Y a-t-il un mouvement écologiste au Maroc ?

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ENASS publie une synthèse de l’étude inédite « Les mouvements écologistes au Maroc : Aspects généraux et chemins de réflexion », en partenariat avec la Fondation Heinrich-Boll Rabat. Pour prolonger le débat, ENASS donnera la parole à des acteurs de terrain pour livrer leurs analyses sur l’évolution de ce mouvement au Maroc.

Forêt de cèdres dans la région de Khénifra. Photo: A.Belghazi

L’étude signée par les deux chercheurs Zakaria Ibrahimi et Mouloud Amghar est une analyse de la généalogie du mouvement écologique marocain. Les deux chercheurs en sciences sociales ont mené une investigation sociologique pour cerner les discours et les pratiques de ce mouvement portés par différents acteurs de la société. Cette analyse propose aussi en filigrane une chronologie du mouvement de défense de l’environnement et travaillant sur la question du changement climatique. Un historique qui s’arrime à l’évolution des mouvements sociaux au Maroc. L’hypothèse de départ de ce travail de recherche est la suivante : 

« La question écologique au Maroc n’est devenue un sujet de conflits sociaux et de débats politiques dans l’espace public qu’après 2011 ».

« La tentative de suivre l’évolution des mouvements et des discours écologistes au Maroc depuis le milieu du siècle dernier, est basé sur l’idée fondamentale que la question écologique au Maroc n’est devenue un sujet de conflits sociaux et de débats politiques dans l’espace public qu’après 2011 ». Partant de ce postulat, les deux auteurs décortiquent le passé, le présent et le futur du mouvement écologiste marocain. 

La présente étude se compose de trois parties. La première présente l’économie politique de l’environnement au Maroc. La deuxième couvre la genèse et la jeunesse du mouvement écologiste marocain. La troisième et dernière partie présente une tentative de synthèse des luttes écologistes au Maroc. Ces parties ont un fil conducteur : la dialectique entre les structures sociales, politiques , économiques et la situation environnementale au Maroc.   

Jeunesse et hétérogénéité d’un mouvement 

Les revendications sociales sont liées questions environnementales.

« Toutes les actions menées dans l’espace public, dont l’objectif principal est la protection de l’environnement et la conservation des ressources », c’est la définition retenue par les chercheurs le mouvement écologistes. Dans cette définition assez large, les auteurs distinguent les Organisations de la société civile (OSC) locales et internationales présentes au Maroc, des communautés autochtones se trouvant dans les zones reculées du pays et qui portent elles aussi un discours écologiste. Étant donné la multiplicité de ces acteurs et de leurs stratégies, les discours véhiculés sont « hétérogènes », décrivent les auteurs. « En plus d’être jeune, l’autre caractéristique principal du mouvement écologistes au Maroc, c’est la nature hétérogène des discours écologiques et des pratiques défendant la justice environnementale », peut-on lire dans cette étude d’une vingtaine de pages.

L’autre caractéristique de ce mouvement dans sa forme organisée c’est son « élitisme ». Comme le rappelle l’étude, « les questions environnementales n’ont pas vraiment retenu l’attention du public, ni les mouvements sociaux et ni les partis politiques n’ont porté cette cause. Les débats sur l’environnement sont restés otages d’organisations molles ce qui leur a valu d’être dénigré par les observateurs et les opposants politiques . Ces associations élitiste ou/et urbaines ne sont pas en contact direct avec les effets des changements climatiques et de la destruction de l’environnement. Résultats : l’absence de mouvements sociaux organisés et enracinés jusqu’ en 2011. L’étude rappelle d’ailleurs qu’un des temps forts des luttes politiques et sociales comme le Mouvement du 20 février a fait l’impasse sur les questions environnementales dans ses revendications. « Les activistes  écologistes étaient présents certes en tant qu’individus mais isolés et sans organisation au sein du M20F », observent les auteurs. 

Le mouvement écologiste marocain oscille entre une forme locale-rurale et une forme nationale-centrale-urbaine.  

L’explication de ces discours et postures composites, « c’est l’impact du changement climatique et de la destruction de l’environnement est réparti de manière inégale entre les sphères de la société et ses composantes sociales , où il apparaît que ceux qui ont un accès plus important aux ressources naturelles souffrent moins des changements climatiques. Alors que les plus vulnérables aux risques environnementaux consomment moins de ressources ». Cette injustice climatique est le moteur du mouvement écologiste au Maroc. Les décisions publiques risquent de creuser cette inégalité face au climat, tandis que les défenseurs de l’environnement apportent des réponses à cet état d’injustice : rupture radicale, initiatives de médiation et de réforme ou solutions technocratiques ou technicistes. Deux lieux et deux stratégies cristallisent cette injustice climatique comme politique publique et comme combat civil et politique : Ouarzazate pour la stratégie solaire et Imider pour la stratégie minière. Cette étude a donné la parole aux premiers concernés. 

Avant tout… Un mouvement autochtone 

Village près de la Centrale solaire Noor Ouarzazate. Photo DR

Le village de Tadghest a pour voisin la Centrale solaire Noor Ouarzazate, un représentant des habitants fait le bilan de l’impact de l’implantation au niveau de la région : « L’électricité est produite à Ouarzazate, mais le projet ne repose pas sur une main d’œuvre locale. Les habitants ne travaillent que dans les métiers du nettoyage et du gardiennage en intérim, sous prétexte que la région ne contient pas une main d’œuvre qualifié », témoigne-t-il dans cette étude. « Le processus de transfert de propriété des terres a été entaché de nombreuses infractions, et même les revenus de plus de 30 millions de dirhams n’ont pas été versés au profit de ce projet de développement », poursuit un acteur associatif à Ouarzazate. Pour un de ses collègues à Tadghest : « L’intervention de la société responsable du projet ne paraît que comme un geste de bienfaisance, qui ne reflète pas vraiment l’ampleur des dommages environnementaux, sociaux et économiques subis par la région, qui nous ont volé des terres en échange de deux chèvres ». 

« En plus d’être jeune, l’autre caractéristique du mouvement écologistes au Maroc, c’est la nature hétérogène des discours ».

Dans les régions minières, ce sentiment d’injustice est prégnant. « Les communautés locales héritent d’une relation historiquement tendue avec l’État central, exacerbée par la disponibilité de minerais », rappelle l’étude. Cette tension et ce sentiment d’iniquité est résumé par un acteur associatif de la région, membre de l’ancien membre du Conseil communal d’Imider : « Même si la montagne Saghro deviendrai plaine, nous ne paierons pas d’impôts ».Sur fond de relations intercommunautaires et de revendications socio-économiques (travail, santé, éducation, etc.), les populations locales des villages dans les différentes régions du Maroc portent des revendications écologistes qui s’expriment de différentes manières : le droit à l’eau, le droit à la propriété historique de la terre et la justice sociale et territoriale. Cette donne dessine les contours d’un mouvement écologiste marocain entre sa forme locale-rurale et une forme nationale-centrale-urbaine.

A suivre….

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