Tribunes

La Révolution tunisienne : d’une transition démocratique défaillante à un populisme autoritaire

Le 14 janvier 2011, la fuite de Zine El Abidine Ben Ali après 24 ans de tyrannie, de répression et de corruption a marqué un tournant historique. La révolution populaire qui a secoué la Tunisie a non seulement suscité l’espoir des Tunisiens, mais a également inspiré la région arabe et le monde entier. Elle a envoyé un message puissant : les dictatures ne peuvent pas résister à l’aspiration des peuples à la liberté, à la dignité et à la justice. Cependant, cette promesse de liberté a été ternie par une transition démocratique incomplète, laissant place au retour de l’autoritarisme.

De l’espoir à la désillusion : une transition démocratique fragile

La première décennie post-révolution, bien que jalonnée par de nombreuses réalisations démocratiques, a été marquée par un écartèlement entre les espérances populaires et la réalité économique et sociale. Des élections libres, la rédaction d’une nouvelle constitution progressiste et l’instauration de lois porteuses d’un nouvel ordre juridique ont permis de poser les bases d’une démocratie naissante. Cependant, les revendications fondamentales de la révolution — l’emploi, la croissance économique et l’équilibre régional — sont restées largement insatisfaites. Ce vide a ouvert la voie à un populisme autoritaire, particulièrement après le coup de l’État  force du président Kais Saied du 25 juillet 2021.

La montée d’un populisme autoritaire

Crédit photo : Imane Bellamine

Le coup de l’État e force de Kais Saïed a inauguré une nouvelle ère de répression et de restriction des libertés. Depuis plus de quatre ans, le pays vit sous l’état d’exception, gouverné à coups de décrets présidentiels. Kais Saïed a progressivement démantelé les institutions démocratiques. Il a supprimé l’indépendance du pouvoir judiciaire, dissous le Conseil supérieur de la magistrature et imposé une constitution rédigée selon sa propre vision du pouvoir. Les procès politiques se sont multipliés, touchant non seulement les partis d’opposition, mais aussi les journalistes, blogueurs, les défenseur-e-s des droits humains et les hommes d’affaires qui ont osé s’opposer à sa politique.

Sous ce régime, les accusations fabriquées à l’encontre des opposants ont conduit à de lourdes peines de prison. Le nombre de prisonniers politiques a explosé, et la répression a atteint des niveaux sans précédent. La liberté d’expression a été piétinée, le pays vit dans une atmosphère de peur constante, avec une presse muselée et une vie politique réduite à un seul discours : celui du pouvoir de Kais Saied.

Une crise économique et sociale alarmante

Parallèlement à cette régression politique, la Tunisie traverse une crise économique et sociale dramatique. La hausse des prix, la pénurie de produits de première nécessité, le chômage de masse et l’aggravation de la dette publique ont mené le pays dans l’impasse. La fuite des cerveaux et l’augmentation de l’émigration irrégulière témoignent du manque total d’espoir dans une partie importante de la population.

De plus, le régime de Kais Saied, en cherchant à se positionner comme le gardien des frontières européennes, a sacrifié la souveraineté du pays pour satisfaire les demandes de l’Union européenne. Ce choix stratégique, dicté par une rhétorique souverainiste, n’a fait qu’aggraver la crise interne tout en accréditant l’image d’un régime prêt à vendre la liberté et les droits des Tunisiens au plus offrant.

Appels à l’action : rétablir la démocratie et défendre les libertés

Crédit photo : Imane Bellamine

Aujourd’hui, la Tunisie se trouve plongée dans une crise sans précédent. Les élites politiques et les militant-e-s des droits humains croupissent dans les prisons, victimes de persécutions et d’emprisonnements arbitraires. Les libertés publiques sont étouffées et la presse indépendante a disparu. L’espace politique est désormais occupé par un seul discours, celui du président, intouchable et incritiquable.

Face à cette situation, nous appelons la communauté internationale, les associations indépendantes, et les partis politiques démocratiques à se mobiliser pour :

  1. Condamner cette répression systématique et exiger le rétablissement du processus de transition démocratique, avec un dialogue national inclusif impliquant tous les acteurs politiques et sociaux pour sortir de la crise économique ;
  2. Mettre fin au calvaire des prisonniers politiques et d’opinion, et exiger leur libération immédiate, ainsi que l’arrêt de toutes les formes de persécution contre ceux et celles qui osent critiquer le pouvoir ;
  3. Restaurer l’indépendance de la justice tunisienne en réintégrant les juges illégalement révoqués, et en garantissant l’indépendance du pouvoir judiciaire face aux pressions de l’exécutif ;
  4. Libérer les journalistes et blogueur-se-s, et revenir aux décrets 115 et 116 (2011) qui garantissent la liberté de la presse et la liberté d’expression, indispensables à toute société démocratique.

La solidarité internationale face aux menaces autoritaires

Crédit photo : Imane Bellamine

Nous appelons également à la vigilance face aux dangers d’interventions extérieures visant à soutenir des régimes autoritaires dans la région, notamment ceux qui cherchent à prolonger la dictature en Tunisie. De telles manœuvres, si elles ne sont pas contrées, risquent d’avoir de graves conséquences non seulement pour la Tunisie, mais pour toute la région du Maghreb. La solidarité internationale est essentielle pour préserver les principes de démocratie, de droits humains et de souveraineté populaire.

La situation de la Tunisie aujourd’hui est très grave, mais elle n’est pas sans espoir. Avec la mobilisation de tous-tes, il est encore possible de restaurer les principes de liberté, de justice et de dignité qui ont animé la révolution. La lutte pour un avenir démocratique et prospère ne fait que commencer.

  • Aissa Rahmoune, Secrétaire général de la FIDH, militant de la ligue algérienne des droits de l’homme
  • Alexis Deswaef, avocat au Barreau de Bruxelles et vice-président de la Fédération internationale pour les Droits Humains (FIDH) 
  • Marc Schade-Poulsen, docteur en anthropologie sociale et chercheur invité à l’université de Roskilde 
  • Raffaella Bolini, dirigeante de la grande association italienne Arci et membre du Conseil international du Forum social mondial (FSM), Italie
  • Gustave Massiah, ingénieur et économiste, membre du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale – CEDETIM
  • Gilbert Achcar, Professeur émérite, SOAS, Université de Londres 
  • Joel Beinin, professeur émérite d’histoire du Moyen-Orient à l’université Stanford
  • Pinar Selek, sociologue à l’université Côte d’azur
  • Khadija Ryadi, présidente de la Coordination maghrébines des organisations des droits humains
  • Patrick Baudouin, avocat et président de la Ligue algérienne de défenses des droits de l’homme
  • Marie-Christine Vergiat, juriste, militante associative et femme politique française, députée européenne de 2009 à 2019, vice-présidente de la Ligue Française des Droits de l’Homme de 2019 à 2024
  • Kamal Lahbib, secrétaire exécutif du Forum des alternatives Maroc, membre fondateur du Forum Vérité et Justice, de l’Espace associatif et de l’Observatoire national des prisons
  • Clément Voule, ancien Rapporteur Spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et d’association
  • Mostefa Bouchachi, avocat, homme politique, ancien président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme.

Soutenue par :

  • Euromed Droits
  • Le Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT) 
  • La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH)

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