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À El Akkari, on chasse les classes populaires

La démolition annoncée de « Douar Al Askar » à El Akkari à Rabat, plonge les habitants du douar dans l’inquiétude. Cette opération de délogement s’inscrit dans le vaste projet de vider le centre de Rabat de ses classes populaires. Reportage.

Par Imane Bellamine (Texte) et Anass Laghnadi (vidéo et photos)

Une vue splendide sur l’océan atlantique, un terrain de 20 hectares en plein de centre de Rabat. Trop beau pour être laissé aux classes populaires de la ville de Rabat. La capitale désormais « ville-musée » s’active à chasser ses pauvres et les différentes formes d’habitats « irréguliers » et communautaires. Place désormais aux projets immobiliers vue sur océan. Ce quartier, situé en face de l’océan atlantique, abrite 200 maisons environ toutes construites il y a des décennies pour d’anciens militaires. Ce quartier de militaires porte les traces d’une histoire marquée par la présence de deux casernes. Dans chaque recoin, les lieux rappellent le lien étroit entre ce territoire et la mémoire des familles qui y vivent depuis des générations. Désormais, les habitants sont priés d’abandonner cette mémoire et ces lieux pour un relogement à Tamensna.

« Nous ne partirons pas ! »

Cet après-midi du lundi 3 février, les habitants du quartier populaire d’El Akkari, connu sous le nom de « Douar Al Askar », ont organisé un sit-in pour protester contre la décision de démolir leurs logements et de les reloger à Tamesna. « C’est un quartier militaire. Qui l’a inauguré ? C’est le Roi qui nous a donné ces maisons comme un acte de reconnaissance du sacrifice des militaires. Ce ne sont pas des bidonvilles. Peut-être qu’il existe 2 % des maisons qui sont informels mais le reste sont bien des maisons et un quartier réglementaire », détaille un vieil habitant et militaire à la retraite. Cette décision les éloigne de leurs repères historiques et de leur environnement. Cette destruction suscite de la colère et un sentiment d’injustice parmi les résidents. 

Dès les premiers pas dans le quartier, les signes d’une démolition sont ostensibles. La destruction des maisons est entamée, des tractopelles sont à l’œuvre, et des groupes d’ouvriers s’affairent sur ce quartier d’habitat transformé en chantier.

Au cœur du quartier, non loin du point d’inauguration historique, des anciens militaires, des veuves, des femmes divorcées, des mères avec leurs enfants, ainsi que des jeunes, se sont rassemblés pour exprimer leur « indignation face à cette décision » qu’ils considèrent comme « une menace directe pour leur vie et leur avenir ». 

Un vieux nous approche et proteste en colère il rappelle l’importance historique de ce quartier, loin de l’image d’un simple bidonville. Loin de s’opposer à la nouvelle vision urbaine à Rabat, les habitants revendiquent leur droit à rester dans ce quartier où ils ont bâti leur vie. « Nous ne refusons pas que l’Etat souhaite mettre de l’ordre dans l’urbanisme. Nous ne sommes pas des parvenus. Celui qui vous parle est un héros du Maroc, un héros oublié », poursuit le même résident. Ce dernier dénonce la pression immobilière croissante : « Ceux qui veulent cette terre, ils regardent juste la valeur du terrain : 5 millions le mètre carré. Ils veulent nous virer d’ici pour construire leur projets.»

« Ceux qui veulent cette terre, ils regardent juste la valeur du terrain : 5 millions le mètre carré. Ils veulent nous virer d’ici pour construire leur projets ».


Les habitants ne s’opposent pas au développement de la ville, mais réclament des solutions justes. « Ce qu’on demande c’est qu’ils nous trouvent une solution.  C’est tout ce que l ‘on demande », affirme le vieil homme.

« Nous ne sommes pas des parvenus. Celui qui vous parle est un héros du Maroc, un héros oublié ». 

De plus, la perspective des projets d’infrastructures liés à la Coupe du Monde 2030 alimente le sentiment d’injustice : « Ils veulent ramener des gens d’ailleurs, des étrangers, et nous laisser dehors, alors que c’est notre pays. Nous avons combattu pour le Maroc. Et maintenant, ils veulent nous envoyer dans le désert ? Ce n’est pas juste. Comment quitter Rabat, où j’ai grandi ? »

Pour cet habitant, le combat est celui de la dignité : « Même s’ils détruisent ma maison, je ne suis pas contre l’État, pas contre le gouvernement, ni contre les responsables. Nous dénonçons simplement une injustice. Or ce que nous subissons cette année en est une. Pourquoi nous imposer cela ? Pour 2030 ? Et nous, où serions-nous d’ici là ?».

« Nous dénonçons une injustice. Or ce que nous subissons cette année en est une. Pourquoi nous imposer cela ? Pour 2030 ? Et nous, où serions-nous d’ici là ?».

Les projets 2030 contre la population

Les habitants affirment que leur quartier ne peut être assimilé à un bidonville, rappelant qu’il a été inauguré par le roi Hassan II aux côtés de prince héritier de l’époque, en tant que don royal destiné à des soldats, dont certains blessés en champ de bataille. « Un roi ne peut pas inaugurer un bidonville », martèlent des femmes, des anciens et des jeunes qui rejettent catégoriquement l’idée d’être déplacés de leur ville vers des zones éloignées de la ville. Parmi eux, des personnes atteintes de maladies chroniques et des personnes âgées qui dépendent de soins médicaux nécessitant leur proximité avec des infrastructures de santé. 

Surpris par cette décision soudaine, les habitants dénoncent une politique des autorités visant à façonner une nouvelle façade urbaine pour 2030, année du Mondial, quitte à sacrifier les droits des plus modestes. Selon les protestataires, la valeur foncière prime sur le droit au logement des citoyens.

Une jeune femme s’avance, la voix tremblante de colère « On ne peut pas vivre ailleurs. Si on part, c’est la fin. Mon enfant est malade, on vit à quatre dans une seule pièce ».

Elle poursuit, en retenant difficilement ses larmes : « Ça fait trente-six ans qu’on vit ici. Ce n’est pas juste. Tout le monde est affecté. Certains vivent ici depuis soixante ans. Il y a des personnes sous oxygène, des veuves, des orphelins..»

Et d’ajouter : « S’ils ne trouvent pas de solution, où vais-je aller avec mes enfants ? Nous avons besoin d’une solution immédiate.  Sinon, nous ne partirons pas. Ceux qui veulent partir, qu’ils partent. Nous, nous resterons ici jusqu’à la mort. »

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Yassine, un jeune du quartier, exprime sa colère et son incompréhension face à la situation : « Je veux adresser un message au Wali de Rabat. Qu’il fasse preuve de justice. Rabat se développe, mais nous ? Personne n’est venu nous nous aviser de quoi que ce soit. La plupart des logements ont été inaugurés par le Roi. C’est un décret royal qui nous a permis d’habiter ici ». 

Il conclut : « On veut nous déplacer vers Tamesna, c’est un déplacement forcé vers cette zone alors qu’il n’y a aucune raison justifiable pour le faire. »

« On veut nous déplacer vers Tamesna, c’est un déplacement forcé vers cette zone alors qu’il n’y a aucune raison pour le faire. »

Pendant des heures, les habitants, rassemblés autour du drapeau marocain, appellent à une solution pour préserver leurs maisons et stopper ce projet de démolition.  « Nous ne partirons pas, c’est ici que nous avons construit nos vies », lance une vieille dame, en regardant l’océan. 

À préciser que plusieurs quartiers de résidence d’anciens militaires ainsi que des casernes des FAR ont subi le même sort à Casablanca et à Berrechid ces dernières années. Ces vastes terrains ont été cédés à des groupes immobiliers détenus par des acteurs politiques de premier plan pour ériger des logements moyen et haut-standing.

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