Haragas : Récit d’un assaut désespéré
Après l’échec des tentatives du côté du poste frontalier de Tarajal et du côté de la mer de Fnideq, des haragas tentent le tout pour le tout depuis les grillages. Reportage sur une tentative désespérée.
Texte et photos Salaheddine Lemaizi, Vidéo Anass Laghnadi
Il est 18h ce 15 septembre, une centaine d’habitants de la ville de Fnideq sont massés près des grillages entre Sebta occupée et cette ville du nord du Maroc, sur la route nationale n°16. Ces habitants sont rassemblés près du Café Kodia, ils sont venus pour assister en direct à un nouvel assaut de jeunes haragas (migrants) marocains et subsahariens. Un assaut aurait été auparavant annoncé sur les réseaux sociaux. La police tente vainement d’évacuer les lieux, mais les citoyens reviennent pour assister en direct à ce triste spectacle.
Pierres et gaz lacrymogène
Cette espace offre une vue panoramique sur Sebta. Nous apercevons de loin deux groupes de migrants, rassemblés à différents niveaux de la barrière. Ils donnent un premier assaut. Les forces de l’ordre marocaines ripostent par des tirs de gaz lacrymogène. Quelques jeunes sont arrêtés par les forces auxiliaires postés sur cette colline.
« L’avion se permet d’entrer dans l’espace aérien marocain ».
Dans le ciel, un hélicoptère de la Guardia Civile survole les lieux. « L’avion se permet d’entrer dans l’espace aérien marocain », remarque un citoyen parmi le public. L’engin fait plusieurs tours pour avoir un aperçu global de la situation. Les jeunes se replient de quelques mètres, puis se rassemblent pour tenter d’organiser éventuellement, une nouvelle attaque. Le temps passe. Les personnes arrêtées sont conduites vers les véhicules de la police nationale.
Les habitants crient leur colère et se solidarisent avec les trois jeunes blessés.
Il est 18h50, la journée tire vers sa fin, la lumière du jour baisse. Les jeunes n’arrivent plus à avancer. Ils sont tétanisés. Près de la station Afriquia, un accès au village alentour, un groupe de personnes forme un cercle autour de trois personnes à terre. Nous nous approchons. Des membres de la sûreté nationale sont sur place, il s’agit de trois jeunes haraga blessés. Leur état est déplorable. La gorge sèche, lèvres blanchies par la soif et des jours continus de sous-alimentation. Un des trois porte un bandage sur la tête suite à une blessure sur le front. Les deux autres sont également blessés au bras. Un de ces trois jeunes est très mal en point. Il a visiblement reçu un coup de matraque sur la cage thoracique, ou bien il a du heurter violemment les grillages. Il perd conscience pour quelques minutes avant d’être réveillés par des habitants. Les agents de police et les citoyens appellent avec insistance les secours et la protection civile. En vain. L’auteur de ces lignes a appelé aussi le « 15 » les sapeurs-pompiers à 19h17.On nous informe que l’ambulance est déjà sur une autre intervention et ne devrait pas tarder à venir. 20 minutes plus tard aucune trace des secours. Les habitants crient leur colère et se solidarisent avec les trois jeunes blessés, qui attendent les secours depuis 60 minutes. Les citoyens prennent les choses en main, ils décident de bloquer la route. Ils transportent les trois blessés et les déposent sur la chaussée. Les deux premiers blessés arrivent à peine à marcher, ils titubent, tombent et perdent connaissance.
« Il y a encore quatre personnes blessés en bas près des grillages, sauvez-les, ils vont mourir ».
Quelques minutes plus tard arrive l’ambulance de la protection civile. Elle transporte déjà quatre blessés, dont une personne dans un état grave. L’ambulance transporte deux premiers blessés mais refuse de prendre à son bord le troisième blessé, pourtant dans l’état le plus grave. Les citoyens protestent. Les ambulanciers finissent par accepter de prendre le troisième blessé, à contrecœur. Au même moment, d’autres jeunes migrants blessés traversent la route. Mais de crainte de sa faire arrêter, ils rebroussent chemin et retournent vers la forêt. Il est 19h30, le dernier groupe de jeune remonte de la frontière. En majorité, il est composé de jeunes marocains et quelques subsahariens. Ils sont armés de cailloux, leur jeune leader cagoulé menace : « Si l’Makhzen s’approche, on le caillasse ». Ils traversent la route et rejoignent la colline de l’autre côté. Un jeune lance un appel au secours : « Il y a encore quatre personnes blessés en bas près des grillages, sauvez-les, ils vont mourir ».
Nous voyons des visages sidérés, des corps abimés par le grillage et les interventions, leurs habits sont devenus des haillons.
Nous n’avons pas pu vérifier cette information. Nous voyons des visages sidérés, des corps abimés par le grillage et les interventions, leurs habits sont des haillons. Tout le groupe se replie dans la forêt. Quelques habitants leur offrent de l’eau. Bilan de la journée : De nombreux blessés et aucun des jeunes n’a pu traverser la frontière.