasse dans laquelle se trouvent aujourd’hui les Palestiniens, à une époque où « les extrêmes ont pris le dessus », reléguant au second plan le « panache » de leurs aînés qui écrivaient le récit national. Le désespoir contemporain face aux droits bafoués et à la fabrique implacable d’un « peuple sans terre » donne à la voix de Najwan Darwish un ton acerbe, « rugueux » et grinçant. « C’est une façon de signifier au monde que, dans la question de l’être ou ne pas être, les vaincus ne sont pas les plus mal lotis », conclut Abdellatif Laâbi.

Obsession de la perte

« Pourquoi dois-je appartenir à une nation
qui, quand elle s’enivre
se précipite vers l’embouchure des larmes ? »

Les poèmes qui figurent dans cette première section sont traduits du recueil Tu n’es pas un poète à Grenade, paru en 2018. Il y est question de détresse et d’impuissance face au béton de la colonie qui ne cesse de s’étendre, faisant du pays « une Andalousie de poésie et d’eau », dans une perte infinie : « Je ne prétends pas avoir d’autre pays / que la perte ». Dans Les crucifiés sont las (2018), le poète revisite le répertoire religieux : il explique à Dieu : « Tu ne pourras pas comprendre nos souffrances » et adresse sa dévotion à sa déesse « justice sociale ». L’avenir, c’est compter les années après sa mort, après une vie sans aube. Plus je me rapprochais d’une tempête (2018) évoque sur le ton de l’absurde et de la mélancolie un pays perdu et retrouvé, des rêves de séparation : « Nous n’avons pas pensé, ne serait-ce qu’une fois / à nous arrêter / pour pouvoir nous rencontrer ». Il craint les « livres brandis au bout des lances » et les nuits intranquilles, rendez-vous manqués avec le sommeil, la paix et le pays. Puis, dans Nous nous sommes réveillés une fois au paradis, paru en 2020, Najwan Darwish peste contre le fait que « les sièges de l’espoir / sont toujours réservés ». Il est question ici de reptation, de tares qui amoindrissent la vie (à commencer par le racisme). L’absurde fait irruption sous les traits d’un fonctionnaire « titulaire de la médaille de l’âne patient », quand on ne peut plus que plaider devant l’histoire, quand on se relève d’un amour comme après avoir été tué par un camion, quand les enfants sont « les rescapés du futur ». « Phobie » dit terriblement l’angoisse de perte et d’expulsion :

« Ils vont m’expulser de l’existence
car j’ai un faible pour le néant
et ils vont m’expulser du néant
car j’ai un rapport ambigu avec l’existence »

Cette section est peuplée d’hommages, à Naji, caricaturiste père de Handala, à Oum Kelthoum, au poète français Bernard Mazo. Enfin, dans Une chaise sur la muraille d’Acre, recueil paru en 2021, Najwan Darwish parle du bonheur et de l’art comme d’une « cellule d’isolement », face à la beauté qui persiste au fond de « l’abîme de mon peuple » : la brise, être ensemble, « prendre le soleil / hors de la tragédie »…

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Tu n’es pas un poète à Grenade
Najwan Darwish, traduit de l’arabe (Palestine) par Abdellatif Laabi
Le Castor Astral, 104 p., 200 DH

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